Comment aimer Allah ?
Mohammad Mahdi
al-Âçifî
Édité et adapté en français par :
Abbas Ahmad al-Bostani
Publication de la Cité du Savoir
Éditeur:
Abbas Ahmad
Al-Bostani
La Cité du
Savoir
C. P. 712,
Succ. (B)
Montréal,
Québec, H3B 3K3
Site Web : www.bostani.com
E-mail :
Première édition: Novembre 2001
Copyrights: Tous droits réservés à l'éditeur
ISBN : 2-922223-14-0
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Table des Matières
La relation avec
Allah 5
L'Amour d'Allah
- Le Très-Haut 7
La foi et
l'amour 11
Le plaisir de
l'amour 12
L'amour pallie
les carences dans les actes 15
L'amour protège
le serviteur de la torture 18
Les degrés et
les phases de l'Amour d'Allah 18
L'état de désir
et l'état de plaisir dans l'amour 30
D'autres images du désir et du plaisir dans
les do'â' de l'Imam al-Sajjâd (p): 46
Les importations et les exportations du
coeur 52
Le fondement du libre choix 55
Retour aux munâjât 57
Le do'â' et son sommet 59
Les trois moyens . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . 62
Le premier moyen: le besoin 63
Le deuxième moyen: la prière de demande et
la sollicitation 73
Le troisième moyen: l'amour 73
D'autres figures du désir d'Allah dans les
Munâjât de l'Imam al-Sajjâd (p) 81
L'unicité de l'amour divin (les
caractéristiques de l'amour) 85
1- La primauté de l'amour divin 86
2-Le gouvernement de l'amour d'Allah 89
La carte de l'amour et de la haine 93
Aimer pour Allah et détester pour Allah 95
3-Le gouvernement de l'amour pour Allah 101
La pureté (la sincérité) de l'amour d'Allah
113
L'attachement jaloux d'Allah à Son serviteur
116
Aimer pour Allah et en Allah 117
La première source de l'amour 121
1- Allah aime Ses serviteurs 121
2- Il leur inspire Son Amour 122
3- Il leur manifeste son amour 124
4- Allah est jaloux de Son serviteur 128
5- Allah appelle Ses serviteurs au repentir
128
6- Il les y incite en les soumettant à des
épreuves 129
Comment aimer Allah ? 131
Les conséquences et les effets de l'amour
d'Allah dans la vie de l'homme 135
La corrélation entre l'amour d'Allah et ses
conséquences 141
La réciprocité d'amour entre Allah et Son
serviteur 143
Si Allah aime un
serviteur... 146
Comment nous faire aimer d'Allah? 147
Les obstacles et les barrières qui obstruent
l'amour 150
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La relation avec Allah
La relation avec
Allah, sous sa forme la plus saine est constituée d'une série d'éléments
harmonieux et concordants qui, réunis, forment la relation correcte avec le
Créateur.
Les références
islamiques refusent de concevoir la relation avec Allah sur la base de l'élément
unique, tel que la peur ou l'espoir, l'amour ou le recueillement, et considèrent
qu'une telle relation est dépouillée d'harmonie et d'équilibre. Les éléments qui
composent la relation avec Allah sont très nombreux et mentionnés en détail dans
les versets coraniques, les hadith et les Prières de demandes.
Ce sont
essentiellement: l'espoir (en Allah), la peur (d'Allah), l'imploration, le
recueillement, l'humilité, l'appréhension, l'amour, le désir, la familiarité,
l'anâbah (le retour vers Allah, repentant), le tabattul
(retraite spirituelle, récollection), l'istighfâr (demande de
pardon), la crainte, l'obéissance, l'asservissement (à Allah), le thikr
(l'invocation d'Allah), la pauvreté (le besoin d'Allah), l'i'tiçâm
(se protéger par Allah).
Ainsi, dans un
do'â, l'Imâm Zayn al-'Âbidîn (p) dit:
«Ô Seigneur! Je Te
demande de remplir mon coeur d'amour de Ton Amour et de Ta crainte, de croyance
et de Foi en Toi, de Ton appréhension et de Ton désir».(1)
De ces éléments
multiples se forme un beau spectre harmonieux de la relation avec Allah. Chacun
de ces éléments constitue une porte de la Miséricorde et de la Connaissance
d'Allah. Ainsi, la demande de la miséricorde ouvre la porte de la Miséricorde
d'Allah, et la demande de pardon ouvre la porte du Pardon d'Allah.
De même chacun de
ces éléments est considéré en soi comme une voie pour le mouvement ou la
conduite vers Allah. D'autre part, la crainte ou l'appréhension est une autre
voie vers Allah. Le recueillement est une troisième voie vers Allah; l'espoir,
le do'â ou l'espérance constitue une quatrième voie vers Allah.
L'homme doit se
mouvoir vers Allah à travers différentes voies et ne pas se contenter d'une voie
unique, car chaque voie conduisant à Allah a son propre charme, sa propre saveur
et un délice particulier qu'on ne retrouve pas dans les autres voies. De là
l'insistance de l'Islam sur le principe de la multiplicité des éléments de la
relation avec Allah.
On a là un sujet
vaste dans lequel nous ne voulons entrer ici.
L'Amour d'Allah - Le
Très-Haut
Ce qui nous
intéresse dans cet exposé c'est l'une de ces voies, celle de l'amour d'Allah,
car elle est la meilleure d'entre elles, la plus sûre, la plus belle et la plus
à même de nous attacher à Allah et de renforcer nos liens avec Lui.
En matière de
comparaison entre ces différents éléments qui composent la relation de l'homme
avec le Créateur, beaucoup de textes religieux nous fournissent suffisamment
d'éclairage pour pouvoir constater que la voie de l'amour occupe une place de
choix en Islam. Citons à titre d'illustration quelques-uns de ces textes:
Il est dit
qu'Allah inspira au Prophète Dâwûd:
«Ô Dâwûd! Mon
invocation appartient à ceux qui M'invoquent, Mon paradis à ceux qui
M'obéissent, Mon amour à ceux qui Me désirent, et Moi, J'appartiens à ceux qui
M'aiment».(2)
L'Imam
al-Sâdiq (p) dit:
«L'amour (d'Allah)
est préférable à la peur (d'Allah)».(3)
Mohammad Ibn
Yaqûb al-Kulaynî rapporte dans son corpus, "Uçûl al-Kâfî", le hadith
suivant de l'Imam al-Sâdiq (p):
«Les serviteurs
(d'Allah) sont répartis en trois catégories: une catégorie de serviteurs qui
adorent Allah par crainte (de Lui); leur adoration est celle des esclaves, une
deuxième catégorie qui adorent Allah par l'appât de récompense spirituelle
(thawâb), leur adoration est celle des commerçants, et une troisième
catégorie qui adorent Allah par amour, leur adoration est celle des hommes
libres, et elle est la meilleure des adorations».(4)
Dans le même
corpus précité al-Kulaynî cite le hadith suivant du Prophète (P):
«Le meilleur des
gens est celui qui s'éprend de l'adoration, l'étreint, l'aime de son coeur et la
pratique avec son corps, se fait disponible pour elle et ne se soucie point de
quoi sera fait le monde d'ici-bas le lendemain: aisance ou difficulté".(5)
L'Imam
al-Sâdiq (p) dit aussi:
«Les entretiens
intimes (munâjât) des "connaisseurs" (les mystiques) avec Allah
reposent sur trois fondements (ou sentiments principaux): la crainte,
l'espérance et l'amour. La crainte découle de la science, l'espérance de la
certitude et l'amour de la connaissance. L'indice de la peur est la fuite, celui
de l'espérance est la demande, et celui de l'amour est la préférence donnée au
bien-aimé à toute autre chose. Lorsque la science entre dans la poitrine, le
mystique craint, et lorsqu'il craint, il fuit, et lorsqu'il fuit, il est sauvé.
Quand la lumière de la certitude brille dans le coeur, le mystique voit la
Grâce, et lorsqu'il parvient à voir la Grâce, il espère, et lorsqu'il goûte les
délices de l'espoir, il demande, et lorsqu'il obtient la satisfaction de sa
demande, il trouve. Lorsque la lumière de la connaissance jaillit dans le coeur,
le vent de l'amour souffle, et lorsqu'il souffle, le mystique se sent réjoui à
l'ombre du Bien-Aimé auquel il donne la préférence à toute autre chose et
s'attache à suivre scrupuleusement et minutieusement Ses Ordres et Ses
Enseignements. Ces trois fondements sont comme le Haram (la
ville de la Mecque), la Mosquée et la Kabah: quiconque entre dans le
Haram jouit de l'immunité contre les poursuites des gens, et
quiconque entre dans la Mosquée, ses sens sont assurés qu'ils ne seront pas
utilisés pour commettre un péché, et quiconque entre dans la Kabah, son coeur
est assuré qu'il ne sera pas occupé à autre chose que l'invocation d'Allah».(6)
On rapporte
le hadith suivant du Prophète (P):
«Le Prophète Chuayb
(p) pleura d'amour d'Allah jusqu'à ce qu'il fût aveugle. Allah lui a révélé
alors: "O Chuayb! Si tu avais pleuré par peur de l'Enfer, Je t'en épargne, et si
tu avais pleuré par désir du Paradis, Je te l'accorde". Chuayb répondit: "O mon
Seigneur et Maître! Je n'ai pleuré ni par peur de Ton Enfer ni par désir de Ton
Paradis, mais parce que Ton amour est entré dans mon coeur et je ne peux plus
patienter jusqu'à ce que je Te voie". Allah - que Sa Gloire soit sublime - lui
révéla alors: "Si c'est ainsi, Je te ferai servir par mon interlocuteur Mûsâ Ibn
Imrân"».(7)
Dans le Livre
d'Idrîs (p) on peut lire ceci:
«Bienheureux sont
ceux qui M'ont adoré par amour et M'ont adopté comme Dieu et Seigneur, et qui
ont veillé la nuit et travaillé le jour pour Ma Face, et non par crainte de
l'Enfer ni par désir du Paradis, mais uniquement par amour pur, par une volonté
claire et en abandonnant tout pour s'adonner totalement à Moi».(8)
et:
«Qu'il soit aveugle
l'oeil qui ne voit en Toi un surveillant et qu'elle soit perdante la tractation
d'un serviteur, qui ne recherche pas à lui obtenir une part de Ton amour».(9)
La foi et l'amour
Les enseignements
islamiques nous apprennent que la foi, c'est amour:
- Selon l'Imam
al-Bâqer (p):
«La foi est amour
et haine».(10)
- Al-Fudhayl Ibn
Yasar témoigne:
«J'ai demandé à
l'Imam al-Sâdiq (p): "L'amour et la haine ont-ils un lien avec la foi?" L'Imam
al-Sâdiq (p) m'a répondu: "Mais la foi est-elle autre chose qu'amour et
haine!?"»(11)
- Selon l'Imam
al-Sâdiq encore:
«La Religion
est-elle autre chose que l'amour? Allah - Il est Puissant et Sublime - dit:
Si vous aimez Allah, suivez-moi; Allah vous aimera et vous pardonnera vos
péchés. Allah est Celui qui pardonne; Il est le Miséricordieux. (Sourate
Âle 'Imrân, 3: 31)»(12)
- Selon l'Imam
al-Bâqer aussi:
«La Religion, c'est
l'amour et l'amour c'est la Religion».(13)
Le plaisir de
l'amour
Si l'acte
d'adoration d'Allah est fait par amour, par désir et par soif, il procure un
plaisir inégalable.
L'Imam 'Alî
Ibn al-Hussain, dit Zayn al-Âbidîn (p) qui est bien placé pour parler de la
douceur de l'amour et de l'invocation d'Allah dit à ce propos:
«Ô mon
Seigneur! Qu'il est bon le goût de Ton amour et qu'il est doux le boire de Ta
proximité».(14)
Cette douceur et ce
plaisir que procure l'amour d'Allah sont solidement implantés et fixés dans les
coeurs des intimes d'Allah et non accidentels ni fugaces ni passagers. Et
lorsque le plaisir de l'amour d'Allah se fixe dans le coeur du croyant pieux, ce
coeur est illuminé par l'amour d'Allah, et se met pour toujours à l'abri de Sa
torture.
En effet l'Imam
'Alî (p) s'adressant à Allah dit:
«O Seigneur!
Par Ta Puissance et Ta Majesté! Je T'ai aimé d'un amour dont la douceur s'est
fixée dans mon coeur; or le for intérieur de Tes fidèles serviteurs monothéistes
ne saurait concevoir que Tu puisses détester ceux qui T'aiment!».(15)
À propos de
cet état fixé et permanent d'amour divin, l'Imam 'Alî Ibn al-Hussain (p) dit:
«Par Ta
Puissance et Ta Gloire, Ô Seigneur, même si Tu venais à me gronder, je ne
quitterais jamais Ta porte, ni ne cesserais de Te flatter, ayant su l'immensité
de Ta Générosité et de Ta Noblesse».(16)
Et lorsque le
croyant pieux découvre le goût délicieux de l'amour d'Allah, rien ne pourra dès
lors supplanter cet amour irremplaçable. Ecoutons ce que dit à ce propos l'Imam
Zayn al-'Âbidîn (p):
«Qui eût pu
songer à Te chercher un remplaçant après avoir goûté aux délices de Ton amour!
ou désirer quelqu'un d'autre que Toi après s'être délecté de Ta
Proximité!?»(17)
Si les gens vont à
gauche et à droite ou s'attachent à ceci ou à cela, c'est parce qu'ils sont
privés de l'amour d'Allah, car ceux qui ont eu la chance de connaître les
délices de l'amour d'Allah, sont tellement comblés qu'ils ne désirent plus rien
d'autre. C'est du moins ce que nous laisse deviner l'Imam 'Alî Ibn al-Hussain
(p):
«Qu'a-t-il
trouvé celui qui T'a perdu! et qu'a-t-il perdu celui qui T'a trouvé!».(18)
Il est à remarquer
que l'Imam Zayn al-'Âbidîn demande pardon à Allah pour tout plaisir éprouvé en
dehors du plaisir de l'amour d'Allah, pour toute occupation en dehors de celle
de l'invocation d'Allah, pour toute réjouissance qui ne soit celle de la
Proximité d'Allah, et ce, non qu'Allah ait interdit tout cela à Ses serviteurs,
mais parce que de tels plaisirs et réjouissances distraient le coeur du croyant
de son Créateur, ne serait-ce que pour un court laps de temps, car un coeur qui
a goûté le plaisir de l'amour d'Allah ne saurait se détacher d'Allah, même
l'espace d'une seconde.
Dans la vie des
serviteurs pieux d'Allah tout effort, toute chose, tout acte et même tout
sentiment s'inscrivent dans la prolongation de l'amour d'Allah, de l'invocation
d'Allah, de l'obéissance à Allah. Tout ce qui sort de cette ligne ou de son
prolongement est considéré par eux comme éloignement d'Allah, dont ils Lui
demandent pardon. C'est pourquoi l'Imam Zayn al-'Âbidin (p) dit:
«Ô Seigneur! Je
Te demande pardon de tout plaisir ressenti en dehors de Ton invocation, de tout
repos sans Ta compagnie, de tout contentement sans Ta proximité, et de toute
occupation sans Ton obéissance».(19)
L'amour pallie les carences dans les
actes
L'amour d'Allah est
inséparable des actes d'adoration; et pour quiconque aime Allah, les actes, le
mouvement et l'effort sur le Chemin d'Allah constituent les signes de cet amour.
Cependant l'amour pallie la négligence des actes et intercède en faveur du
croyant auprès d'Allah lorsqu'il fait preuve de négligence dans ses actes. En
effet l'amour est un intercesseur efficace auprès d'Allah.
L'Imâm Zayn
al-'Âbidîn, dit dans un do'â, rapporté par Abû Hamza al-Thamâlî:
«Ma
connaissance (de Toi) est mon guide vers Toi, et mon amour pour Toi est mon
intercesseur auprès de Toi. Or je suis sûr de mon guide par Ta Guidance et je
suis confiant dans l'efficacité de mon intercesseur auprès de Toi».(20)
Quels bons guides,
intercesseurs, connaissance et amour! Un serviteur dont le guide vers Allah est
la connaissance d'Allah ne s'égare jamais, et un serviteur dont l'intercesseur
auprès d'Allah est l'amour d'Allah, ne manque jamais sa route et son but vers
Allah.
L'Imam Zayn
al-'Âbidîn dit à ce propos:
«Ô mon Dieu! Tu
sais que même si dans la pratique mon obéissance à Toi n'est pas un exemple de
régularité, l'amour de Ton obéissance et la ferme résolution de T'obéir restent
en moi permanents et réguliers».
Là, l'Imam nous
apprend que s'il arrive que nous doutions de notre obéissance à Allah dans nos
actes et qu'il nous soit impossible d'être certains d'obéir impeccablement et
toujours au Créateur, néanmoins nous pouvons être sûrs et certains de la
permanence de notre amour d'Allah et de notre volonté inébranlable de continuer
à Lui obéir et à L'aimer. En effet, tout serviteur ayant éprouvé dans son coeur
l'amour d'Allah, n'en doutera jamais. Certes ce serviteur pourrait être
négligent dans l'observance de l'obéissance ou commettre un acte qu'Allah
déteste ou une désobéissance qu'Allah n'aime pas, mais ce faisant il est
impossible qu'il déteste l'obéissance ou qu'il aime le péché. Car les membres ou
les sens du serviteur pieux pourraient glisser dans les péchés, attirés par
Satan ou la passion, ou être négligents dans l'obéissance à Allah, mais son
coeur est imperméable à tout ce qui n'est pas l'amour et l'obéissance à Allah,
et la détestation de Sa désobéissance.
Ainsi l'Imam 'Alî
Ibn al-Hussain implore:
«Ô mon
Seigneur! J'aime T'obéir même s'il m'arrive de le négliger, et je déteste de Te
désobéir, même s'il m'arrive de le faire. Aussi Te demanderais-je de me faire la
faveur de me destiner au Paradis».(21)
Telle est la
différence entre les sens et les sentiments: les premiers pourraient ne pas
suivre toujours les seconds, ceux-ci pourraient se soumettre totalement à
l'emprise de l'amour d'Allah, alors que ceux-là pourraient y manquer, mais si le
coeur est sain et bon, les sens finiront inévitablement par le suivre et Lui
obéir. En un mot, tôt ou tard, les sens et les membres ne pourront qu'exécuter
ce que veulent et demandent les sentiments, comblant de la sorte le fossé qui
les sépare grâce à la sincérité du coeur.
L'amour protège le serviteur de la
torture
Si les péchés font
déchoir le serviteur aux yeux d'Allah et l'exposent à Son châtiment et à Sa
torture, l'amour d'Allah l'en protège. Dans l'une de ses Supplications, l'Imam
Zayn al-'Âbidîn dit:
«Ô mon
Seigneur! Mes péchés me font peur, mais mon amour pour Toi me protège».(22)
Les degrés et les phases de l'Amour
d'Allah
L'amour d'Allah a
des degrés et des phases dans les coeurs des serviteurs. Il pourrait être faible
et à peine ressenti chez un serviteur, épanoui et fort ne laissant de place à
aucune autre occupation susceptible de le distraire d'Allah, chez un autre. Chez
d'autres encore, il s'avère tellement intense et dominant que le croyant pieux a
beau se plonger pendant de longues heures dans les invocations, les
supplications, la prière et le recueillement dans l'action et l'effort sur la
voie d'Allah, il ne parviendrait pas à étancher sa soif d'adoration.
L'Imam Ja'far
al-Sâdiq (p) dit à ce propos dans l'un de ses Do'â':
«Ô mon
Seigneur! J'ai faim et de Ton amour je ne me rassasie jamais; je suis assoiffé,
et ma soif de Ton amour ne saurait être étanchée! Ô combien est ardent mon désir
de Celui Qui me voit sans que je Le voie».
Et l'Imam 'Alî Ibn
al-Hussain (p) ne dit pas autre chose:
«(Ô Seigneur)
ma soif ardente ne peut être apaisée que par Ton contact, ma souffrance agitée
ne se calme que par Ta rencontre et mon désir de Toi ne s'assouvit qu'en Te
regardant».(23)
L'expression de
l'amour la plus éloquente et la plus merveilleuse, on la trouve dans le do'â'
que l'Imam 'Alî a enseigné à Kumayl ibn Ziyâd al-Nakh'î et connu sous le nom de
"Do'â' Kumayl":
«À supposer, Ô
Mon Dieu, Mon Maître, Mon Souverain et Mon Seigneur, que je puisse supporter le
supplice que Tu m'infligerais, comment pourrais-je endurer ma séparation de Toi?
et à supposer que je puisse endurer la chaleur de Ton enfer, comment pourrais-je
supporter l'idée de ne plus aspirer à Ta Générosité? Et comment pourrais-je
rester calme en enfer alors que j'aspire à Ton Pardon?"(24)
L'amoureux pourrait
supporter la punition de son bien-aimé, mais pas sa colère ni sa haine contre
lui. Il pourrait aussi supporter le feu, pourtant insupportable, mais pas la
séparation avec son bien-aimé.
Cet amour et cet
espoir que le serviteur continue à éprouver envers son Maître, alors même qu'Il
lui fait subir le feu et lui montre Sa colère, constituent la plus belle des
images de ce do'â' auguste. En effet, il est possible que l'esclave éprouve de
l'amour pour son maître pendant qu'il jouit de ses bienfaits et bénéficie de ses
faveurs. Et cet amour est sûrement vrai et sincère. Mais l'amour absolu ou
suprême, c'est celui qui ne quitte point le coeur du serviteur, même lorsque
celui-ci subit l'atrocité du feu de son Maître.
L'Imam Zayn
al-'Âbidîn exprime le même amour absolu d'Allah, dans la célèbre prière de
demande - dit "Do'â' al-Sahar" - qu'il a apprise à Abû Hazah
al-Thamâlî:
«Ô par Ta
Puissance (O Seigneur), même si Tu venais à me gronder, je ne quitterais pas Ta
porte, ni ne cesserais de Te flatter. Car, vers qui pourrait se diriger le
serviteur, sinon vers son Maître!? et près de qui pourrait se réfugier la
créature, sinon chez son Créateur!? O mon Dieu! Si Tu venais à m'attacher aux
garrots, à m'interdire Ta faveur devant tout le monde, à dévoiler mes scandales
devant les yeux des serviteurs, à ordonner mon envoi en enfer, et à T'interposer
entre moi et les croyants pieux, je ne perdrais pas mon espoir en Toi, ni ne
cesserais d'espérer l'obtention de Ton Pardon, et de mon coeur Ton amour ne
sortira jamais».(25)
Poursuivons cette
description pittoresque et pathétique de l'amour d'Allah et de l'espoir mis en
Lui, qui sont enracinés dans le coeur des hommes de piété, en revenant au Do'â'
Kumayl précité de l'Imam 'Alî Ibn Abî Tâlib:
«C'est
pourquoi, je jure sincèrement, par Ton Autorité, ô Mon Maître et Mon Souverain,
que si Tu me laissais y (en Enfer) parler, j'y soulèverais auprès de ses
habitants, un vacarme semblable au vacarme de ceux qui vivent dans l'espoir, et
j'y lancerais vers Toi les cris de ceux qui crient au secours, et j'y pleurerais
sur Toi comme ceux qui pleurent leurs disparus; et je T'appellerais, où que Tu
sois,
Ô Seigneur des
fidèles!
Ô Sommet des
espoirs des connaisseurs!
Ô Secours de
ceux qui crient au secours!
Ô Aimé des
coeurs des véridiques!
Ô Dieu des
mondes!
Gloire et
louange à Toi!
Accepterais-Tu
donc d'y entendre ( en enfer) la voix d'un serviteur musulman qui y serait
emprisonné pour avoir commis une faute? et qui en subirait la torture pour
T'avoir désobéi,
et qui serait
enfermé entre ses étages pour son crime et son péché,
et qui crierait
à Ton intention comme quelqu'un qui vit dans l'espoir de Ta
Miséricorde,
et qui
T'appellerait en usant du langage monothéiste
et qui T'
implorerait par Ta Seigneurie?
Ô Mon
Souverain! Comment laisser aux supplices celui qui aspire à Ta Clémence d'antan
(ainsi qu'il espère obtenir Ta Grâce et Ta Miséricorde!)
Comment le
laisser souffrir de Ton enfer alors qu'il espère obtenir Ta Grâce et Ta
Miséricorde!
Comment le
laisser brûler par ses flammes (de l'enfer) alors que Tu entends sa voix et que
Tu le vois là-bas!
Comment le
laisser vivre sous sa chaleur (de l'enfer) alors que Tu connais sa
faiblesse!
Comment le
laisser se tordre entre ses étages alors que Tu connais sa
sincérité!
Comment le
laisser subir le mauvais traitement de ses habitants, alors qu'il T'appelle: Ô
Mon Seigneur!
Comment l'y
laisser alors qu'il attend Ta Grâce pour en être libéré!
Non, jamais
personne ne Te croira ainsi! car, ni ce qu'on sait de Ta grâce, ni la façon dont
Tu as traité les monothéistes en leur accordant Ta Bienfaisance et Tes
Bienfaits, ne permettent de le penser.
Ainsi,
j'affirme avec certitude que: si Tu n'avais pas ordonné le supplice aux
renégats, et que Tu n'avais pas condamné ceux qui T'ont désobéi à subir l'enfer,
Tu aurais transformé celui-ci en un lieu frais et paisible, et personne n'y
aurait trouvé demeure, ni lieu de détention».(26)
Quelle lecture
pourrait-on faire de l'attitude que l'Imam 'Alî s'imagine adopter au cas où il
tomberait en disgrâce? Attitude de refus de se résigner au châtiment et à la
peine encourue, puisqu'il dit que s'il venait à être condamné à l'Enfer, il ne
resterait pas les bras croisés, qu'il se mettrait à y tempêter, crier, lancer
des appels etc.!? D'aucuns penseraient tout de suite qu'une telle attitude
correspondrait bien à un trait saillant et originel de la personnalité de
l'Imam: le courage et l'héroïsme incomparables dont il a fait preuve tout au
long de sa vie et dans les champs de bataille où il n'a jamais baissé les bras
dans les situations les plus difficiles et les plus périlleuses!
Mais une telle
interprétation de l'attitude imaginaire de l'Imam est erronée et dénote une
méconnaissance de la profondeur de sa piété et de sa soumission infinie au
Créateur. La preuve en est que l'Imam commence son exposé par cette formule, au
conditionnel et non à l'indicatif, adressée à Allah: «si Tu me donnais la
parole... je crierais, tempêterais etc.», laquelle met en avant, plus sa
soumission que son héroïsme ou son courage dans la situation qui nous intéresse.
En fait, ces propos
de l'Imam et son état d'âme ici traduiraient plutôt, l'état d'un petit enfant
qui ne connaît dans son univers d'autre refuge ou protection que la tendresse,
l'affection, l'amour et la compassion de sa mère. Chaque fois qu'il a mal ou
qu'il éprouve un sentiment de détresse, il a recours à sa mère et l'appelle au
secours. Même lorsqu'il commet un geste de désobéissance envers sa mère,
laquelle le punit subséquemment, il ne trouve d'autres refuge et protection
qu'elle-même, et lui lance des appels au secours, exactement comme il le ferait
si la peine qu'il subissait provenait de quelqu'un d'autre qu'elle.
Dans cette
supplication, l'Imam 'Alî (p) nous montre qu'il ne connaît d'autre recours
qu'Allah, Lequel est son seul refuge et son seul protecteur. Et lorsqu'il
s'imagine qu'Allah lui inflige une peine ou qu'Il le condamne au supplice,(27) il
n'hésite pas une seconde à recourir à Lui et à L'appeler au secours, comme il le
fait toujours, lorsque la source de détresse vient d'ailleurs.
L'Imam Zayn
al-'Âbidîn exprime la même idée dans sa célèbre munâjât:
«Si Tu venais à
m'éconduire de Ta porte, près de qui d'autre pourrais-je me protéger!? et si Tu
venais à me refouler de Ta proximité chez qui pourrais-je trouver abri!? Ô mon
Dieu! Chez qui retourne l'esclave en fugue (fuyard) sinon à son maître!? Et qui
le soustrairait à sa colère sinon lui-même!?»(28)
Et:
«Ô mon Maître!
Je me protège dans Ta Grâce et je Te fuis pour me réfugier près de Toi!»(29)
Ou encore:
«Chez qui va
l'esclave sinon son Maître et chez qui va la créature sinon chez son
Créateur!»(30)
S'enfuir d'Allah
pour se réfugier auprès d'Allah n'est pas un paradoxe. C'est un concept qui
dénote une signification profonde de la relation du serviteur avec le Créateur.
Les sentiments que l'Imam 'Alî (p) décrit relativement à cette relation sont des
sentiments d'amour et d'espoir réels, effectifs et très sincères qui animent les
coeurs des vrais adorateurs. Dans cette séquence ou plutôt dans ce magnifique
tableau du do'a', l'Imam 'Alî ne donne pas libre cours à son imagination à
l'instar des poètes, mais exprime et décrit très exactement et très sincèrement
ses sentiments lorsqu'il se présente devant Allah. C'est pourquoi il fait suivre
ce tableau qui dessine la sollicitation du serviteur de la protection d'Allah,
par un autre tableau qui décrit le secours qu'Allah dépêche à Son serviteur.
Car, il sait d'expérience et de par sa connaissance passée de la Miséricorde et
de la Grâce d'Allah, qu'il n'est pas possible qu'Il - Il est Sublime -
désappointe ces sentiments d'espoir et d'amour, purs et sincères, du serviteur,
et qu'Il repousse son amour et déçoive ses espoirs:
«Comment
laisser aux supplices celui qui aspire à Ta Clémence d'antan (ainsi qu'il espère
obtenir Ta Grâce et Ta Miséricorde!)
Comment le
laisser souffrir de Ton enfer alors qu'il espère obtenir Ta Grâce et Ta
Miséricorde!
Comment le
laisser brûler par ses flammes (de l'enfer) alors que Tu entends sa voix et que
Tu le vois là-bas!
Comment le
laisser vivre sous sa chaleur (de l'enfer) alors que Tu connais sa
faiblesse!
Comment le
laisser se tordre entre ses étages alors que Tu connais sa
sincérité!
Comment le
laisser subir le mauvais traitement de ses habitants, alors qu'il T'appelle: Ô
Mon Seigneur!»
Non, il est
impossible et inconcevable qu'Allah déçoive l'attente de Ses adorateurs dévoués,
vu Sa Clémence et Sa Miséricorde auxquelles Il les a habitués.
Donc l'Imam 'Alî
s'applique à démontrer la Clémence et la Miséricorde du Créateur, auxquelles
s'attendent les adorateurs sincères par la Clémence et la Miséricorde dont ils
ont déjà bénéficié: «Comment laisser aux supplices celui qui aspire à Ta
Clémence d'antan!».
Notons que l'Imam
'Alî (p) est ici catégorique concernant ce volet (la ligne descendante) de la
relation du Créateur avec le serviteur, de même qu'il a été catégorique dans
l'autre volet (la ligne montante) de la relation du serviteur avec Allah. De
même qu'il ne doute pas un instant qu'il ne se départe pas de ses sentiments
d'amour infini pour Allah ni ne perde jamais son espoir en Lui, ni ne recherche
aucun autre abri ou secours que Lui, quand bien même il se trouverait en Enfer,
de même il a la certitude qu'Allah ne désappointe pas cet amour sincère du
serviteur et son espoir tenace placé en Lui. Méditons sur ce ton d'affirmation
catégorique et de certitude absolue de l'Imam 'Alî quant à l'étendue de la
Miséricorde du Créateur à laquelle l'adorateur s'attend:
«Non, jamais
personne ne Te croira ainsi! car, ni ce qu'on sait de Ta grâce, ni la façon dont
Tu as traité les monothéistes en leur accordant Ta Bienfaisance et Tes
Bienfaits, ne permettent de le penser. Ainsi, j'affirme avec certitude que: si
Tu n'avais pas ordonné le supplice aux renégats, et que Tu n'avais pas condamné
ceux qui T'ont désobéi à subir l'Enfer, Tu aurais transformé celui-ci en un lieu
frais et paisible, et personne n'y aurait trouvé demeure, ni lieu de
détention».(31)
On retrouve cette
affirmation catégorique et cette certitude absolue concernant l'amour de
l'adorateur pour son Maître et la Compassion d'Allah envers son serviteur dans
d'autres supplications de l'Imam 'Alî et de ses successeurs bénis. Ainsi dans
une célèbre Munâjât, il s'adresse à Allah dans les termes suivants:
«Ô Seigneur!
(je jure) Par Ta Puissance et Ta Gloire, je T'ai aimé d'un amour dont la douceur
s'est enracinée dans mon coeur; or le for intérieur de ceux qui croient à Ton
Unicité ne saurait concevoir que Tu puisse détester Tes amoureux».(32)
Pour sa part, son
petit-fils, l'Imam 'Alî Ibn al-Hussain dans l'une de ses munâjât dit:
«Ô mon Dieu!
Comment pourrais-Tu humilier, en la délaissant, une âme que Tu as chérie par Ton
Unicité! Ou comment pourrais-Tu brûler sous la chaleur de Tes feux une
conscience qui a contracté Ton amour!»(33)
Et dans le Do'â'
al-Sahar du mois de Ramadhân, il adresse ce monologue à Allah:
«Serait-il
imaginable que Tu puisses démentir nos idées (Te concernant), ou décevoir nos
espoirs (mis en Toi)! Non! ô Généreux! Telle n'est pas notre idée de Toi ni
notre espérance en Toi! Car ô Seigneur! Nous avons un espoir illimité en Toi et
ce que nous espérons de Toi est immense».(34)
L'état de désir et l'état de plaisir
dans l'amour
L'amour peut se
manifester sous deux formes: le désir ou le plaisir.
Les deux états
expriment l'amour mais dans deux situations différentes. L'état de désir atteint
l'amoureux lorsqu'il se trouve éloigné de celui qu'il aime, alors qu'il vit
l'état de plaisir lorsqu'il côtoie son bien-aimé.
Les deux états
s'alternent dans le coeur de l'adorateur vis-à-vis d'Allah suivant ces deux
formes de manifestation, car Allah se manifeste devant le serviteur tantôt de
loin tantôt de près. Lorsqu'Il se manifeste de loin, l'adorateur éprouve un état
de désir, et lorsqu'Il se manifeste de près («où que vous soyez, Il est avec
vous»(35),
«Nous sommes plus près de lui que la veine de son cou»(36),
«Quand Mes serviteurs t'interrogent à Mon sujet; Je suis tout près et Je
réponds à l'appel de celui qui M'appelle»(37)).
Méditons maintenant
les propos suivants, très significatifs, de l'Imam al-Mahdi dans Do'â'
al-Iftitâh:
«Louanges à
Allah dont le voile est inviolable et dont la porte ne se ferme jamais».(38)
Il y a deux sortes
de voile: le voile d'obscurité et le voile de lumière. La vue de l'homme
pourrait ne pas fonctionner soit à cause de la densité du voile d'obscurité soit
sous l'effet de la haute tension de l'ardeur (brillance, luminosité) de la
lumière. Ainsi, l'homme ne pourrait pas voir le soleil, non à cause d'une
barrière quelconque, mais en raison de la vivacité de l'ardeur du soleil qui
forme ce que nous appelons le voile de lumière.
Dans la relation de
l'homme avec Allah, le voile d'obscurité c'est l'amour de la vie d'ici-bas et la
tendance à commettre de mauvaises actions et des péchés, alors que le voile de
lumière y est tout autre chose: c'est le voile inviolable ou infranchissable,
selon l'expression du Maître du Temps, l'Imam al-Mahdi ().
Et c'est
précisément ce voile qui attise le désir et la soif d'Allah dans les coeurs des
serviteurs pieux, comme nous le décrit l'Imam Zayn al-'Âbidîn (p):
«(Ô Seigneur)
ma soif ardente ne peut être apaisée que par Ton contact, ma souffrance agitée
ne se calme que par Ta rencontre, mon désir de Toi ne s'assouvit qu'en regardant
Ta Face, mon but ne sera fixé qu'en m'approchant de Toi, mon affliction ne sera
conjurée que par Ta Miséricorde, ma maladie ne sera guérie que par Ta Médecine,
mon chagrin ne sera enlevé que par Ta Proximité, ma blessure ne sera cicatrisée
que par Ton amnistie, la rouille de mon coeur ne sera dérouillée que par Ton
Pardon! ... Ô Sommet de l'espoir de ceux qui espèrent! Ô Point de mire des
solliciteurs! Ô Zénith de la demande des demandeurs! Ô Faîte du désir des
désireux! Ô Ami des serviteurs vertueux! Ô Sécurité de ceux qui ont peur! Ô
Exaucement de la prière des nécessiteux! Ô Réserve des dépossédés! Ô Trésor des
misérables!»(39)
Le pendant de cette
manifestation divine (tajallî) est une autre sorte de théophanie: la
manifestation d'Allah devant Ses serviteurs sans qu'il y ait entre Lui et eux
une porte qui se ferme: Il écoute leurs monologues suppliants
(munâjât), et se trouve plus près d'eux que leur veine jugulaire; Il
s'interpose entre le serviteur et son coeur et rien de ce qui se passe dans les
coeurs des adorateurs ne Lui échappe. Et là, le serviteur pressent la présence
de son Maître, craint de Lui désobéir ou de commettre ce qui pourrait Lui
déplaire, éprouve un plaisir de L'invoquer et se livre à Lui par des monologues
suppliants et Lui adresse des implorations et des prières et prolonge
inlassablement sa station devant son Bien-Aimé Créateur.
En effet, il est de
notoriété publique que lorsqu'on se trouve en présence d'une personne qu'on aime
et affectionne, le temps passe vite et on n'éprouve aucune lassitude ni ennui.
Que dire alors quand nous sentons Allah tout près de nous, en train de nous
écouter, nous voir, entendre nos prières et supplications: «Où que vous
soyez, Il est avec vous. Dieu voit parfaitement ce que vous faites!»(40) et que
nos invocations nous apportent un apaisement et une quiétude que nous ne
pourrons retrouver dans n'importe quelle autre situation: «N'est-ce pas au
rappel d'Allah que les coeurs se tranquillisent!?»(41)
L'Imam al-Mahdi ()
dit dans son Do'â' al-Iftitâh:
«Aussi me
suis-je mis à T'appeler en toute confiance, et à Te solliciter avec gaieté, sans
peur ni crainte, exigeant de Toi avec familiarité ce pour quoi j'étais venu vers
Toi».(42)
Sans doute, cet
état de plaisir, de sécurité et de quiétude qu'éprouve l'adorateur lorsqu'il se
sent près d'Allah représente-t-il l'un des meilleurs états du serviteur
vis-à-vis de son Seigneur. Néanmoins, il ne constitue pas l'idéal dans la
relation de l'homme avec Allah. Il doit être associé à l'état de désir pour
qu'il soit complet, équilibré et harmonieux.
En effet, ces deux
états prévalent dans l'adoration des serviteurs pieux et proches d'Allah et dans
leur relation avec Lui. Mais tantôt c'est l'état de désir qui constitue le trait
marquant de cette relation et cette adoration, tantôt c'est l'état de plaisir
doux, de quiétude et de sécurité, et tantôt tous les deux; et c'est ce dernier
état qui devrait prédominer notre relation avec Allah, car il est plus
harmonieux et plus équilibré.
Observons à cet
égard l'Imam Zayn al-Âbidîn (p) à travers ces différentes supplications qui nous
en fournissent la meilleure illustration:
- Hammâd Ibn
al-'Attâr al-Kûfî témoigne: «Alors que je voyageais avec une caravane pour le
pèlerinage, une tempête noire et ténébreuse s'est soulevée. La caravane se
disloqua et je m'égarai dans le désert et parvint enfin à une vallée déserte. À
la tombée de la nuit, je m'abritai sous un arbre. Lorsque l'obscurité
s'intensifia, je vis venir un jeune homme portant des vêtements blancs usés et
exhalant un parfum de musc. Je me dis alors que c'était sûrement un ami d'Allah,
et qu'il pourrait s'en aller s'il découvrait ma présence. Aussi restai-je
immobile et évitai-je de faire le moindre mouvement afin de ne pas le faire fuir
et de ne pas l'empêcher d'accomplir ce pour quoi il était venu. Le jeûne homme
s'approcha de l'endroit (où je me trouvai) et se prépara à la prière. Il s'éleva
soudain et se mit à implorer:
"Ô Toi qui as
acquis toutes choses par Ta Royauté et vaincu toutes choses par Ta Puissance!
Fais entrer dans mon coeur la joie de Ton désir et insère-moi dans le rang de
Tes serviteurs obéissants".
»Après quoi il
accomplit la prière. Puis lorsque l'obscurité se dissipa, il bondit, se mit
debout et supplia:
"Ô Toi vers Qui
les solliciteurs se sont dirigés pour en trouver le meilleur Guide, et près de
Qui les gens terrifiés sont venus s'abriter pour en découvrir le meilleur
Pourvoyeur de faveurs et à Qui les adorateurs ont fait appel pour en constater
le meilleur donateur! Ô mon Dieu! Quand a-t-il connu le repos celui qui a confié
à quelqu'un d'autre que Toi son corps! Et quand a-t-il connu la joie celui qui a
destiné à quelqu'un d'autre que Toi son intention!..."».(43)
- Al-Açma'î relate:
«Une nuit, alors que j'accomplissais le tawâf (tour) de la Ka'bah je
vis un jeune homme aux bonnes manières s'accrocher aux rideaux de la Ka'bah en
priant:
"Les yeux se
sont endormis et les étoiles se sont hissées, alors que Toi, le Vivant, le
Subsistant, Ta porte reste ouverte aux solliciteurs pendant que les rois ont
fermé les leurs en les faisant surveiller par leurs gardes. Je suis venu donc
près de Toi pour que Tu me regardes avec Ta Miséricorde, ô Toi le plus
Miséricordieux des miséricordieux!".
»Puis il récita ces
vers:
"Ô Toi qui
exauces la prière du nécessiteux dans l'obscurité! Ô Toi qui conjures le mal,
les épreuves et les maladies!
Tes pèlerins se
sont tous déjà endormis, et Toi, Tu es le seul à ne pas dormir, ô Subsistant!
Je Te prie, ô
Seigneur, comme Tu nous l'as demandé! Aie donc pitié de mes pleurs, par l'amour
de la Maison et du Sanctuaire!
Car, si un
ignorant ne pouvait espérer Ton Pardon, qui accorderait alors les bienfaits aux
désobéissants!?"
»En le suivant j'ai
su que c'était l'Imam Zayn al-Âbidîn».(44)
Tâwûs
al-Faqîh rapporte: «J'ai vu l'Imâm al-Sajjâd faire le tawâf de la Ka'bah et
accomplir des actes d'adoration depuis la tombée de la nuit jusqu'à la fin de la
nuit. Lorsqu'il n'y vit plus personne, il regarda le ciel et dit:
"Par Ta
Puissance et Ta Gloire! Je n'ai pas cherché à m'opposer à Toi lorsque j'ai
commis un acte de désobéissance. Ce n'est pas par doute à Ton égard, ni par
ignorance de l'exemplarité de Ta punition, ni par défi à Ton Châtiment, que je
T'ai désobéi, mais par un caprice de mon âme conjugué avec le voile par lequel
Tu couvres mes méfaits! Et à présent qui pourrait me soustraire à Ta torture!?
Et à quelle corde je pourrais m'accrocher, si Tu venais à me détacher de la
Tienne!? Quel malheur m'attendrait demain: lorsque je serai présenté devant Toi
et qu'on dira aux gens au livret de péchés allégé: "passez" et à ceux au livret
de péchés chargé: "descendez!" Passerai-je avec les "allégés" ou descendrai-je
avec les "chargés"!? Malheur à moi! Plus je vis plus longtemps, plus mes péchés
augmentent sans que je me repente! N'est-il pas temps que j'ai honte devant mon
Seigneur!?"
»Puis il pleura et
récita ces vers:
"Me brûles-Tu
au Feu, ô Sommet des espoirs!? Qu'adviendrait-il alors de mon espoir, et puis de
mon amour!?
J'ai commis des
actes détestables par désinvolture, et un crime comme le mien n'est perpétré par
aucune autre créature".
»Ensuite il pleura
encore et implora:
"Gloire à Toi!
On Te désobéit comme si on ne Te voyait pas, alors Tu Te montres Clément comme
si Tu n'étais pas désobéi! Tu recherches l'amitié de Tes créatures par Ta
Bienfaisance, comme si Tu avais besoin d'elles, alors que Tu Te passes
absolument d'elles, o mon Seigneur!?"
»Après quoi, il se
prosterna. Je m'approchai alors de lui, relevai sa tête et la déposai sur mon
genou et me mit à pleurer jusqu'à ce que mes larmes aient coulé sur sa joue. Là,
l'Imam (p) redressa son buste et s'assit en me demandant: "Qui est celui qui a
interrompu mes invocations d'Allah?". "Je suis Tâwûs, ô fils du Messager
d'Allah. Pourquoi toute cette angoisse et toute cette crainte!? C'est à nous de
faire ce que tu fais, parce que nous sommes pécheurs et désobéissants, alors que
toi, tu as pour père al-Hussain Ibn 'Alî, pour mère Fâtimah al-Zahrâ' et pour
grand-père le Messager d'Allah", lui dis-je. L'Imam me répliqua: "Jamais!
Jamais! Ô Tâwûs! Ne me parle pas de mon père, de ma mère et de mon grand-père.
Allah a créé le Paradis et l'a destiné à quiconque Lui obéit, serait-il un
esclave abyssin, et Il a créé l'Enfer en le destinant à quiconque lui désobéit,
serait-il un Noble (Sayyid) de Quraych. N'as-tu pas entendu cette Parole
d'Allah: Quand on soufflera dans la trompette, ce Jour-là, il ne sera plus
question, pour eux, de généalogies et ils ne s'interrogent plus. (sourate
23, verset 101). Par Allah, demain rien ne te sera utile, si ce n'est une bonne
action que tu auras accomplie"».(45)
Les do'â' et les
entretiens intimes (munâjât) attribués aux Imams d'Ahl-ul-Bayt (p), et
notamment les quinze célèbres munâjât de l'Imam Zayn al-'Âbidîn
(al-Sajjâd), cités par al-Majlicî dans "Bihâr al-Anwâr" sont riches en ce
genre d'images vivantes et mouvantes qui expriment le plaisir et le désir.
Citons, avant de
conclure ce chapitre, quelques-unes de ces images très évocatrices qui
constituent le domaine quasi exclusif des Imams d'Ahl-ul-Bayt et un trésor
unique en son genre:
«Seigneur! Qui
donc ayant goûté aux délices de Ton Amour pourrait désirer un autre que
Toi!?
Qui donc ayant
joui du plaisir de Ta Proximité chercherait un autre que Toi!?
Ô Mon Dieu!
Donne-nous d'être au nombre de ceux que Tu as élus pour Ta Proximité et pour Ton
Amitié,
que Tu as fait
se réserver à Ton amour et à Ton affection,
que Tu as fait
désirer Ta rencontre et agréer Ta Volonté,
et à qui Tu as
permis de regarder Ta Face,
que Tu as
favorisés par Ta Satisfaction et mis à l'abri de Ton abandon et de Ta haine,
à qui Tu as
préparé la place de Vérité à Tes côtés,
que Tu as
réservés pour Ta connaissance,
que Tu as
qu'Alîfiés pour Ton adoration,
dont Tu as
rendu le coeur passionné de Ta Volonté,
que Tu as fait
aimer et inspirer Ton invocation,
que Tu as
amenés à être reconnaissants envers Toi et occupés à Ton
adoration,
que Tu as
rendus de bons serviteurs parmi Tes créatures,
que Tu as
choisis pour s'adonner aux entretiens intimes (munâjât) avec Toi, dont Tu as
coupé toutes attaches qui pourraient les éloigner de Toi.
Ô
Seigneur!
Fais que nous
soyons au nombre de ceux qui ont l'habitude de trouver l'apaisement auprès de
Toi et s'attendrir pour Toi, qui passent leur vie en soupirs et gémissements,
dont les fronts sont prosternés devant Ta Grandeur, dont les yeux veillent à Ton
service, dont les larmes coulent par Ta crainte, dont les coeurs sont attachés à
Ton amour et les viscères arrachées par peur de Ta Colère.
Ô Toi dont les
rayonnements de la Sainteté brillent pour les regards de ceux qui T'aiment et
dont la Lumière désire les coeurs de ceux qui Te connaissent!
Ô Voeu des
coeurs des désireux! Ô sommet des espoirs des connaisseurs (d'Allah)! Je
sollicite auprès de Toi Ton amour et l'amour de ceux qui T'aiment, ainsi que
l'amour de toute action qui me conduira à Ta proximité.
Fais que je
T'aime plus que tout autre, que mon amour pour Toi soit un guide vers Ton
agrément, que mon désir de Toi soit un rempart contre Ta
désobéissance.
Accorde-moi la
faveur de (pouvoir) Te regarder. Regarde-moi avec affection et compassion et ne
détourne pas de moi Ton visage».(46)
Dans cette séquence
de sa munajât, l'Imam al-Sajjâd demande à Allah trois faveurs de la
plus haute importance.
Il Lui demande tout
d'abord de le choisir pour Sa Proximité, de dépouiller son coeur de toute
affection en dehors de son amour pour Lui, de lui permettre de regarder Sa Face,
de lui inspirer Son invocation, de couper toutes ses attaches susceptibles de
l'éloigner de Lui etc.
Ce début est
nécessaire pour la réalisation de la demande que l'Imam formule à l'adresse du
Seigneur, à savoir le mouvement vers la Proximité d'Allah, car il est
indispensable que le serviteur demande au Créateur de lui accorder les moyens de
ce mouvement ou les clés qui ouvrent le passage vers Lui.
En effet
lorsqu'Allah accorde à un serviteur une faveur, Il lui donne le moyen d'y
accéder. Or les portes par lesquelles l'homme entre pour partir au sommet de la
rencontre avec le Seigneur et pour pouvoir regarder Sa Face sont:
1- Le dépouillement
du coeur de toute passion et de tout amour de la vie d'ici-bas, de toute
préoccupation d'ordre mondain ou terrestre, et de tout attachement à ce monde,
et c'est ce que les uléma appellent le vidage (takhliyah), ou le fait
de vider le coeur de tout souci et de tout attachement relatifs à quelque chose
d'autre que Lui. La meilleure illustration en est ce passage des
munâjât précités de l'Imam al-Sajjâd:
«Donne-nous
d'être au nombre de ceux que Tu as fait se réserver à Ton amour et à Ton
affection.
Donne-nous
d'être au nombre de ceux que Tu as fait ne regarder que Toi et dont Tu as
dépouillé le coeur (de tout amour qui ne soit pas) pour Toi.
Fais que nous
soyons au nombre de ceux dont Tu as coupé toutes attaches qui pourraient les
éloigner de Toi».
2- Le deuxième
point dans ce début est selon le jargon des scolastiques, le
(tahliyah), c'est-à-dire l'octroi de tout ce qui est positif,
par opposition au premier point dit (takhliyah) - le dépouillement de
tout ce qui est négatif - . En effet, ici, l'Imam (p) demande à Allah de lui
accorder les faveurs suivantes:
«Donne-nous
d'être parmi ceux que Tu as fait agréer Ta Volonté, à qui Tu as accordé Ta
Satisfaction, que Tu as réservés pour Ta connaissance, que Tu as qu'Alîfiés pour
Ton adoration, que Tu as fait désirer ce que Tu possèdes, à qui Tu as inspiré
Ton invocation, que Tu as amenés à être reconnaissants envers Toi et occupés à
Ton culte, que Tu as rendus de bons serviteurs parmi Tes créatures, que Tu as
choisis pour s'adonner aux entretiens intimes (munâjât) avec Toi. Et fais que
nous soyons au nombre de ceux dont les fronts sont prosternés devant Ta
Grandeur, dont les yeux veillent à Ton service, dont les larmes coulent par Ta
crainte, dont les coeurs sont attachés à Ton amour et les viscères arrachées par
peur de Ta Colère».
Donc ce début, par
ses deux points, constitue la clé du mouvement vers Allah et le point de départ
de l'homme vers la réalisation de son but suprême, la rencontre d'Allah.
La deuxième demande
découle de la première et constitue l'étape intermédiaire du mouvement montant
vers Allah, étape sans laquelle l'homme ne saurait se mouvoir vers Lui ni
parvenir à Sa Proximité «dans un séjour de Vérité, auprès d'un Roi
Tout-Puissant».(47)
Le vaisseau qui
transporte l'homme vers ce but que tout véridique, tout Prophète, tout serviteur
pieux et tout martyr désirent ardemment atteindre, est l'amour et le
désir d'Allah et le plaisir de se sentir près de Lui, amour désir et
plaisir sans lesquels le serviteur ne pourra espérer atteindre à cette place
sublime près de Lui. Or cet amour et ce désir d'Allah et ce sentiment de plaisir
que l'homme éprouve auprès de Lui sont des dons d'Allah: Il les accorde à ceux
qu'Il élit et choisit parmi Ses créatures.
Aussi l'Imam
al-Sajjâd (p) insiste-t-il sur cette demande et implore-t-il Allah par
différents moyens d'expression d'y accéder, notamment en Lui lançant cet appel
pathétique et en s'adressant à Lui par ce merveilleux vocatif: «Ô Voeu des
coeurs des désireux! Ô Sommet des espoirs des aimants!», pour Le supplier
de le faire L'aimer, de le faire aimer tous ceux qui L'aiment et de le faire
aimer toute action susceptible de le rapprocher de Sa Proximité.
D'autres images du désir et du
plaisir dans les Do'â' de l'Imam
al-Sajjâd (p):
«Mon Dieu! Je
Te demande donc (de nous indiquer) les sentiers qui conduisent à Toi, de nous
faire emprunter le plus court chemin qui mène vers Toi; écourte pour nous la
distance, facilite pour nous l'ardu et le difficile, fais-nous rejoindre ceux de
Tes serviteurs qui accourent promptement vers Toi, qui frappent continuellement
à Ta Porte, qui accomplissent jours et nuits Ton culte, en tremblant devant Ta
Majesté, ceux pour qui Tu as purifié les sources, comblé les désirs, satisfait
les demandes, assouvi, par Ta Grâce, les besoins, ceux dont Tu as rempli les
coeurs de Ton amour, ceux que Tu as désaltérés de Ta boisson pure, et qui grâce
à Toi ont accédé au plaisir de Tes munâjat (entretiens intimes), et de Toi ont
obtenu l'accession au sommet de leur buts recherchés.
Ô Toi qui viens
à la rencontre de ceux qui se dirigent vers Toi, et qui reviens sans cesse vers
eux pour leur prodiguer Tes faveurs; Ô Toi qui Te montres Clément et
Compatissant envers ceux qui négligent de T'invoquer, et qui les attires vers Ta
porte avec affection et amabilité! Je Te demande de me réserver le plus grand
lot des faveurs que Tu leur accordes, la plus haute position auprès de Toi que
Tu leur destines, la plus grande part de Ton amour (que Tu leur montres), et la
plus grande partie de Ta connaissance (que tu leur autorises).
Car c'est sur
Toi seul que s'est concentrée ma pensée, c'est vers Toi seul que s'est dirigé
mon désir, c'est Toi seul, et personne d'autre, que je veux et c'est pour Toi
seul à l'exclusion de tout autre que je veille et je ne dors pas. Ta rencontre
est ma consolation, Ton contact vaut mon âme. C'est Toi qui me manques, Ton
amour est ma passion et mon ardente affection, Ta satisfaction est tout ce que
je recherche, Te voir est mon besoin, être à Ta proximité est l'objet de ma
sollicitude, et être à Tes côtés est tout ce que je demande. J'éprouve le repos
et l'apaisement dans mes entretiens intimes avec Toi, et en Toi je trouve le
remède de mon malaise, l'apaisement de ma soif ardente et la délivrance de mon
adversité. Sois donc mon compagnon dans ma solitude, Celui qui me relève lorsque
je trébuche, Celui qui me pardonne lorsque je commets une faute, Celui qui
accepte ma repentance, Celui qui répond à mon appel, Celui qui se charge de ma
protection, et Celui qui supplée à mon indigence. Ne coupe pas mes liens avec
Toi ni ne m'éloigne de Toi, ô mes délices et mon paradis, ô Toi qui représentes
tout pour moi dans ma vie présente et dans ma Vie future».(48)
Cet auguste extrait
d'entretien intime constitue un morceau d'anthologie dans la littérature de
munâjât et de do'â'. Il brosse un portrait très expressif de l'adresse
des Imams d'Ahl-ul-Bayt au Créateur et de la profondeur de leurs sentiments
d'amour envers Lui. Il est, en tout cas, superflu de commenter ce
munâjât riche en expressions, en images et en figures, car son
éloquence se passe de commentaire. Nous nous contentons toutefois de passer en
revue rapidement certaines images et idées de l'amour divin qu'il recèle.
Au début, l'Imam
al-Sajjâd demande à Allah de lui tendre la main pour le conduire vers Lui-Même.
Tel est en fait l'essentiel et le plus important de sa requête.
Remarquons tout
d'abord que dans ce do'â', l'Imam al-Sajjâd ne sollicite aucune faveur, aucun
avantage, aucun bienfait dans ce monde ni dans l'Au-delà, bien qu'une telle
sollicitation soit tout à fait légitime et aimée d'Allah. Il demande seulement
la proximité d'Allah et une place auprès de Lui à côté des véridiques, des
martyrs et des Prophètes.
Notons ensuite
qu'il dit: «Mon Dieu! Je Te demande donc (de nous indiquer) les sentiers qui
conduisent à Toi» (au pluriel) et non "le sentier" (au singulier).
Pourquoi? On sait que le Chemin (al-Çirât) conduisant à Sa
Majesté est unique, et non multiple, puisque le saint Coran n'en mentionne qu'un
partout où il est question de çirât:
«Guide-nous
dans le droit Chemin, le Chemin de ceux que Tu as comblés de faveurs, non pas de
ceux qui ont encouru Ta Colère, ni des égarés».(49)
«Allah guide
qui Il veut vers le droit Chemin».(50)
«Et Il les
guide vers le droit Chemin».(51)
«Nous les avons
choisis et guidés vers le droit Chemin».(52)
En revanche, le mot
sentier (sabîl) est mentionné au pluriel de nombreuses fois, aussi bien
lorsqu'il s'agit de bons sentiers que les mauvais sentiers:
«Allah guide
aux chemins du salut ceux qui cherchent son agrément».(53)
«Et ne suivez
pas les sentiers qui vous écartent de Sa voie».(54)
«Et suivez les
sentiers de votre Seigneur, rendus faciles pour vous».(55)
«Et
qu'aurions-nous donc à ne pas placer notre confiance en Allah, alors qu'Il nous
a guidés sur les sentiers».(56)
«Et quant à
ceux qui luttent pour notre cause, Nous les guiderons certes sur Nos sentiers.
Allah est en vérité avec les bienfaisants».(57)
En effets, Allah a
laissé aux gens la possibilité d'emprunter une multitude de moyens, voies ou
sentiers pour parvenir à Lui. Selon une opinion admise par les uléma: les voies
menant à Allah sont aussi nombreuses que les souffles des créatures.
Certes toutes ces
voies courent (se trouvent) sur le Chemin droit d'Allah, mais le Créateur a
permis à chaque serviteur de Le connaître et de se diriger vers Lui par un moyen
différent. Ainsi, il y a des gens qui s'orientent vers Allah par la Science et
l'intellect ('aql), d'autres par le coeur et le for intérieur, d'autres
encore en commerçant et en traitant directement avec Lui. Ceci dit, il est
indéniable que le meilleur moyen de connaître Allah est l'échange ou le
"commerce" direct avec Lui. En effet Allah dit:
«Ô vous les
croyants! Vous indiquerai-Je un marché qui vous sauvera d'un châtiment
douloureux?»(58)
Et
«Il en est un,
parmi les gens, qui s'est vendu lui-même pour plaire à Allah. Allah est bon
envers Ses serviteurs».(59)
Donc lorsque l'Imam
al-Sajjâd demande à Allah de l'amener vers les voies, et non une voie, qui
conduisent à Lui, il cherche à s'assurer qu'il parviendra à la bonne porte, car
plus les moyens qui conduisent à Allah sont nombreux, plus on a la chance
d'arriver à Sa proximité et à Ses côtés.
Puis l'Imam
al-Sajjâd implore le Miséricordieux de le faire se joindre à Ses serviteurs
pieux qui étaient prompts et les premiers à Lui obéir, qui passaient le jour et
la nuit à accomplir le culte, qui ont traversé la voie avec détermination et
sincérité et qui sont tombés en martyrs, chemin faisant.
Car il sait que
parvenir à cette haute position sublime auprès du Très-Haut requiert le
déploiement de grands efforts et la traversée d'une longue route difficile.
Aussi supplie-t-il Allah de lui raccourcir la distance et de lui aplanir les
difficultés de ce long périple en le joignant aux serviteurs pieux (lui, qui est
pourtant, l'Imam et le guide des serviteurs pieux) qui l'y ont précédé, sachant
que la compagnie de serviteurs dévoués sur une route difficile est à même de
renforcer la détermination des membres de la caravane de poursuivre ce voyage
éprouvant:
«Fais-nous
emprunter le plus court chemin qui mène vers Toi; écourte pour nous la distance,
facilite pour nous l'ardu et le difficile, fais-nous rejoindre ceux de Tes
serviteurs qui accourent promptement vers Toi, qui frappent continuellement à Ta
Porte, et qui accomplissent jours et nuits Ton culte».
Les importations et les exportations du
coeur
La manière dont
l'Imam al-Sajjâd décrit ces serviteurs pieux auxquels il demande à Allah de le
joindre mérite réflexion et méditation: «ceux pour qui Tu as purifié les
sources, comblé les désirs(...), ceux dont Tu as rempli les coeurs de Ton amour,
ceux que Tu as désaltérés de Ta boisson pure etc.».
Notons que cette
boisson limpide et pure dont Allah les désaltère dans la vie d'ici-bas est la
boisson de "l'amour", de "la certitude", de "la sincérité", du "savoir"... et le
récipient qui la renferme est le coeur.
Certes, Allah a
favorisé l'homme de nombreux récipients pour le savoir, la certitude et l'amour,
mais le coeur est de loin le meilleur d'entre eux. Ainsi, si Allah purifie pour
Son serviteur la boisson de son coeur, et le désaltère d'une boisson limpide et
pure, ses actes, ses paroles et sa production seront aussi pures et limpides.
Car il y a entre
les importations et les exportations du coeur une ressemblance et une
correspondance certaines: si les premières sont pures, les secondes le seront
aussi; c'est dire que l'action, la parole, les opinions, la morale et la
production du serviteur seront purs aussi. En revanche, si ses importations sont
impures, troubles et empreinte des inspirations sataniques, ses exportations
seront à n'en pas douter aussi impures et ne produiront que mensonges,
hypocrisie, avarice et rejet d'Allah et de Son Prophète (P).
En effet le
Messager d'Allah (P) dit: «Il y a dans le coeur deux troupes: une troupe émanant
du Roi, elle est l'augure du bien et l'approbation de la Vérité, et une troupe
émanant de l'ennemi, elle est l'annonce du mal et le démenti de la Vérité.
Quiconque constate la présence de la première, qu'il sache qu'elle provient
d'Allah, et quiconque constate la présence de la seconde, qu'il invoque la
protection d'Allah contre le Satan». Et le Prophète (P) de réciter ce verset
coranique: «Le Diable vous fait craindre l'indigence et vous commande des
actions honteuses; tandis Qu'Allah vous promet pardon et faveur venant de
Lui». (Sourate al-Baqarah, 2: 268)(60)
Ne voit-on pas
comment les abeilles produisent un miel doux et pur, appétissant et médicinal,
lorsqu'elles se nourrissent du nectar des fleurs, alors que leur miel ne sera
pas pur, lorsqu'elles se nourrissent des sources impures.
Allah dit de Ses
Prophètes Ibrâhîm, Ishâq et Ya'qûb (p):
«Mentionne
Abrâhâm, Isaac et Jacob, Nos serviteurs doués de force et de clairvoyance. Nous
les avons purifiés tout spécialement en leur rappelant la demeure éternelle. Ils
se trouvent auprès de Nous, parmi les meilleurs élus».(61)
Ce don (la force et
la clairvoyance) dont Allah a favorisé ces grands Prophètes est justement le
produit de cette boisson pure qu'Allah leur avait accordée: «Nous les avons
purifiés tout spécialement en leur rappelant la demeure éternelle».
Car si Allah ne les
avait pas purifiés tout spécialement par le rappel de la demeure éternelle, ils
n'auraient eu ni force ni clairvoyance.
Moralité: pour que
l'action de l'homme soit pure, il est nécessaire que sa boisson le soit aussi,
car le coeur ne produit que ce qu'il reçoit.
Le fondement du libre
choix
Nous avons expliqué
la vérité de l'existence de corrélation et de correspondance entre les
importations et les exportations du coeur. Mais cette vérité n'est pas forcément
la négation du fondement du libre arbitre qui constitue la base ou le fondement
de beaucoup de concepts et d'idées coraniques. En d'autres termes, cette vérité
ne signifie pas que le coeur soit un récipient vide qui reçoit et produit
passivement tout le bien et le mal qui y est versé. Loin de là, le coeur est un
récipient conscient qui sait ce qu'il reçoit et distingue la Vérité d'avec le
Faux, le Bien d'avec le Mal. On a là un autre fondement (la conscience du coeur)
de la pensée islamique. Et c'est de ce fondement et de ce libre arbitre que
dépendent beaucoup de questions, de fondements et conceptions islamiques.
Beaucoup de textes
islamiques soulignent le rôle conscient du coeur dans la vie de l'homme et sa
capacité à distinguer le Vrai du Faux.
Ainsi, on rapporte
que le Prophète Dâwûd (p) s'est adressé à son Seigneur, lors d'un entretien
intime, par les propos suivants: «Ô mon Dieu! Tout Roi possède un trésor. Où
sont donc les Tiens?» Allah - Il est sublime - lui a répondu:
«J'ai ce qui est
plus grand que le Trône, plus large que le Siège (kursî), plus doux que
le Paradis, plus paré que le malakût. Son sol est le savoir, son ciel est la
Foi, son soleil est le désir, sa lune est l'amour, ses étoiles sont les idées,
son nuage est la Raison, sa pluie est la Miséricorde, ses arbres sont
l'obéissance, ses fruits sont la sagesse. Il a quatre piliers: la confiance, la
réflexion, le plaisir et le rappel, et quatre portes: la science, la sagesse, la
patience, et la satisfaction. C'est le coeur».
Comme on peut le
constater, le texte dans ses deux composants (la question et la réponse) emploie
un langage de symboles, dont l'utilisation est courante dans les textes
islamiques.
On rapporte
également qu'Allah dit au Prophète Mûsâ (p):
«Ô Mûsâ! Dépouille
ton coeur pour Moi, car J'ai fait de ton coeur le domaine de Mon amour, J'y ai
étalé une terre de Ma connaissance, construit un soleil de Mon désir, fait
briller une lune de Mon affection, mis une source de réflexion, fait tourner un
vent de Ma réussite, fait tomber une pluie de Ma faveur, planté une plante de Ma
Véracité, fait pousser des arbres de Mon obéissance et J'y ai érigé des
montagnes de Ma certitude ...».
Comme le précédent,
ce texte utilise aussi un langage symbolique, et tous les deux dénotent et
mettent en évidence le rôle conscient du coeur et sa capacité à distinguer la
Vérité du Faux et la Guidance de la Perdition.
Retour aux munâjât
Dans une autre
séquence du munâjât que nous avons présenté, l'Imam attire notre
attention sur un autre aspect de l'immense Bonté divine: Allah vient vers celui
qui vient vers Lui et le protège par Sa Grâce; Il est Compatissant et Clément
envers celui qui L'oublie et Il efface cet oubli en l'attirant vers Lui par
l'affection qu'il Lui montre:
«Ô Toi qui
viens à la rencontre de ceux qui se dirigent vers Toi, et qui reviens sans cesse
vers eux pour leur prodiguer Tes faveurs; Ô Toi qui Te montres Clément et
Compatissant envers ceux qui négligent de T'invoquer, et qui les attires vers Ta
porte avec affection et amabilité!»
Puis l'Imam
al-Sajjâd (p) formule à l'adresse du Miséricordieux une demande qui nous laisse
interrogateurs: il implore Allah de lui réserver la plus grande part de Sa
Miséricorde qu'Il accorde aux serviteurs pieux et dévoués, la plus haute
position auprès de Lui qu'Il leur destine etc.:
«Je Te demande
de me réserver le plus grand lot des faveurs que Tu leur accordes, la plus haute
position auprès de Toi que Tu leur destines, la plus grande part de Ton amour
(que Tu leur montres), et la plus grande partie de Ta connaissance (que tu leur
autorises)».
Au début, l'Imam
demandait à Allah de le joindre à la caravane des serviteurs pieux, mais le
voilà maintenant qui rehausse d'un cran sa requête et souhaite que le Seigneur
lui réserve auprès de Lui la plus haute position qu'Il leur impartit. Comment
concilier entre les deux demandes? Que s'est-il passé à l'intérieur de l'Imam,
dans son coeur et son esprit, au cours du même do'â', pour qu'une telle
gradation et un tel saut se produisent dans sa demande?
La réponse à cette
interrogation requiert l'explication de l'un des secrets de la Prière de demande
(do'â').
En effet Allah nous
a appris à ne pas être parcimonieux dans nos requêtes et de ne pas être avares
dans nos sollicitations, ayant affaire au Maître généreux. Que c'est vilain que
de se montrer avare dans la demande lorsque l'Être sollicité est la Générosité
même et que les trésors de Sa Miséricorde sont inépuisables, illimités! Et
d'autant plus que la profusion de Ses dons ne fait qu'augmenter Sa Générosité et
Sa Largesse!
Par ailleurs, on
comprend mieux la demande de l'Imam al-Sajjâd (p) d'être privilégié dans la
position qu'Allah réserve à Ses serviteurs dévoués, lorsqu'on sait qu'Allah nous
a enseigné comme règle de politesse de Lui demander de nous placer au devant des
croyants pieux: «Et fais de nous un guide (imam, celui qui se met devant)
pour les pieux». (Sourate al-Forqân, 25: 74)
En outre, on trouve
dans de nombreux do'â' des Imams d'Ahl-ul-Bayt (p) cette formule adressée au
Seigneur:
Le do'â' et son
sommet
Beaucoup de prières
de demande ont un fond et un sommet. Le fond représente la position du serviteur
avec tous les méfaits et les péchés qu'il a commis, alors que le sommet incarne
légitimement ses espoirs et ses ambitions en Allah dont la Largesse, la
Générosité et les trésors de sa Miséricorde sont illimités et inépuisables.
L'Imam Zayn al-'Âbidîn al-Sajjâd (p) nous fait sentir cette distance
psychologique entre le sommet et le fond dans Do'â' al-Sahar précité:
«Ô Maître, lorsque je vois mes péchés, je suis terrifié, et lorsque je vois
Ta Noblesse, je la convoite». Et, «Ô Mon Seigneur! Mon espoir est grand
et mon action est mauvaise; accorde-moi donc de Ton Pardon ce qui correspond à
mon espoir, et ne me tiens pas rigueur de ma mauvaise action».
Dans le do'â'
Kumayl, l'Imam 'Alî (p) commence par le fond et implore:
«Ô Mon Dieu! je
ne vois personne d'autre que Toi pardonner mes péchés, dissimuler mes vilenies
et transformer ma mauvaise action en bon acte. Point de divinité, si ce n'est
Toi! Gloire et Louange à Toi! Je me suis rendu injuste envers moi-même et j'ai
osé (transgresser Ta Loi) par mon ignorance; et j'ai fait appel au souvenir que
Tu avais de moi et à la faveur que Tu m'avais toujours accordée (pour mon
pardon). Ô Mon Dieu! Ô Mon Maître! Combien de mes actes détestables Tu as
couverts, et combien de calamités Tu m'as épargnées! et combien de trébuchements
Tu m'as évités, et combien de malheurs Tu as éloignés de moi, et combien de
belles louanges (à mon égard) Tu as propagées! Ô Mon Dieu! mon malheur s'est
aggravé, mon état a empiré, mes bonnes actions se sont réduites, mes chaînes
m'ont entravé, mes espérances démesurées m'empêchent de me rendre utile, ce
bas-monde m'a trompé par sa vanité, et mon âme, par sa trahison et mes
atermoiements. C'est pourquoi, je Te demande, ô Mon Maître, par Ta Gloire, de
faire en sorte que mes mauvaises actions et mes péchés n'empêchent pas mon
invocation de parvenir à Toi, et de ne pas dévoiler ce que Tu connais de mes
secrets».
Ce fond est le
niveau le plus bas de la servitude avec tout ce qu'elle comporte de mal et de
négatif. Puis il remonte pour atteindre le sommet de l'ambition qui incarne le
grand espoir du serviteur dans la large Miséricorde d'Allah:
«Donne-moi la
possibilité de Te craindre révérenciellement, et d'être à Ta disposition
continuellement, afin que je sois parmi ceux qui rivalisent dans leur course
vers Toi, et le plus rapide de ceux qui accourent pour s'approcher de Toi, et
que je Te craigne comme tous les croyants convaincus, et afin que je rejoigne
auprès de Toi, les gens pieux. Ô Mon Dieu, si quelqu'un me voulait du mal,
rends-le-lu, fais de moi le meilleur de Tes serviteurs, le plus proche de Toi et
Ton fidèle le plus dévoué. Car une telle faveur, on ne peut l'obtenir que par Ta
Grâce».
Ce voyage du "fond"
au "sommet" exprime le mouvement de l'homme vers Allah. C'est le voyage de
l'espoir, de l'espérance et de l'ambition. Et lorsque l'homme place son espoir
et son ambition en Allah, son voyage n'a pas de fin, ni de limite.
Dans ce voyage,
l'Imam 'Alî al-Sajjâd (p) prie Allah par trois moyens, conformément à la volonté
d'Allah qui nous commande de Lui demander les moyens d'aller à Lui:
«Ô vous qui
croyez! Craignez Allah et recherchez les moyens de vous rapprocher de Lui!
Combattez pour Sa Cause! Peut-être serez-vous heureux».(62)
«Ceux-là mêmes
qu'ils invoquent, recherchent le moyen de se rapprocher de leur
Seigneur».(63)
Les moyens que
l'Imam demande à Allah dans ce voyage sont: le besoin, la demande et l'amour.
Quelle pertinence! Ce maître incontesté du Do'â' sait parfaitement ce qu'il
demande à Allah, comment demander et où sont les points d'accès à la Miséricorde
du Miséricordieux!
Le premier moyen: le
besoin
Le besoin lui-même
est une émanation de la Miséricorde d'Allah, car le Créateur couvre de Sa
Miséricorde les besoins de toutes Ses créatures, y compris les animaux et les
plantes, et ce sans qu'elles le Lui demandent. Évidemment cela ne signifie
nullement l'inutilité de la demande et de la sollicitation, lesquelles
constituent en fait, à côté du besoin, un autre aspect de la Miséricorde
d'Allah. Ainsi, si elles ont soif, Il les désaltère, lorsqu'elles ont faim, Il
les nourrit, et lorsqu'elles sont dénudées, Il les revêt: «C'est Lui qui me
nourrit et qui me donne à boire; c'est Lui qui me guérit , lorsque je suis
malade» (64), et ce
lors même qu'ils ne connaissent pas Allah parfaitement, ne savent pas comment
L'implorer, ni quoi Lui demander: «Ô Toi qui, par tendresse et compassion,
donne aussi bien à celui qui Te demande, qu'à celui qui ne Te demande pas, ainsi
qu'à celui qui ne Te connaît pas».(65)
Dans un merveilleux
munâjât, l'Imam 'Alî (p) énumère les innombrables motifs de la
sollicitation par les serviteurs de la Miséricorde d'Allah:
«Mon Seigneur!
Ô mon Maître! Tu es le Maître et je suis l'esclave! Qui d'autre que le Maître
fait miséricorde à l'esclave!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es le Puissant et je suis l'humilié! Qui donc d'autre que le
Puissant fait miséricorde à l'humilié!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es le Créateur et je suis la créature! Qui donc d'autre que le
Créateur fait miséricorde à la créature!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es l'Immense et je suis le mesquin! Qui donc d'autre que
l'Immense fait miséricorde au mesquin!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es le Fort et je suis le faible! Qui donc d'autre que le Fort
fait miséricorde au faible!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es le Riche et je suis le pauvre! Qui donc d'autre que le Riche
fait miséricorde au pauvre!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es le Donateur et je suis le quémandeur! Qui donc d'autre que le
Donateur fait miséricorde au quémandeur!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es le Vivant et je suis le mortel! Qui donc d'autre que le Vivant
fait miséricorde au mortel!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es l'Éternel et je suis le passager! Qui donc d'autre que
l'Éternel fait miséricorde au passager!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es le Permanent et je suis l'éphémère! Qui donc d'autre que le
Permanent fait miséricorde à l'éphémère!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es le Dispensateur et je suis l'allocataire! Qui donc d'autre que
le Dispensateur fait miséricorde à l'allocataire!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es le Généreux et je suis l'avare! Qui donc d'autre que le
Généreux fait miséricorde à l'avare!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es le Sain et je suis le malade! Qui donc d'autre que le Sain
fait miséricorde au malade!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es le Grand et je suis le petit! Qui donc d'autre que le Grand
fait miséricorde au petit!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es le Guidant et je suis l'égaré! Qui donc d'autre que le Guidant
fait miséricorde à l'égaré!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es le Pardonneur et je suis le pécheur! Qui donc d'autre que le
Pardonneur fait miséricorde au pécheur!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es le Guide et je suis le perdu! Qui donc d'autre que le Guide
fait miséricorde au perdu!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es le Vainqueur et je suis le vaincu! Qui donc d'autre que le
Vainqueur fait miséricorde au vaincu!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es le Seigneur et je suis le vassal! Qui donc d'autre que le
Seigneur fait miséricorde au vassal!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Tu es l'Orgueilleux et je suis l'humble! Qui donc d'autre que
l'Orgueilleux fait miséricorde à l'humble!?
Mon Maître! Ô
mon Maître! Fais-moi miséricorde par Ta Miséricorde, agrée-moi par Ta Noblesse,
pat Ta Générosité et par Ta Grâce, ô Toi Détenteur de la Générosité et de la
bienfaisance, des faveurs et des bienfaits».
Dans ces séquences,
l'Imam 'Alî (p) invoque son besoin et son indigence pour s'attirer la
Miséricorde d'Allah, c'est dire qu'il fait de son indigence et de son besoin le
motif, la cause et la justification de la sollicitation de la Miséricorde
divine.
Ainsi, la créature
attire la Miséricorde du Créateur, le faible attire la Miséricorde du Fort, le
malade attire la Compassion du Bien-portant et ainsi de suite.
Telles sont les
lois d'Allah, lesquelles sont immuables. Là où il y a besoin et pauvreté, il y a
la Miséricorde et la Grâce d'Allah. De même que l'eau descend obligatoirement
vers le terrain bas, de même la Miséricorde d'Allah descend là où il y a besoin,
car Allah est Généreux et Noble, et le propre du Généreux est de faire montre de
sa générosité et de sa compassion surtout là où le besoin se fait sentir.
Dans Do'â'
al-Sahar déjà cité, l'Imam al-Sajjâd dit:
«Ô Mon Dieu!
Donne-moi, car je suis pauvre et aie pitié de moi, car je suis faible».
Il fait ainsi de sa
pauvreté et de sa faiblesse un moyen ou un motif de sollicitation de la
Miséricorde d'Allah.
Évidemment ceci ne
doit pas être pris dans un sens absolu ou comme le seul moyen ni le moyen
impeccable d'obtenir la Miséricorde d'Allah, car dans les lois divines, il y a
d'autres facteurs qui attirent la Grâce du Créateur et il y a des obstacles et
des voiles qui empêchent la descente de la Miséricorde du Miséricordieux. Par
conséquent, lorsque nous énonçons que le besoin et la pauvreté sont un motif de
la venue de la Miséricorde d'Allah, il faut comprendre cet énoncé dans le cadre
de ces lois générales.
On trouve dans le
Noble Coran des exemples de l'invocation de la pauvreté et de la faiblesse en
vue de la sollicitation de la Miséricorde d'Allah et de l'obtention de la
réponse positive à notre appel, étant donné que le besoin appelle une réponse
(satisfaction) de la part d'Allah, tout comme le do'â' et la sollicitation
suscitent Sa réponse, ou en d'autres termes l'exposition du besoin en soi tient
lieu de Prière de demande (do'â').
Citons quelques-uns
de ces exemples coraniques:
1- Ayyûb(66) (p),
l'adorateur pieux et durement éprouvé, s'est contenté d'exposer son état
pathétique au Seigneur, alors qu'il traversait la phase la plus pénible de ses
épreuves: «Et Job (Ayyûb), quand il en appela à son Seigneur: "Le mal m'a
touché, vraiment! Cependant, Tu es le plus Miséricordieux des miséricordieux!"
Nous lui répondîmes, alors, et lui déblayâmes le mal qu'il avait, et lui
apportâmes sa propre famille, et une en plus, semblable, à titre de miséricorde
de Notre part, et de rappel aux adorateurs». (Sourate al-Anbiyâ', 21:
83-84).
Ainsi, comme on
peut le constater, les propos que le Coran prête à Ayyûb ne comportent pas de
prière de demande; cependant, Allah nous dit: «Nous lui répondîmes, alors,
et lui déblayâmes le mal qu'il avait», comme si l'exposition du besoin et
du manque équivalait au do'â'.
2- Thu-l-Nûn
(p)(67), un
autre adorateur dévoué expose son besoin et son malheur à Allah, alors qu'il se
trouvait dans les ténèbres du ventre d'une baleine: «Et Thû-l-Nûn (Jonas)
quand il partit, irrité. Il pensa que Nous n'allions pas l'éprouver. Puis, il
fit, dans les ténèbres, l'appel que voici:"Pas de divinité, à part Toi! Gloire à
Toi! J'ai été vraiment du nombre des injustes". Nous l'exauçâmes et le sauvâmes
de son angoisse. Et c'est ainsi que Nous sauvons les croyants». (Sourate
al-Anbiyâ', 21: 87-88).
Là encore
l'exaucement n'est pas une suite donnée à une demande, mais à un besoin et une
angoisse exprimés, car Thû-l-Nûn n'avait présenté aucune requête, se bornant à
dire à l'adresse d'Allah: «Gloire à Toi! J'ai été vraiment du nombre des
injustes», lorsqu'Allah l'exauça et le délivra de ses soucis: «Nous
l'exauçâmes et le sauvâmes de son angoisse».
3- Un autre exemple
est l'histoire du Prophète Mûsâ (p) et de son frère Hârûn lorsqu'Allah leur
demanda de porter Son message à Pharaon: «Allez chez Pharaon, il est
rebelle; adressez-lui des paroles courtoises; peut-être réfléchira-t-il, ou
éprouvera-t-il de la crainte? Tous deux dirent: "Notre Seigneur! Nous craignons
qu'il ne l'emporte sur nous ou qu'il ne se montre rebelle».(68)
Les deux frères
n'ont pas demandé à Allah de les protéger contre Pharaon et sa clique, ni de
leur assurer la sécurité dont ils ont besoin. Ils se sont contentés d'évoquer
leur faiblesse et leur crainte de la puissance et de la terreur de Pharaon:
«Notre Seigneur! Nous craignons qu'il ne l'emporte sur nous ou
qu'il ne se montre rebelle». Pourtant Allah a pourvu à leur besoin de
protection, de soutien et d'appui: «Allah dit: "Ne craignez rien, oui Je
suis avec vous; J'entends et Je vois».(69)
4- Le Prophète
Nûh (Noé) exprima devant Allah son désir de sauver son fils du déluge:
«Noé invoqua son Seigneur en disant: "Mon Seigneur! Mon fils appartient à ma
famille. Ta promesse est sûrement la Vérité; Tu es le plus juste des
juges».(70)
Notons qu'ici Noé
ne demande pas au Seigneur qu'Il sauve son fils, mais s'est limité à lui faire
part de son besoin de le sauver du naufrage.
Dans l'hagiographie
des Prophètes, on rencontre un exemple où l'exaucement est le résultat du
concours de trois facteurs, ou l'effet de trois causes conjuguées: 1- le besoin
(manque inconscient); 2- la demande ou la requête (manque conscient); 3-
l'effort, le mouvement et l'action. Il s'agit de l'histoire du nourrisson
Ismâ'îl (p) et de sa mère lorsqu'ils furent amenés par le Prophète Ibrâhîm (p)
dans une vallée aride, sur ordre d'Allah. Une fois sur place, Ibrâhîm (p) les
laissa là et les confia à la protection d'Allah en disant: «Ô Seigneur, j'ai
établi une partie de ma descendance dans une vallée sans agriculture, près de Ta
Maison sacrée (la Ka'bah), - ô notre Seigneur - afin qu'ils accomplissent la
Çalât».(71)
Lorsque l'eau
laissée par Ibrâhîm (p) fut épuisée, le nourrisson Ismâ'îl, assoiffé, se mit à
crier, à agiter les pieds et les mains, tandis que sa mère Hâger s'efforçait de
chercher de l'eau en faisant le va-et-vient entre les monticules, Çafâ et
Marwah, montant alternativement sur l'une et sur l'autre pour jeter un regard
scrutateur sur le désert dans l'espoir de découvrir une source (c'est ce qu'on
appelle, le sa'y = effort, une autre cause ou motif de la descente de
la Miséricorde), tout en implorant Allah de lui trouver cette denrée rare qu'est
l'eau dans cet endroit isolé et désertique (et c'est là la demande ou la prière
de demande (le manque conscient). Après quoi, Allah répondit au besoin et au
manque du nourrisson, aux efforts et au mouvement de la mère, à sa demande et sa
prière, en faisant jaillir de la terre, aux pieds de l'enfant une source
abondante (à l'endroit dit ZamZam aujourd'hui). En voyant le miracle, la mère
descendit du monticule précipitamment pour abreuver son nourrisson et se mit à
amasser de la terre pour la disposer en remblai autour de la source dans le but
d'empêcher l'eau de se dissiper, tout en répétant le mot zam zam.
Cette scène que les
pèlerins rejouent chaque année en commémoration de cet événement historique
hautement symbolique constitue l'une des plus belles scènes de la relation du
serviteur avec le Créateur, relation fondée sur trois points de départ:
1- Le besoin et le
manque
2- L'effort et le
mouvement
3- La prière de
demande (do'â') et la sollicitation ou la requête.
Le
deuxième moyen: la prière de demande et la sollicitation
Revenons aux moyens
que l'Imam al-Sajjâd présente pour s'attirer la Miséricorde d'Allah pour
rappeler que le premier de ces moyens est "son besoin et son manque", le second
en est "le do'â'", lequel constitue l'une des principales clés de la
Miséricorde". En effet Allah dit: «Appelez-Moi, Je vous répondrai».
(Sourate Ghâfir, 40: 60) et: «Mon Seigneur ne se souciera pas de vous sans
votre do'â'». (Sourate al-Furqân, 25: 77).
Le troisième moyen:
l'amour
Le serviteur attire
la Miséricorde d'Allah par l'amour plus que par n'importe quel autre moyen.
Maintenant
examinons les détails de ces trois moyens dans les munâjât de l'Imam
al-Sajjâd (p):
1- «Ton
agrément est mon désir, Te voir est mon besoin, Tu possèdes le remède de ma
maladie, l'apaisement de ma passion, le soulagement de ma souffrance, la
dissipation de mon affliction».
Ce sont là les
composants du moyen de "besoin-manque".
2- «Ton
voisinage est l'objet de ma sollicitation, Ta proximité est le but de ma
demande. Sois donc mon compagnon dans ma solitude, le conjurateur de mon
trébuchement, le pardonneur de mon faux pas, l'acceptant de mon repentir,
l'exauçant de ma prière, le tuteur de ma protection, le pourvoyeur de mon
besoin».
Le moyen ici est
"le do'â'".
3- «C'est Toi,
à l'exclusion de tout autre, que je veux, et c'est pour Toi, à l'exclusion de
tout autre, ma veille et mon insomnie! Ta rencontre est la prunelle de mes yeux,
Ton lien avec moi est mon âme! Mon désir c'est Toi, ma passion c'est Ton
amour».
Et là, c'est le
moyen de "l'amour".
Méditons à présent
sur cette séquence des paroles d'al-Sajjâd (p), qui constitue un vrai et un
merveilleux chef-d'oeuvre du genre, car le do'â', tout comme l'art et la
littérature possède des chefs-d'oeuvre:
«Ma pensée
s'est coupée de tout pour se concentrer sur Toi et mon désir s'est éloigné de
tout pour se diriger vers Toi, car c'est Toi à l'exclusion de tout autre que je
veux, et c'est pour Toi, à l'exclusion de tout autre, ma veille et mon insomnie,
Ta rencontre est la prunelle de mes yeux etc.».
Ici nous avons
traduit littéralement cette séquence de munâjât dont nous avions
présenté un long passage dans la première partie de notre livre, pour mieux
faire ressortir des nuances très significatives dans les expressions employées
par l'Imam. Car al-Sajjâd (p) ne dit pas «ma pensée s'est concentrée sur
Toi» - puisque la concentration de la pensée sur Allah n'exclut pas la
possibilité de la concentration sur un autre, quand bien même le serviteur
concentre sincèrement sa pensée sur le Miséricordieux -, mais «ma pensée
s'est coupée de tout pour se concentrer sur Toi». Il y a donc dans la
relation de l'Imam avec Allah une coupure avec tout ce qui n'est pas Allah, et
une concentration exclusive sur Lui. Et dans tout amour sincère il y a
"séparation" et "attachement": séparation ou rupture avec tout sauf Allah, est
un attachement à Allah, à tout ce qu'Il aime et à tout ce qu'Il ordonne, en un
mot, une rupture avec les créatures en vue d'un attachement exclusif au
Créateur.
Il en va de même
pour la seconde phrase: «mon désir s'est éloigné de tout pour se diriger
vers Toi». La relation avec Allah comporte ici également, un "éloignement"
de tout ce qui n'est pas Lui, le mouvement exclusif vers Allah, vers tout ce
qu'Il aime et vers tout ce qu'Il ordonne.
Puis la troisième
phrase vient confirmer d'une façon on ne peut plus éloquente cette vérité de
l'amour sincère comportant deux volets, un attachement exclusif à Allah et une
rupture totale avec tout ce qui n'est Lui: «car c'est Toi, à l'exclusion de
tout autre, que je veux, et c'est pour Toi, à l'exclusion de tout autre, ma
veille et mon insomnie».
"Veille" et
"insomnie" sont deux contraires du sommeil, mais le premier, "la veille",
consiste à veiller dans un état de "plaisir", alors que le second, "l'insomnie"
exprime un état dans lequel quelqu'un est privé du sommeil à cause des soucis et
des préoccupations, en l'occurrence la nostalgie et le désir d'Allah. Ils
représentent donc deux des états de l'amour d'Allah: "le désir et le plaisir",
le plaisir du souvenir d'Allah et de Sa présence auprès du serviteur, lorsque
celui-ci se plonge dans les prières, le do'â' et les invocations, d'une part, et
le désir de Le rencontrer, d'autre part. L'aimant ou l'amoureux éprouve les deux
états (le plaisir et le désir) lorsqu'il s'élève et se présente, recueilli,
devant le Créateur, et tous les deux lui ôtent le sommeil et lui causent
l'insomnie, pendant que les gens dorment profondément et se reposent
tranquillement, totalement inconscients.
Le sommeil est
évidemment un besoin que tout le monde satisfait, aussi bien les bons serviteurs
que les méchants. Même les Prophètes et les véridiques dorment. Mais il y a une
grande différence entre quelqu'un ne dort que le temps nécessaire pour
satisfaire son strict besoin de sommeil, tout comme il ne mange et ne boit que
le strict nécessaire pour le besoin de son organisme, et un autre qui se livre
totalement au sommeil et se laisse sous son emprise.
Les serviteurs
dévoués d'Allah ne se rendent pas au sommeil. Ils ne dorment que le laps de
temps nécessaire pour leur organisme. Le Prophète (P) par exemple ne dormait que
très peu et se réveillait après chaque petit somme pour s'adonner aux prières et
aux invocations. Il ordonnait que l'on déposât près de sa tête de l'eau pour
faire le wudhû' (ablution) lorsqu'il se réveillait après chaque court
sommeil. Lorsqu'on lui étalait un lit doux et confortable, il ordonnait que l'on
l'enlève, de crainte que le confort ne suscite en lui l'envie de se laisser
dominer par le sommeil. Il préférait dormir sur une natte rude qui l'empêche de
se livrer à un sommeil profond.
En fait Allah a
accordé une place particulière à la nuit, aux invocations et aux
munâjât nocturnes, place différente de celle attachée aux actes
d'adoration diurnes. De même que le jour a ses hommes, la nuit a ses hommes
aussi: ils se lèvent lorsque les gens dorment, et s'activent et se dirigent vers
Allah, lorsque les autres se relaxent et s'allongent sur leurs lits douillets,
avant de plonger dans un sommeil de plomb.
La nuit a son monde
comme le jour a le sien. Le monde nocturne a ses trésors comme le monde diurne a
les siens. Mais si tout le monde connaît le monde diurne, ses hommes et ses
trésors, peu de gens connaissent la valeur du monde nocturne, de ses hommes et
de ses trésors.
Lorsque l'homme
exploite aussi bien les ressources de la nuit que celles du jour, il devient
mûr, sain et équilibré. Ainsi le Noble Prophète était à la fois un homme de nuit
et l'homme de jour. Il puisait dans celle-là et celui-ci d'une façon équilibrée.
De la nuit il épuisait les ressources de l'amour, du dévouement et de
l'invocation (d'Allah), et du jour il s''Alîmentait des sources de la force, du
pouvoir et des finances, afin mener à bien l'Appel à l'Islam et l'asseoir sur
une base solide. La veille et les prières de la nuit l'aidaient à supporter la
lourde charge du Message. Allah, s'adressant au Prophète (P) dit à ce sujet:
«Ô toi qui es
enveloppé de vêtements! Lève-toi pour prier la nuit, excepté une petite partie;
sa moitié ou un peu moins; ou un peu plus. Et récite le Coran, lentement et
clairement. Nous allons te révéler des paroles très importantes. La prière
pendant la nuit est plus efficace et plus propice pour la récitation. Tu as,
dans la journée, à vaquer à de longues occupations».(72)
Dans un hadith
qudsî (divin) révélé à l'un des véridiques (çiddîqîn), à
propos des prières pendant la nuit Allah dit:
«J'ai des
serviteurs qui M'aiment et que J'aime, qui Me désirent et que Je désire, qui
M'invoquent et dont Je me souviens, qui Me regardent et que Je regarde. Si tu
suis leur voie, ils t'aimeront, et si tu te détournes d'eux, ils te
détesteront».
- À quoi peut-on
les reconnaître?, demanda le véridique. Allah dit:
«Ils
surveillent les ombres pendant le jour comme le berger surveille ses moutons, et
ils désirent (recherchent) le coucher du soleil, comme l'oiseau désire son nid
au crépuscule. Lorsque la nuit tombe, que l'obscurité se répand, que les tapis
sont étalés et les lits faits, et que chaque bien-aimé se retire auprès de son
bien-aimé, ils dressent leurs pieds pour Moi, dirigent leurs faces vers Moi,
monologuent avec Moi en récitant Ma Parole (...), les uns en pleurant, d'autres
en criant, d'autres en soupirant, d'autres en poussant des complaintes; les uns
en position assise, d'autres en position debout, d'autres en état
d'agenouillement, d'autres prosternés. Je vois ce qu'ils endurent pour Moi et
J'entends ce dont ils se plaignent. Mon premier don pour eux consiste en trois
choses:
1- Je projette
des rayons de Ma Lumière dans leurs coeurs, et de ce fait, ils sauront de Moi,
ce que Je sais d'eux;
2- Si les cieux
et la terre étaient mis dans leurs balances, Je les trouverai insuffisants pour
eux;
3- Je dirige Ma
Face vers eux. Et, crois-tu que quelqu'un soit capable de savoir ce que Je vais
donner à celui vers lequel Je dirige Ma Face?»
On rapporte de
l'Imam al-Bâqer (p) qu'Allah avait révélé au Prophète Mûsâ Ibn 'Imrân (p):
«Aura menti
quiconque dit qu'il M'aime tout en Me délaissant pour dormir à la tombée de la
nuit. Ô Ibn 'Imrân! Si tu voyais ceux qui veillent pendant l'obscurité alors que
Mon souffle se représente devant leurs yeux. Ils s'adressent à Moi, alors que Je
suis hors de la vue, et ils Me parlent, alors que Je suis au-dessus de la
présence! Ô Ibn 'Imrân! Verse pour Moi tes larmes et montre-Moi le recueillement
de ton coeur, puis prie-Moi pendant l'obscurité de la nuit, tu Me trouveras tout
près de toi, répondant (à ton appel ou ta prière)!».
Dans son prône à
propos des pieux, l'Imam 'Alî (p) décrit l'état de ces serviteurs dévoués
lorsque la nuit tombe et qu'ils se présentent devant Allah en Lui adressant
leurs monologues:
«La nuit, ils
mettent en rang leurs pieds pour réciter le Coran lentement et clairement. Ils
s'en servent pour se réconforter et rendre efficace le remède de leurs maux.
Lorsqu'ils rencontrent un verset qui comporte un intéressement, ils s'y fient
par espérance, y aspirent avec désir, et croient que cela est à la portée de
leur vue. En revanche, lorsqu'ils passent par un verset qui inspire la crainte,
ils l'écoutent avec l'ouïe de leurs coeurs, et ont l'impression que
l'inspiration et l'expiration de l'enfer frappent le fond de leurs oreilles.
Aussi courbent-ils leurs bustes, et posent-ils leurs fronts, les paumes de leurs
mains, leurs genoux et les bouts de leurs pieds sur le sol en demandant à Allah
de leur accorder le salut. Tandis que le jour, ils sont indulgents, savants,
purs et pieux. Ils sont démaigris par la crainte révérencielle, comme les
flèches. Lorsqu'on les voit, on dirait qu'ils sont malades; mais constatant
qu'ils ne le sont pas, on se dit: ils sont obsédés (par la crainte
d'Allah)».(73)
D'autres figures du désir d'Allah dans
les Munâjât de l'Imam al-Sajjâd (p)
«Ô mon Dieu!
Fais que je sois au nombre de ceux dont les arbres de Ton désir se sont
enracinés dans les jardins de leurs poitrines, dont le chagrin de Ton amour a
envahi leurs coeurs, ceux qui se réfugient dans les gîtes de la pensée, qui se
nourrissent à satiété dans les jardins de la Proximité et du dévoilement, qui
s'abreuvent dans les bassins de l'amour avec des coupes de plaisir (...) ceux
devant les yeux intérieurs desquels le voile a été enlevé, ceux dont les
croyances et les consciences se sont débarrassés de l'obscurité du doute, (...)
ceux des coeurs et des fors intérieurs desquels le tourment de l'incertitude a
disparu, ceux dont les poitrines se sont élargies par l'accession à la
connaissance (...) ceux qui se sont rassurés de leur retour vers le Seigneur,
ceux dont les âmes se sont assuré l'obtention de la victoire et du succès, ceux
qui ont trouvé la consolation en regardant leur Bien-Aimé (...) ceux qui ont
réalisé un commerce rentable en troquant la vie d'ici-bas contre la Vie
éternelle...
Ô mon Dieu!
Quels délices pour les coeurs que Tu inspires! Que c'est beau que d'avoir
l'illusion de marcher vers Toi sur les sentiers du mystère! Que c'est délicieux
la saveur de Ton amour! Que c'est agréable le boire de Ta proximité!
Épargne-nous donc l'expulsion et l'éloignement de Ton voisinage! Place-nous
parmi les plus intimes de ceux qui Te connaissent, les plus pieux de Tes
serviteurs, les plus sincères de ceux qui T'obéissent, et les plus dévoués de
ceux qui T'adorent!».
Il n'est pas
question ici de nous écarter de notre sujet pour commenter ce merveilleux
munâjât dont la beauté, l'éloquence et le style pittoresque se passent
de commentaire. Toutefois, il est important de nous attarder un peu sur la
première séquence du munâjât de l'Imam: «Ô mon Dieu! Fais que je
sois au nombre de ceux dont les arbres de Ton désir se sont enracinés dans les
jardins de leurs poitrines et dont le chagrin de Ton amour a envahi leurs
coeurs!».
L'image qui ressort
de la parole de l'Imam al-Sajjâd (p) présente les poitrines ou les coeurs des
amis d'Allah comme des jardins joyeux et pleins de bons fruits, et laisse
entendre que ces poitrines revêtent différentes formes:
Certaines poitrines
sont des bureaux et des écoles d'apprentissage du savoir. Or, le savoir est une
bonne chose et une lumière, mais à condition que la poitrine qui le contient
demeure un jardin du désir d'Allah.
Certaines autres
poitrines sont des fonds de commerce, des banques et des places boursières,
pleins de chiffres, de statistiques et de bilans. L'argent et le commerce n'ont
rien de répréhensible, bien au contraire, mais à condition qu'ils ne deviennent
la préoccupation première et le souci principal du coeur.
D'autres poitrines
se présentent comme des terrains salins où poussent les épines et les
coloquintes, les poisons et les haines, la lutte pour le pouvoir et l'argent,
les complots et les intrigues.
D'autres poitrines
encore constituent des terrains de jeux et des lieux de distraction. Rien
d'étonnant, car pour une grande partie des gens, la vie est jeux et
distractions.
Enfin, il y a des
gens dont la poitrine se scinde en deux parties: une partie est occupée aux
venins, aux haines, aux intrigues et aux complots; et l'autre, aux distractions
et aux jeux. Si la première partie venait à leur causer des soucis et des ennuis
qui bradent leur quiétude et troublent leur stabilité, ils se réfugient dans
l'autre partie et recourent aux distractions pour se soustraire aux tourments de
la première partie.
Quant aux poitrines
des amis d'Allah, se sont des jardins de joie et de bons fruits, comme le dit
l'Imam al-Sajjâd (p). Des jardins dans lesquels les arbres du désir d'Allah sont
plantés solidement et dont les racines se sont enfoncées profondément. Le désir
d'Allah n'y est pas un élément accidentel, passager, susceptible d'être emporté
par le premier vent que l'attrait, les artifices ou le sourire de la vie
d'ici-bas pourrait faire se lever. C'est un désir qui ne s'émousse pas, et ses
feuilles ne se fanent pas lorsque le serviteur qui l'éprouve venait à sombrer
sous une accumulation d'épreuves et de malheurs, car les arbres d'un tel désir,
lorsqu'ils sont bien enracinés dans la poitrine, demeurent verts et feuillés, et
continuent à porter leurs fruits malgré toutes les intempéries.
L'état de désir est
un état d'allégement et de vivacité, contraire à l'état de pesanteur de ceux qui
sont attachés aux artifices de ce bas-monde, comme nous les décrit le Coran:
«Qu'avez-vous?
Lorsqu'on vous dit: "Élancez-vous dans le Chemin de Dieu", vous vous
appesantissez sur la terre. Préférez-vous la vie de ce monde à la vie
future?»(74)
En effet l'âme se
relâche et éprouve des pesanteurs à mesure qu'elle s'attache et s'accroche à ce
monde. Mais lorsque le serviteur se détache et se libère(75) de la vie
d'ici-bas et de ses chaînes, il se sent soulagé du poids de ce monde, et dès
lors l'amour et le désir d'Allah l'attirent plus facilement.
Arrêtons ici notre
exposé sur les images de l'amour, du désir et du plaisir dans les do'â' des
Imams d'Ahl-ul-Bayt (p), pour poursuivre les autres aspects de l'amour divin.
L'unicité de l'amour
divin (Les caractéris-tiques de
l'amour)
Lorsque nous
passons en revue les textes du Coran et de la Sunnah sur l'amour divin, nous
remarquons qu'ils fixent trois critères à ce sujet :
1- La primauté de l'amour
divin
Il faut que le
croyant aime Allah plus que tout autre et plus que tout, et que le pouvoir de
cet amour domine tout dans son coeur, car Allah dit:
«Dis: "Si vos
pères, vos fils, vos frères, vos clans, les biens que vous avez acquis, un
négoce dont vous craignez le déclin, des demeures où vous vous plaisez, vous
sont plus chers que Dieu et Son Messager et la lutte sur le Chemin d'Allah:
attendez-vous à ce qu'Allah vienne avec Son Commandement". Allah ne dirige pas
les gens pervers».(76)
Le Coran n'interdit
pas l'amour des parents, des enfants, des frères, des soeurs, des conjoints, de
la tribu etc. tant qu'ils ne sont pas hostiles à Allah et à Son Prophète. Il
n'interdit pas non plus l'amour des biens, du commerce, des maisons etc. tant
qu'ils ne sont pas illégaux, puisqu'Allah dit:
«On a enjolivé
aux gens l'amour des choses qu'ils désirent: femmes, enfants, trésors
thésaurisés d'or et d'argent, chevaux marqués, bétail et champs».(77)
Ce qu'il interdit,
c'est que cet amour soit plus fort que l'amour d'Allah, de Son Prophète et du
combat sur Son Chemin. Le Coran dit encore:
«Certains
hommes prennent des associés en dehors d'Allah; mais les croyants sont les plus
zélés dans l'amour d'Allah».(78)
Ce troisième verset
complète le premier, pour insister sur le fait que l'amour d'Allah doit
l'emporter sur tout autre amour, puisque dans le premier verset Allah condamne
ceux qui aiment quelqu'un d'autre plus que Lui, et dans le troisième, Il fustige
ceux qui aiment quelqu'un d'autre que Lui autant que Lui.
Selon l'Imam
al-Sâdiq (p): «On n'aura pas une foi pure et sincère en Allah, tant qu'on ne
L'aura pas aimé plus que soi-même, son père, sa mère, ses enfants, sa famille,
ses biens et tout le monde».(79)
L'emprise de
l'amour divin sur le coeur du croyant n'est pas une question théorique,
dissociée de l'ensemble des activités de sa vie, de sa conduite et de ses
relations. L'amour divin a ses exigences, ses nécessités et ses conséquences:
s'il en est dissocié, ce ne serait pas un amour sincère. En d'autres termes, il
ne suffit pas de dire ou de croire que l'amour d'Allah habite dans nos coeurs;
il faut que nos actes le démontrent. Le Coran dit:
«Dis: "Si vous
aimez vraiment Allah, suivez-moi, Allah vous aimera alors...».(80)
Lorsqu'un autre
amour habite le coeur du croyant et que les exigences et les impératifs de cet
amour s'opposent à ceux de l'amour d'Allah, c'est l'amour d'Allah qui doit
l'emporter, avoir le dernier mot et être le plus agissant. Là seulement, le
croyant peut croire à la sincérité de son amour d'Allah.
Les textes
islamiques abondent en ce sens et insistent sur la nécessité de la prééminence
de l'amour divin dans le coeur du croyant. Ainsi, le Prophète(P) dit:
«Ô mon Dieu! Je
sollicite auprès de Toi Ton amour et l'amour de ceux qui T'aiment, et le moyen
(l'action) qui me guide vers Ton amour. Ô mon Dieu! Fais que Ton amour soit plus
aimé de moi que moi-même et ma famille».(81)
Et:
«Ô mon Dieu!
Fais que je T'aime plus que toute autre chose, et que je Te craigne plus que
toute autre chose! Coupe de moi les besoins de ce monde par le désir de Ta
rencontre! Si Tu as consolé les gens attachés à ce monde avec ce qu'ils en
désirent, console-moi avec Ton adoration!».(82)
2- Le gouvernement de l'amour
d'Allah
Il faut que l'amour
d'Allah gouverne la vie du croyant, ses relations et ses inclinations, de telle
sorte qu'il devienne le gouverneur de son coeur, le moteur et le régulateur de
ses sentiments et de ses sensations: il supprime dans le coeur du croyant tous
sentiments d'amour et de haine qui ne concordent pas avec lui, et y fait naître
et développer des types de sentiments d'amour et de haine qu'Allah approuve. Car
comme il a été déjà dit: il n'est pas interdit que le croyant aime et déteste,
et qu'il éprouve toutes sortes d'autres sentiments, mais il se doit d'orienter
ses sentiments d'amour, de haine, de mécontentement et de satisfaction vers les
endroits voulus ou agréés par Allah. Ainsi, un sentiment d'amour qui s'inscrit
dans le prolongement de l'amour d'Allah, Allah le commande, et un sentiment
d'amour qu'Allah n'interdit pas, l'Islam l'approuve. Le sentiment de haine
envers les ennemis d'Allah, par exemple, Allah nous ordonne de le développer.
En bref, nous avons
insisté jusqu'ici sur un premier point qui caractérise l'amour sincère d'Allah,
à savoir que le croyant peut aimer pour lui-même, c'est-à-dire éprouver un amour
qui n'est pas lié à l'amour d'Allah, mais à condition, que cet amour ne soit pas
plus fort que son amour d'Allah. Le second point caractéristique de l'amour
d'Allah sur lequel nous attirons l'attention ici, est que le croyant peut aimer
ce qu'il veut, mais à condition que cet amour ne soit en opposition ou en
contradiction avec l'amour d'Allah. Le Coran dit à ce propos:
«Ô vous qui
croyez! Ne prenez pas pour amis vos pères et vos frères, s'ils préfèrent la
mécréance à la Foi. Ceux d'entre vous qui les prendraient pour amis, seraient
injustes».(83)
Ici, le Coran ne
reproche pas à cette catégorie de croyants d'aimer leurs pères et frères plus
qu'Allah, mais de les aimer malgré leur mécréance. Aussi Allah les a -t-Il mis
en garde contre cet amour et cette amitié injustes, car comment peut-on aimer à
la fois Allah et Ses ennemis, les mécréants!? Notons au passage, pour mieux
saisir le sens de ce verset, qu'il a été révélé à propos de "Hâtib Ibn
Balta'ah"(84) qui avait
fait parvenir à son peuple mécréant une information faisant état de la marche du
Prophète (P) sur leur région. Il ne fait pas de doute que ce personnage était un
croyant, et que son amour des siens n'était pas plus fort que son amour d'Allah,
mais il les aimait quand même, malgré leur hostilité affichée à Allah et à Son
Messager (P).
Le coeur du croyant
sincère ne saurait vibrer (palpiter) en même temps pour deux bien-aimés opposés:
Allah et Ses ennemis. C'est seulement lorsque son coeur se sera dévoué à Allah
et qu'il soumettra tous ses sentiments et toute son affectivité au contrôle
d'Allah, qu'il sera libre d'aimer et de détester ce qu'il veut, mais toujours
dans les limites des critères des enseignements islamiques.
Ainsi, si le
croyant est sincère dans son amour d'Allah, il n'a pas à donner libre cours à
ses sentiments, les débrider, et se laisser traîner par eux. Il ne doit pas non
plus nouer des relations et des liens avec n'importe qui et n'importe comment.
C'est l'amour d'Allah qui doit déterminer scrupuleusement ses relations et ses
penchants. Les premiers Musulmans, n'hésitaient pas, lorsque le cas l'exigeait,
à tuer leurs pères, leurs frères et leurs oncles mécréants qui menaçaient les
adeptes de l'Islam. L'Imam 'Alî (p) dit à ce propos:
«Nous tuions, avec
le Messager d'Allah, nos pères, nos fils, nos frères et nos oncles... Ceci ne
faisait qu'augmenter notre Foi et notre soumission à Allah, notre détermination
à poursuivre la route, notre endurance de la brûlure de la douleur, notre
sérieux dans le combat contre l'ennemi (...). Et lorsqu'Allah a vu notre
sincérité, Il a apporté l'humiliation à l'ennemi, et la victoire à nous, et ce
jusqu'à ce que l'Islam fût établi».(85)
Ce hadith appelle
deux commentaires:
1- La parole de
l'Imam: «Ceci ne faisait qu'augmenter notre Foi et notre soumission à Allah»,
sous-tend une loi divine, à savoir "le rapport direct entre le sacrifice d'une
part, la foi et l'amour de l'autre", ou en d'autres termes plus il y a
souffrances et épreuves, plus la Foi et l'amour d'Allah se renforcent. Or, peu
de gens sont au fait de cette loi, car la plupart d'entre eux croient
généralement que c'est le contraire qui est vrai, c'est-à-dire qu'ils conçoivent
un rapport inverse entre les deux termes de la proposition: les souffrances et
les épreuves viennent à bout de la résistance et de la patience de l'homme et
finissent par entamer sa foi et son amour d'Allah.
2- La corrélation
étroite entre l'amour et l'amitié sincères d'une part, la victoire de l'autre:
«Et lorsqu'Allah a vu notre sincérité, Il a apporté l'humiliation à l'ennemi, et
la victoire à nous». C'est dire que la victoire n'est accordée que lorsqu'il y a
sincérité dans l'adhésion du combattant à sa cause et à son combat. Or, ce qui
vaut pour le champ de bataille vaut aussi pour le coeur: la sincérité et le
dévouement dans l'amour qu'éprouve le croyant envers son Créateur. Le croyant ne
sera sincère dans son amour d'Allah que lorsqu'il aura été capable de soumettre
tous ses sentiments et ses relations au contrôle de son amour du Miséricordieux.
La carte de l'amour
et de la haine
L'amour d'Allah
dessine au croyant une carte très précise de ses relations, de ses
connaissances, de ses ennemis et de ses amis. A partir de cette carte le croyant
peut distinguer avec une parfaite précision ses amis de ses ennemis, les siens
des étrangers.
C'est une carte
étonnante: elle rapproche le lointain et éloigne le prochain, elle fait entrer
un étranger dans une famille et en expulse un membre. Ainsi le fils de Noé est
écarté de la famille de Noé et devient étranger à son père. Allah interdit à Noé
de s'enquérir auprès de Lui du sort de son fils: «Noé invoqua son Seigneur
en disant: "Mon Seigneur! Mon fils appartient à ma famille. Ta promesse est
sûrement la Vérité; Tu es le plus juste des juges". Il répondit: "Ô Noé!
Celui-là n'appartient pas à ta famille, car il a commis un acte infâme. Ne Me
demande pas ce que tu ne connais pas»(86), alors
que Salmân, le Persan entre dans la Famille du Prophète et devient Salmân, le
Mohammadien, dont le Messager d'Allah dit: «Salmân fait partie de nous, les
Ahl-ul-Bayt».(87)
À ce sujet
al-Cheikh al-Mufîd rapporte le hadith suivant: «Un jour on évoqua les mérites de
Salmân et de Ja'far al-Tayyâr (le frère de l'Imam 'Alî) en présence de
l'Imam Ja'afar al-Sâdiq (p), qui était assis, adossé. Certains, parmi
l'assistance, ont exprimé leur préférence pour le second (Ja'far
al-Tayyâr) en rappelant que le premier (Salmân) avait été zoroastrien
(adorateur du feu), converti à l'Islam. L'Imam Sâdiq redressa le buste et dit
sur un ton de colère, à l'adresse de son compagnon Abû Baçîr: "Ô Abû Baçîr!
Allah en a fait un Alawîte après qu'il eut été zoroastrien, et un
Quraichite (la tribu du Prophète) après qu'il eut été persan. Que les
prières d'Allah soient donc sur Salmân. Quant à Ja'far (al-Tayyâr), il
occupe une haute position auprès d'Allah: il volera avec les Anges au
Paradis"».(88)
Cette carte de
l'amour et de la haine, des amis et des ennemis est différente de celles que les
gens connaissent habituellement. Elle répartit et classe les gens dans deux
fronts distincts: le front des amis, des partisans et des amoureux d'Allah, et
le front des ennemis d'Allah, abstraction faite de la différence du degré
respectif de l'amour ou de l'hostilité qui existe entre les gens de chacun des
deux fronts.
Aimer pour Allah et détester pour
Allah
Le croyant n'a pas
une liberté absolue dans le choix de son amour et de ses inclinations. Il doit
suivre minutieusement les lignes vertes et les lignes rouges de cette carte,
dans ses sentiments, ses inclinations et ses relations, en aimant ce qu'Allah
aime et lui ordonne d'aimer, et en désapprouvant ce qu'Allah désapprouve et lui
demande de désapprouver. Il n'atteindra à l'essence de la Foi et ne sera pas
sincère dans sa foi sans cet amour envers les amis et les amoureux d'Allah, et
cette désapprobation des ennemis d'Allah. Il faut qu'il aime tous ceux qu'Allah
aime, et qu'il déteste tous ceux qu'Allah déteste. Même le Noble Prophète (P),
il ne doit l'aimer que par amour pour Allah et que parce qu'Allah l'aime. C'est
ce que le Messager d'Allah, lui-même nous ordonne de faire: «Aimez Allah pour
les bienfaits qu'Il vous prodigue, puis aimez-moi par amour pour Allah, et aimez
mes Ahl-ul-Bayt (les Membres de ma Famille) par amour pour moi».(89)
De cette façon
s'enchaîne, s'étend et se ramifie l'amour pour Allah pour comprendre et inclure
tous les saints de l'Islam, tous les serviteurs pieux et tous les amis d'Allah,
et de la même façon s'enchaîne le sentiment de haine, d'hostilité et de
détestation envers les ennemis d'Allah, pour comprendre tous ceux qui font
preuve d'inimitié envers Allah et Son Prophète, et tous ceux qu'Allah et Son
Prophète détestent ou qui détestent Allah et Son Prophète.
Les quelques
hadiths suivants montrent que les textes islamiques relatifs à l'amour d'Allah
et la haine de ses ennemis, répartissent le champ de l'humanité en deux fronts
symétriques: le front des amis et des intimes d'Allah, quel que soit le degré de
leur amitié et de leur amour, d'une part, le front des ennemis d'Allah, quel que
soit le degré de leur hostilité et de leur inimitié, de l'autre:
1- Le Messager
d'Allah (P) dit à l'un de ses Compagnons: «Ô 'Abdullah! Aime pour Allah et
déteste pour Allah, soit l'ami des amis d'Allah et l'ennemi des ennemis d'Allah,
car on n'atteindra à l'amitié d'Allah que de cette façon; et sans cela personne
ne goûtera la saveur de la foi, quel que soit le grand nombre de ses prières et
de ses jours de jeûne».(90)
2- Al-Barqî
rapporte dans "al-Mahâsin" le hadith suivant relaté par Abû Baçîr: «J'ai
entendu Abû 'Abdullâh (l'Imam al-Sâdiq) dire: "Ceux qui s'aiment par amour pour
Allah seront assis, le Jour du Jugement, sur des chaires de lumière. La lumière
de leurs corps et de leurs chaires illuminent tellement tout autour d'eux, qu'on
les reconnaît à ce signe et qu'on en dit: Voilà les gens qui s'aiment par amour
pour Allah"».(91)
3- L'Imam al-Sâdiq
(p) dit: «La plus solide des anses de la Foi consiste à aimer pour Allah,
détester pour Allah, donner pour Allah, et se retenir pour Allah - le
Très-Haut».(92)
4- Selon l'Imam
al-Sâdiq (p): «Quiconque aime un mécréant, aura détesté Allah, et quiconque
déteste un mécréant aura aimé Allah. (...) En fait, par Allah, l'ami de l'ennemi
d'Allah est l'ennemi d'Allah».(93)
5- Selon l'Imam Abû
Ja'far (p): «Allah a révélé à un Prophète: "Pour ce qui concerne ton ascétisme
dans ce monde, il hâte pour toi le repos, et quant à ton attachement exclusif à
Moi, il consolide ton lien avec Moi. Mais as-tu fait montre d'hostilité envers
un ennemi à Moi, ou d'amitié envers un ami à Moi?"».(94)
6- Selon l'Imam
al-Sâdiq (p): «Celui qui aime pour Allah, déteste pour Allah, donne par amour
pour Allah, et se retient pour Allah, aura complété sa Foi».(95)
7- Selon l'Imam
al-Sâdiq (p): «Le Messager d'Allah (P) demanda un jour à ses Compagnons: "Quelle
est l'anse la plus solide de la Foi?". "Allah et Son Prophète le savent mieux
que nous", répondirent certains. D'autres énumérèrent respectivement: la Prière,
la Zakât, le Jeûne, le Hajj et la 'Omrah (Pèlerinage mineur), le Jihâd. Le
Prophète (P) dit alors: "Tout ce que vous avez énuméré a ses mérites, mais ce
n'est cela (la réponse). La plus solide anse de la Foi consiste à aimer pour
Allah, détester pour Allah, être l'ami des amis d'Allah et rejeter et
désapprouver les ennemis d'Allah».(96)
9- Selon l'Imam
'Alî Ibn al-Hussain al-Sajjâd (p): «Lorsqu'Allah rassemblera les premiers et les
derniers (hommes de l'Humanité), un crieur se mettra à crier: "Où sont les
combattants d'Allah?" Une partie des gens se lèveront, et il leur dira: "Allez
au Paradis sans compte (jugement)". Lorsqu'ils se dirigeront vers le Paradis et
qu'ils rencontreront les Anges, ceux-ci leur demanderont: "Où allez-vous?" Ils
répondront: "Au Paradis, sans compte". "Et quelle sorte de gens êtes-vous?",
leur demanderont encore les Anges. "Nous sommes les combattants d'Allah",
diront-ils. "Et quelle a été votre action?", les interrogeront les Anges. "Nous
aimions pour Allah et nous détestions pour Allah", affirmeront-ils. "Belle
récompense pour une bonne action!", diront les Anges"».(97)
10- Selon l'Imam
Abû Ja'far (p): «Si tu voulais savoir si tu es quelqu'un de bien, scrute alors
ton coeur; s'il aime les gens qui obéissent à Allah et déteste les gens qui Lui
désobéissent, sache que tu es quelqu'un de bien et qu'Allah t'aime, mais si tu
constates qu'il déteste les gens obéissant à Allah et qu'il aime ceux qui Lui
sont désobéissants, sache alors, qu'il n'y a rien de bien en toi et qu'Allah te
déteste, car l'homme sera réuni avec celui qu'il aime».(98)
11- Selon l'Imam
al-Sâdiq (p): «Quiconque ne suis pas (les enseignements de) la Religion dans
l'amour et la haine, n'a pas de Religion».(99)
12- Le Prophète (P)
dit: «Si deux serviteurs, l'un à l'est, l'autre à l'ouest, s'aimaient pour
Allah, Il les réunira le Jour de la Résurrection».(100)
Et:
«La meilleure des
bonnes actions consiste à aimer pour Allah et détester pour Allah».
Et (cité par Anas):
«Aimer pour Allah
est une obligation tout comme détester pour Allah est une obligation».(101)
13- On rapporte
qu'Allah demanda au Prophète Mûsâ (Moïse) (p):
«As-tu accompli une
action pour Moi?
- Oui! J'ai prié
pour Toi, j'ai jeûné pour Toi, j'ai fait l'aumône pour Toi, et j'ai fait les
invocations pour Toi!
Allah - Il est
Sublime - lui dit:
- Ta Prière est la
preuve de ta soumission (à Allah), ton jeûne te conduira au Paradis, ton aumône
te servira d'ombre, et tes invocations, de lumière! Alors, qu'est-ce que tu as
fait pour Moi?
Mûsâ (p) demanda:
- Indique-moi une
action qui serait pour Toi!
Allah lui dit:
- As-tu noué
d'amitié avec un ami à Moi? T'es-tu jamais montré hostile à un ennemi à Moi?
Mûsâ (p) comprit
alors que la meilleure des actions consiste à aimer pour Allah et détester pour
Allah».(102)
3- Le gouvernement de l'amour pour
Allah
Le croyant doit
soumettre à l'autorité du principe de "l'amour pour Allah" tous ses liens, ses
relations et les penchants de son coeur, exactement comme il les a soumis à
l'autorité du principe de "l'amour d'Allah". Car là aussi, il n'est pas interdit
en Islam à ce que le Musulman aime pour lui ce qu'il veut et désire (bien que le
programme de l'éducation islamique tend et s'emploie à faire de "l'amour
d'Allah" la source de tout amour dans la vie du croyant, au point de consacrer
son coeur exclusivement à l'amour à Allah), mais à la condition que son amour
personnel ne soit pas plus fort que l'amour d'Allah, d'une part, et qu'il
s'abstienne d'aimer ce qu'Allah déteste et de détester ce qu'Allah aime, d'autre
part. En outre, et c'est la troisième condition ou restriction, il doit
s'abstenir de faire de son amour personnel (l'amour de soi) le critère ou
l'arbitre de ses sentiments d'amour et de haine, en dehors des règles légales de
l'amour et de la haine, et en opposition avec le principe de l'autorité de
"l'amour pour Allah" qui doit être le juge des sentiments d'amour et de haine
dans la vie du croyant. En bref, tout ce qui est "amour pour Allah" gouverne sur
toutes les relations du croyant, et tout ce qui est "amour de soi" doit être
gouverné par les règles de l'amour et de la haine en Islam.
Telle est la
troisième différence entre "l'amour d'Allah" et "l'amour pour Allah" d'une part,
"l'amour de soi" de l'autre. Telle est aussi la signification de l'autorité de
"l'amour pour Allah" sur les relations sociales et les penchants du coeur du
Musulman, tout comme l'autorité de "l'amour d'Allah" sur les sentiments d'amour
et de haine dans la vie du croyant.
Cette autorité de
"l'amour pour Allah" sur les relations et les penchants du croyant s'exerce de
deux façons:
1-
L'autorité de "l'amour pour
Allah" doit s'exercer positivement et négativement, en émettant un jugement
négatif contre tout ce qui ne concorde pas avec "l'amour pour Allah", et un
jugement positif qui approuve et confirme tout ce que requiert et commande
"l'amour pour Allah".
En effet "l'amour
pour Allah", tout comme "l'amour d'Allah", appelle d'autres sentiments d'amour
et de haine, et le Musulman ne sera sincère dans son amour pour Allah que
lorsqu'il en aura fait le juge et l'autorité dans toutes ses relations et
penchants, et qu'il aura accepté de se conformer à tous les sentiments d'amour
et de haine qui découlent de cette autorité, car les prolongements et les
ramifications de l'amour pour Allah dans les relations de l'homme, ses rapports
et les penchants de son coeur sont illimités. Et du moment où le croyant accepte
"l'amour pour Allah", il n'aura d'autre choix que de suivre les sentiments
d'amour et de haine qui en découlent, quelque étendue que soit la chaîne de
relations sociales et familiales, impliquée.
Sans doute le
célèbre Hadith du Prophète, rapporté aussi bien par les sources chiites que
sunnites, et décrétant l'obligation faite aux Musulmans d'aimer les Ahl-ul-Bayt,
subséquemment à leur obligation d'aimer Allah, pour Ses bienfaits, et d'aimer le
Prophète par amour pour Allah constitue la meilleure illustration de l'autorité
du principe de "l'amour pour Allah" sur tous les sentiments et les relations du
Musulman, et de l'enchaînement des obligations, en matière de sentiments
d'amour, d'amitié et de haine que suscite ce premier maillon d'une longue chaîne
d'obligation, qu'est "l'amour pour Allah. Voici le texte dudit Hadith, tel qu'il
est rapporté par le célèbre Compagnon, Ibn 'Abbas qui témoigne: Le Messager
d'Allah (P) dit:
«Aimez Allah pour
les bienfaits dont Il vous nourrit, aimez-moi par amour pour Allah, et aimez mes
Ahl-ul-Bayt (Ahlu baytî =les gens de ma maison) par amour pour moi».(103)
Nous avons déjà
expliqué que le principe de l'autorité de "l'amour pour Allah", tout comme celui
de l'autorité de "l'amour d'Allah", entraîne l'obligation d'une attitude
positive et d'une attitude négative de la part du croyant dans ses relations et
ses sentiments. Attitude positive, le croyant doit aimer, par amour pour Allah,
tout ce qu'Allah aime et ordonne d'aimer; attitude négative, il doit détester
tout ce qu'Allah déteste ou ordonne de détester. En fait, cette attitude
négative est une question de principe dans la vie du musulman, bien qu'elle
puisse lui coûter cher et entraîner la haine, la rancune et même la guerre,
parfois. Cependant, sans cette attitude négative, le croyant ne sera pas sincère
dans son amour pour Allah. Car cet amour serait chose facile, s'il n'entraînait
pas de telles conséquences sur la vie du croyant, sur ses relations, ses
penchants et ses rapports, et s'il ne requérait pas de tels sacrifices dans ses
relations, ses sentiments et inclinations personnels.
Le Hadith que nous
venons de citer illustrait surtout l'attitude positive que l'amour pour Allah
entraîne. Nous allons à présent citer quelques hadiths qui illustrent l'attitude
négative que le croyant se doit d'adopter vis-à-vis des ennemis d'Allah par
application du principe de l'autorité de "l'amour pour Allah":
- Selon Zayd Ibn
Arqam, le Prophète (P) dit à 'Alî, Fâtimah, al-Hassan et al-Hussain: «Je suis en
guerre contre quiconque est en guerre contre vous, et en paix avec quiconque est
en paix avec vous».(104)
- Barâ' Ibn
al-'Âzib, rapportant le Hadith al-Ghadîr, témoigne: Le Prophète (P) a tenu la
main de 'Alî et dit:
«De quiconque je
suis le Maître, 'Alî que voici en est le Maître (aussi). Ô Allah! Sois l'ami de
quiconque est son ami, et l'ennemi de quiconque est son ennemi».(105)
- Selon une version
légèrement nuancée du même Hadith, rapportée par Zayd Ibn al-Arqam, le Prophète
(P) dit:
«Ne savez-vous pas
que je suis plus responsable de tout croyant que lui-même?» Ils (les gens
présents) répondirent: "Si!". (Le Prophète dit alors): «Alors, de quiconque je
suis le Maître, 'Alî en est le Maître. Ô Mon Dieu, sois l'ennemi de quiconque
est son ennemi, et l'ami de quiconque est son ami».(106)
Ainsi, "l'amour
pour Allah" constitue donc un axe gouvernant la vie du croyant. Il entraîne
l'obligation d'aimer et de détester, d'être ami ou ennemi.
Beaucoup de textes
de ziyârah (visite pieuse) rapportés par les Imams d'Ahl-ul-Bayt
confirment cette vérité. Ainsi dans la ziyârah du Maître des martyrs, l'Imam
al-Hussain, les pèlerins proclament: «Avec vous, toujours avec vous! Jamais avec
votre ennemi». Car l'amour de l'Imam al-Hussain (p), un membre éminent des
Ahl-ul-Bayt, rendu obligatoire par le principe de l'autorité de l'amour d'Allah
et des obligations subséquentes (l'amour pour Allah amour du Prophète amour des
Ahl-ul-Bayt), requiert le rejet de ses ennemis et la rupture avec ses
adversaires et détracteurs. Sans quoi, sans cette rupture et ce rejet, ledit
amour ne revêt pas sa valeur réelle.
Telle est en
résumé, la première façon dont s'exerce l'autorité de l'amour pour Allah: elle
commande au croyant d'adopter une attitude positive (envers les Amis d'Allah) et
une attitude négative (contre les ennemis d'Allah).
2- La seconde obligation
qu'entraîne le principe de l'autorité de "l'amour pour Allah", est que le
croyant doit appliquer ce principe aux degrés de l'amour et de la préférence, en
donnant la priorité d'un type d'amour sur un autre, et la préférence à une chose
sur une autre. Ainsi lorsqu'il y a concurrence des penchants, des relations et
des inclinations du coeur, il doit donner la priorité au sentiment ou à la
relation qui satisfait Allah sur celui ou celle qui le satisfait lui-même, et ce
dans le cadre des règles de la Loi islamique, relative à la nécessité de donner
la priorité du plus important sur l'important.
Selon Abû Hurayrah,
le Prophète (P) dit: «Par Celui Qui dispose de mon âme, aucun de vous n'aura cru
jusqu'à ce que je sois plus aimé de lui que ses biens et ses enfants».(107)
Le même Hadith a
été rapporté par Muslim selon une version nuancée: «Aucun serviteur n'aura cru
jusqu'à ce que je sois plus aimé de lui que sa famille, ses biens et tout le
monde».(108)
Selon Târiq
Ibn Laylâ al-Ançârî, le Prophète dit: «Le serviteur d'Allah n'aura pas cru
jusqu'à ce que je sois plus aimé de lui que lui-même, que ma progéniture soit
plus aimé de lui que sa propre progéniture, et que ma famille soit plus aimée de
lui que sa propre famille».(109)
Ainsi "l'amour pour
Allah" diffère de "l'amour pour soi" islamiquement légitime en ceci que ce
dernier est toujours gouverné par le premier. Par exemple, l'amour de la famille
et de la patrie est islamiquement permis, tant qu'il reste dans le cadre que
l'Islam autorise, mais cet amour ne constitue pas un axe gouvernant ou une
autorité sur les relations sociales ou les attachements du coeur du croyant, il
est au contraire gouverné par les règles de "l'amour pour Allah" et de "l'amour
d'Allah", ce qui veut dire que le croyant n'a pas le droit de suivre son amour
de la patrie ou de la famille dans toutes ses exigences et ses conséquences
inconditionnellement, ou en d'autres termes, il ne lui est pas permis d'aimer
ceux de sa famille ou de ses concitoyens qui soient des ennemis d'Allah et de
Son Prophète (P). Car la règle de "l'amour pour Allah" lui impose d'aimer les
croyants qui ne font pas partie de sa patrie et de sa famille, et de détester et
combattre, au sein même de sa famille et de sa patrie, ceux qui sont des ennemis
d'Allah et de Son Prophète.
Lorsqu'on a demandé
à l'Imam 'Alî Ibn al-Hussain (p), ce que signifie "l'esprit du corps" ou la
solidarité familiale ou tribale ('açabiyyah), il répondit: «L'esprit du
corps condamné (par l'Islam) consiste à considérer les méchants de son peuple
comme étant meilleurs que les gens pieux d'un autre peuple. Aimer son peuple ne
signifie pas esprit du corps, car l'esprit du corps c'est aider ou soutenir son
peuple dans l'injustice».(110)
Quant à l'amour de
la Ummah, étant donné qu'il découle du principe de l'autorité de "l'amour
d'Allah", il a autorité à son tour sur tout ce qui en découle, et implique que
le croyant aime obligatoirement tous les Musulmans (qui composent la Ummah),
aussi bien ceux appartenant à son peuple et sa patrie que ceux qui n'en font pas
partie (mais qui appartiennent à la Ummah), et qu'il combatte obligatoirement
tous les ennemis d'Allah et tous les agresseurs, aussi bien, ceux faisant partie
de son peuple et de sa patrie, que ceux qui appartiennent à un autre peuple et à
une autre patrie.
Par conséquent, le
premier amour, "l'amour de la patrie et du peuple ou de la tribu, de la famille"
diffère du second, "l'amour de la Ummah" (la nation ou la Communauté musulmane)
en ceci qu'il fait partie de la catégorie de l'amour permis, mais soumis aux
règles et aux exigences de "l'amour pour Allah", alors que le second est du type
gouvernant et a donc autorité sur tous les penchants et relations nation'Alîstes
et patriotiques du croyant.
La substance et le
sommet du walâ' (amitié ou inféodation) résident dans l'Unicité. Sans
l'Unicité, le walâ' perd totalement sa raison d'être. C'est seulement
lorsque nous aurons saisi cette vérité que nous comprendrons le vrai sens du
walâ'. Autrement notre compréhension de cette notion de walâ'
sera superficielle et simpliste, s'appliquant à tout et à n'importe quoi, y
compris l'amitié avec les ennemis d'Allah, épousant les contraires et les
opposés sans s'embarrasser des contradictions, mettant dans le même registre
l'amour d'Allah et de Ses Prophètes, et l'amour de Pharaon et de sa clique.
Ainsi, dans son acception simpliste, le walâ' peut réunir l'amour des
civilisations zoroastrienne, pharaonique et babylonienne, et l'amour de l'Islam,
comme le font les courants nationalistes contemporains. Donc lorsque le
walâ' s'abaisse à ce niveau, il se vide de sa substance et de son
contenu, et se dévalorise complètement.
Récapitulons, pour
mieux exposer les autres implications de l'amour pour Allah: il ressort de ce
qui précède que l'amour pour Allah doit donc constituer dans la vie du Musulman
l'axe du walâ', dans ses implications positives et négatives, l'axe de
l'amour et de la haine, du rapprochement et de l'éloignement, et avoir autorité
sur toutes les relations, les orientations et les tendances du croyant. Tout
autre amour qui ne soit pas en contradiction avec l'amour pour Allah est permis,
à condition toutefois, qu'il soit soumis à l'autorité de l'amour pour Allah.
Ceci implique que même lorsque deux groupes de Musulmans entrent en conflit
quelconque, le croyant ne peut les réunir dans le même amour, c'est-à-dire
continuer à les aimer tous les deux également. Il doit prendre position et
orienter son amour et sa haine respectivement vers l'un et l'autre. Ce sont les
règles de "l'amour pour Allah" qui dictent l'attitude ou la position à prendre
dans de tels cas de figure. Dans une situation semblable, l'Islam ne laisse pas
au croyant le soin de prendre position en faveur ou en défaveur de chacun des
deux groupes, selon ses inclinations et ses sentiments personnels. Il lui
commande, au contraire, d'y soumettre soigneusement ses sentiments et ses
penchants aux règles de "l'amour pour Allah", et d'essayer tout d'abord, tout
son possible, pour les réconcilier. Si l'un des deux groupes s'avère être
injuste, il doit prendre fermement position pour le groupe agressé ou lésé et
contre le groupe agresseur ou injuste, sans se laisser influencer par des
considérations sentimentales, tribales ou affectives. Et si le groupe agresseur
persiste dans son agression, et refuse de rendre justice, il doit lui déclarer
la guerre et le combattre côte à côte avec le groupe agressé: «Si deux
groupes de croyants se combattent, alors, faites la paix entre eux. Puis, si
l'un d'eux se rebelle contre l'autre, alors combattez celui qui se rebelle,
jusqu'à ce qu'il s'incline devant l'ordre d'Allah. Puis, s'il s'incline, alors,
faites la paix entre eux avec justice, et jugez à la balance. Oui, Allah aime
ceux qui jugent à a la balance».(111)
L'amour pour Allah
est donc un axe qui gouverne la vie du Musulman. Il lui dessine une carte claire
de ses relations sociales et familiales, des endroits (individus, groupes, etc.)
respectifs dont il doit s'éloigner ou se rapprocher, et des situations
respectives vers lesquelles il doit ou peut orienter sa haine ou son amour. L'un
des traits caractéristiques de cet axe est qu'il n'accepte aucun autre axe, quel
qu'il soit, à côté de lui.
La pureté (la sincérité) de l'amour
d'Allah
"La pureté de
l'amour d'Allah" se situe à un degré supérieur par rapport au principe de
"l'Unicité de l'amour", principe qui n'annihile pas tout autre amour que celui
d'Allah, mais confère à ce dernier l'autorité, la priorité et la prééminence sur
tout autre amour: «Les croyants sont les plus ardents en l'amour
d'Allah»,(112) et il
constitue une des conditions de la Foi, et une des branches de l'Unicité.
En revanche, "la
pureté de l'amour" renie tout autre amour que l'amour d'Allah, à l'exception de
celui qui se situe dans le prolongement de l'amour d'Allah (aimer pour Allah et
détester pour Allah), et à la différence de "l'Unicité de l'amour", elle ne
s'apparente pas à la Foi, ni à l'Unicité, mais fait partie du domaine des
véridiques et de leurs positions rapprochées d'Allah, Lequel accorde à Ses
serviteurs dévoués la capacité de chasser de leurs coeurs tout amour autre que
le Sien.
L'Imam al-Sâdiq (p)
professe à ce sujet: «Le coeur est la Maison Interdite (Haram) d'Allah.
Ne fais donc pas habiter quelqu'un d'autre qu'Allah dans la Maison Interdite
d'Allah».(113)
Donc, à la
différence des sens qui se meuvent et se déplacent dans la vie de tous les côtés
qu'Allah a permis et autorisés, le coeur a cette particularité d'être l'Enceinte
privée d'Allah, dans laquelle il n'y a pas de place pour aucun autre sentiment
ou attachement que l'amour d'Allah.
Dans le Hadith que
nous venons de citer, la définition du coeur comme étant une "Maison privée ou
interdite", est une définition très précise et expressive, car la Maison
interdite ou privée est une zone sûre et fermée à tout étranger. Ses habitants
sont à l'abri de l'insécurité et de la peur. Aucun étranger n'y pénètre, tout
comme le coeur, qui est la Maison protégée d'Allah, dans laquelle aucun autre
amour que l'amour d'Allah ne doit entrer, et aucun autre amour ne doit déranger
ni concurrencer l'amour d'Allah. C'est pourquoi, les véridiques, les serviteurs
pieux d'Allah se dévouent entièrement à l'amour d'Allah et n'y adjoignent aucun
autre, quel qu'il soit, sauf celui qui se situe dans son prolongement (de
l'amour d'Allah).
Dans le
munâjât suivant de l'Imam al-Sajjâd (p), il n'est pas difficile de
ressentir le tourment de l'amour et la sincérité du dévouement dans l'amour:
«Ô mon Maître!
Vers Toi s'oriente mon désir, de Toi est ma crainte, en Toi sont placées mes
espérances! Mon espoir m'a conduit vers Toi, sur Toi j'ai concentré, ô l'Unique,
ma pensée, c'est Toi le motif de mes sincères espoir et crainte, mon amour s'est
plu à Toi, c'est vers Toi que j'ai tendu la main, et c'est par Tes souvenirs que
mon coeur a vécu».
Ainsi, l'Imam lie
ici tout son espoir, sa crainte, son désir, sa pensée, etc. à Allah.
Dans un hadith, le
Prophète (P) dit: «Aimez Allah de tous vos coeurs».(114)
Dans un Do'â',
l'Imam al-Sajjâd (p) supplie Allah: «Ô mon Dieu! Je Te demande de remplir
mon coeur de Ton amour, de Ta crainte, de foi en Toi, de croyance en Toi, de
désir de Toi».(115)
Si le coeur du
serviteur est rempli de l'amour et du désir d'Allah, il est normal qu'il n'y
reste aucune place vacante pour un autre amour, sauf d'un amour qui émane de
l'amour d'Allah, ce qui revient au même.
Dans le Do'â' à
l'occasion de l'arrivée du mois de Ramadhân, l'Imam al-Sâdiq (p) dit: «Ô mon
Dieu! Prie sur Mohammad et la Famille de Mohammad, et occupe mon coeur à la
glorification de Ta Grandeur, remplis-le de Ton amour afin que je Te rencontre
avec le sang jaillissant dans mes veines jugulaires»,(116) langage
métaphorique qui exprime le dévouement dans l'amour d'Allah, lequel devient
l'obsession du coeur et son souci tenace.
L'attachement jaloux d'Allah
à Son serviteur
Allah aime Son
serviteur et en est jaloux, car la jalousie est le propre de l'amour. Il veut
que le coeur du serviteur se dévoue à Son amour, et qu'il ne laisse y entrer
aucun autre.
On rapporte que le
Prophète Mûsâ (p) s'adressa à son Seigneur dans la Vallée sainte et dit: «Ô
Seigneur! Je me suis dévoué dans mon amour pour Toi et j'ai purifié mon coeur de
tout autre que Toi». Pourtant, il aimait énormément sa famille. Allah lui dit
alors: «Ôte de ton coeur l'amour de ta famille, si ton amour s'est dévoué à
Moi».(117)
Le propre de
l'amour jaloux d'Allah envers Son serviteur est d'enlever de son coeur tout
intrus, lorsque intrus il y a, afin de préserver sa pureté. Dans un do'â' l'Imam
al-Hussain (p) dit:
«(Ô Seigneur),
c'est Toi qui as enlevé la poussière des coeurs de Tes aimants, afin qu'ils
n'aiment personne que Toi!... Qu'a-t-il trouvé celui qui T'a perdu!? Et
qu'a-t-il perdu celui qui T'a trouvé!? N'a obtenu que déception celui qui avait
accepté un suppléant à Toi».
Aimer pour
Allah et en Allah
Mais ici une
question se pose qui appelle une réponse: d'aucuns pourraient être amenés à
interpréter le dévouement dans l'amour d'Allah, compris de la sorte, comme étant
contraire à la nature innée de l'homme, puisqu'Allah a créé l'homme en déposant
dans sa nature la tendance à aimer beaucoup de choses. Donc aimer Allah
exclusivement en écartant la possibilité de tout autre amour contredirait cette
nature innée qu'Allah a créée.
La réponse à cette
interrogation est simple: la pureté de l'amour d'Allah ne signifie pas la
négation de la nature innée, mais l'orientation des sentiments de l'homme (amour
et haine) vers ce qu'Allah aime et déteste.
Car, en fait, Allah
ne demande pas à Son fidèle serviteur et interlocuteur privilégié, le Prophète
Mûsâ (p) d'ôter définitivement de son coeur l'amour de sa famille, mais
seulement d'aimer sa famille à travers son amour d'Allah, afin que cet Amour
soit la source unique de tout amour dans son coeur. En d'autres termes, ce
qu'Allah commande à son Prophète Mûsâ, c'est de relier tout amour au canal de
Son amour; de cette façon, l'amour de la famille devient une consécration et une
confirmation de l'amour d'Allah. C'est là une méthode d'éducation sublime dont
ne bénéficient que ceux qu'Allah aime, élit. La preuve en est que le Prophète
Mohammad (P), qui est le plus pur, le plus dévoué et le plus sincère de
l'humanité aimait d'autres choses, puisqu'il répétait: «J'aime de votre vie
d'ici-bas trois choses: le parfum, les femmes et la prière qui vaut la prunelle
de mes yeux».
Il ne fait pas de
doute que cet amour se situe dans le prolongement de l'Amour d'Allah, car, étant
donné que la plus aimée de ces trois choses est la Prière (qui lui est aussi
chère que la prunelle de ses yeux), laquelle constitue indubitablement un acte
de soumission à Allah, l'amour du Prophète (P) pour lesdites trois choses ne
peut que prolonger l'Amour d'Allah.
Ainsi, le
dévouement dans l'Amour d'Allah, loin de s'opposer à la nature humaine, équivaut
à une réorganisation de la carte de l'amour et de la haine conformément à cette
donnée nouvelle que l'Islam introduit. Dès lors, l'amour naturel de l'homme
reste à sa place, mais inséré dans le cadre d'une organisation nouvelle qui
consacre l'Amour du serviteur pour Allah, au lieu de l'affaiblir ou de le
brouiller.
C'est pour cette
raison que les textes islamiques, dont nous citons quelques-uns ci-après
réaffirment la valeur et l'importance cruciale de l'amour pour Allah et l'amour
en Allah:
- L'Imam 'Alî (p)
dit: «L'amour pour Allah est le plus proche lien (de lignage)».(118)
Et:
«L'amour en Allah
est plus sûr que le lien utérin».(119)
L'Imam 'Alî (p)
exprime ici une pensée très précise et reposant sur un fondement idéologique. En
effet, il y a dans la vie des gens des lignages, des réseaux de liens sociaux.
Le plus solide de ces liens est le lien utérin. Or, la relation avec Allah
devient plus sûre que le lien utérin, si l'homme lie et soumet son amour et ses
attachements à cette relation, et aime et déteste à travers elle, son amour
devient le plus sûr et le plus complet des lignages et des liens. Car si l'amour
était pour quelqu'un d'autre qu'Allah, il pourrait changer ou s'émousser, ou
encore être affecté par des facteurs qui modifient les sentiments des gens les
uns envers les autres. Mais si son amour de son frère s'inscrit dans l'Amour
d'Allah, il sera plus sûr, plus solide et plus imperméable aux vicissitudes et
aux facteurs opposés.
Le dévouement dans
l'Amour d'Allah, loin de renier les attachements naturels qui habitent l'âme
humaine, les confirme et les enracine en les insérant dans le grand canal qui
régit et ordonne l'amour de tous les véridiques et les amis d'Allah. De cette
façon, le meilleur des gens auprès d'Allah devient celui qui aime le plus son
frère croyant.
Selon l'Imam
al-Sâdiq (P): «Il n'est pas de cas où deux frères de religion se rencontrent
sans que le meilleur d'entre eux soit celui qui aime le plus son frère».(120)
Il est pertinent de
rappeler ici un autre hadith de l'Imam al-Sâdiq (p), déjà cité: «Ceux qui
s'aiment par amour pour Allah seront assis, le Jour du Jugement, sur des chaires
de lumière. La lumière de leurs corps et de leurs chaires illuminent tellement
tout autour d'eux, qu'on les reconnaît à ce signe et qu'on en dit: Voilà les
gens qui s'aiment par amour pour Allah».(121)
La première source de
l'amour
D'où tirer l'Amour?
Voilà une question capitale dans notre exposé. Car ayant compris l'importance et
la valeur inestimable de l'Amour d'Allah, il nous faut absolument savoir où nous
devrions l'épuiser et quelle est sa source? La réponse concise à cette
interrogation se résume ainsi: Allah Lui-Même est la source, le principe et le
but de cet Amour.
Nous allons
maintenant détailler et développer ce sujet.
1- Allah aime Ses
serviteurs
Allah aime Ses
serviteurs, assure leur subsistance, couvre leurs défauts, leur prodigue des
dons et des bienfaits innombrables, leur pardonne, accepte leur repentance, leur
trouve le chemin de la prospérité, les guide dans le droit chemin, les couvre de
Ses soins, et conjure leurs malheurs. Toutes ces faveurs sont des signes
d'amour.
2- Il leur inspire Son
Amour
L'un des signes
révélateurs et étonnants de l'amour d'Allah pour Ses serviteurs est qu'Il leur
inspire Son amour. Étonnant parce qu'Il est à la fois le pourvoyeur et le
récepteur de l'amour. Il inspire l'amour à Ses serviteurs pour en être par la
suite l'objet. En d'autres termes Il est inspirateur de l'amour des gens. Il
leur projette attirance sur attirance, puis Il les attire vers Lui par ces
charges d'Attirance.
Beaucoup de textes
islamiques soulignent cette vérité.
Rappelons-nous à
cet égard l'un des munâjât de l'Imam 'Alî Ibn al-Hussain al-Sajjâd
(Zayn al-'Âbidîn) qui dit:
«Ô mon Dieu!
Fais que je sois au nombre de ceux dont les arbres de Ton désir se sont
enracinés dans les jardins de leurs poitrines et dont le chagrin de Ton amour a
envahi leurs coeurs!»
Dans son Do'â' à
'Arafah l'Imam al-Hussain (p) dit:
«Comment
peut-on démontrer Ton Existence par un être dont l'existence dépend de Toi!
Est-ce possible que quelqu'un d'autre que Toi ait une manifestation que Tu
n'aurais pas, pour qu'il devienne la preuve de Ton Existence! Quand aurais-Tu
été absent, pour que Tu aies besoin d'un indicateur qui guiderait vers Toi!
Quand Te serais-Tu éloigné pour que les traces soient le guide vers Toi! Qu'il
soit aveugle, l'oeil qui ne voit pas en Toi le Surveillant! Qu'il soit perdant
le marché d'un serviteur, qui n'inclut pas la part de Ton amour! Guide-moi donc
par Ta Lumière vers Toi! Fais que je me présente entre Tes mains pour Te rendre
un culte sincère! Protège-moi par Ton secret protecteur! Fais-moi marcher sur
les traces des gens attirés par Toi! Mon Dieu! Fais que Ta planification pour
moi me fasse me passer de ma planification, et Ton choix me fasse me passer du
mien!... C'est Toi qui as fait briller les lumières dans les coeurs de Tes
Serviteurs intimes jusqu'à ce qu'ils T'eussent connu, reconnussent Ton Unicité!
C'est Toi qui as enlevé l'amour des autres des coeurs de Tes aimants pour qu'ils
n'aiment personne d'autre que Toi et ne se réfugient auprès de personne d'autre
que Toi! C'est Toi leur consolation lorsqu'ils sont abandonnés par tout le
monde! C'est Toi qui les as guidés lorsque les aspects de la route leur ont
parus divergents! Qu'a-t-il trouvé celui qui T'a perdu!! Et qu'a-t-il perdu
celui qui T'a trouvé!! N'a recueilli que désappointement celui qui a accepté de
substituer quelqu'un d'autre à Toi! Comment place-t-il son espoir en quelqu'un
d'autre alors que Tu n'as jamais cessé Ta bienfaisance! Et comment demande-t-il
à quelqu'un d'autre alors que Tu n'as jamais changé l'habitude de Ta largesse!
(...) Ô Toi qui as fait goûter à Tes aimants la douceur de Ta Compagnie, au
point qu'ils se sont mis à Te flatter entre Tes mains! Ô Toi qui as habillé Tes
serviteurs intimes des vêtements de Ta Majesté, et ils se sont mis entre Tes
mains, en demandant pardon. Ô mon Dieu! Demande-moi par Ta Miséricorde, afin que
j'arrive près de Toi! Attire-moi par Ta faveur pour que je penche vers
Toi».(122)
3- Il leur manifeste Son
Amour
Allah manifeste Son
amour à Ses serviteurs et leur prodigue Ses bienfaits afin qu'ils L'aiment. Car
les bienfaits et les faveurs touchent les coeurs purs et conscients, et leur
font aimer leur bienfaiteur Allah.
Dans Do'â'
al-Sahar (de la fin de la nuit), l'Imam al-Sajjâd (p) dit:
«Tu nous
montres de l'amour par Tes bienfaits, alors que nous nous opposons à Toi par les
péchés! Ta bienfaisance descend vers nous et notre méchanceté monte vers Toi! Un
noble Ange continue encore à Te rapporter chaque jour une action répréhensible,
commise par nous, mais tout ce qui T'est rapporté (de mauvais) sur nous ne
T'empêche de nous entourer de Ta Miséricorde, et de nous favoriser de Tes
signes! Gloire à Toi donc! que Tu es Clément, que Tu es Grand, que Tu es Noble,
depuis toujours et continuelle-ment!».(123)
Le serviteur ne
peut qu'avoir honte en comparant les bienfaits, la grâce, les faveurs, le
pardon, la couverture des défauts etc. qui descendent et viennent d'Allah vers
lui, et la méchanceté et l'action condamnable qu'il envoie vers Allah, car il
répond à ces signaux d'amour et d'affection de la part d'Allah, par une attitude
de répulsion et de haine à Son égard.
«O mon Dieu!
Alors que Tu m'appelles, je Te tourne le dos, et alors que Tu Te montres aimable
envers moi, je Te boude; et alors que Tu me témoignes de l'affection, je la
refuse de Ta part, comme si Tu me devais quelque chose; et malgré tout, cela ne
T'a pas empêché d'être Miséricordieux envers moi, Bienfaisant à mon égard, et de
me couvrir de la faveur de Ta Largesse!».(124)
En tout état de
cause, quiconque a l'habitude de lire le Coran peut constater facilement que ce
Livre d'Allah tient à se servir du bienfait divin ou à invoquer ce bienfait pour
orienter l'homme vers l'Amour d'Allah et vers le chant de Ses louanges.
Citons-en un court
passage, entre bien d'autres, à l'appui de notre affirmation:
* «C'est Lui
qui fait descendre du ciel, avec mesure, une eau grâce à laquelle Nous rendons
la vie à une terre morte. Ainsi vous fera-t-on sortir de vos tombes.
* »C'est Lui
qui a créé toutes les espèces d'animaux. Il vous a donné, comme moyens de
transport, les vaisseaux et les bêtes de somme,
* »pour que
vous vous y teniez commodément assis. Vous vous rappelez alors les bienfaits de
votre Seigneur et vous direz: Gloire à Celui qui a mis tout cela à notre
service, alors que, de nous-mêmes, nous n'y serions pas parvenus».(125)
Il ressort de ces
deux versets coraniques que les vaisseaux, les animaux et les bêtes de somme
servent à trois desseins et non un seul:
1)- «pour que
vous vous y teniez commodément assis», c'est l'utilisation du bienfait;
2)- puis «(pour
que) vous vous rappeliez les bienfaits de votre Seigneur, lorsque vous vous y
tenez commodément assis», c'est la conscience du bienfait;
3)- puis vous
direz: «Gloire à Celui qui a mis tout cela à notre service, alors que, de
nous-mêmes, nous n'y serions pas parvenus», et c'est le remerciement, les
louanges et la glorification.
Ceux qui reçoivent
les bienfaits d'Allah sans en être conscients et sans faire les louanges d'Allah
pour ses bienfaits sont comme les bestiaux: ils ne profitent que partiellement
du bienfait, car celui-ci n'alimente pas seulement le corps, mais aussi, l'âme,
l'esprit et le coeur. Or, ceux qui ne bénéficient que partiellement du bienfait
privent leurs esprits, leurs âmes et leurs coeurs des bienfaits du
Miséricordieux.
De même les autres
sources islamiques, les hadiths, sont riches en exemples où les Prophètes et les
saints de l'Islam appellent les gens à Allah et leur font aimer le Créateur, en
mettant en évidence Ses bienfaits.
Ainsi, selon un
hadith saint (qudsî): Allah a révélé au Prophète Mûsâ (p):
«Fais-Moi aimer de Mes créatures». Mûsâ (p) dit: «Ô mon Dieu! Tu sais
que je T'aime plus que tout autre. Mais comment pourrais-je influencer les
coeurs des serviteurs!?". Allah lui a révélé: «Rappelle-leur Mes bienfaits
et Mes signes; dès lors ils ne retiendront de Moi dans leur mémoire que le
bien».
Selon un autre
hadith saint: Allah dit au Prophète Dâwûd (p): «Aime-Moi et fais-Moi aimer
de Mes créatures». Dâwûd (p) répondit: «Moi, je T'aime, certes oui. Mais
comment Te faire aimer de Tes créatures!?» Allah lui dit: «Évoque auprès
d'elles Ma largesse; si tu la leur rappelles, elles M'aimeront».(126)
4- Allah est jaloux de Son
serviteur
Comme nous l'avons
déjà signalé, Allah est jaloux de Ses serviteurs; Il veut qu'ils dépouillent
leurs coeurs de tout autre amour que le Sien.
5- Allah appelle Ses serviteurs au
repentir
L'un des signes de
l'amour d'Allah de Ses serviteur est que lorsqu'ils Lui désobéissent et se
détournent de Lui, Il ne les abandonne pas à leur triste sort, mais leur tend la
corde de l'affection, les appelle au retour et leur ouvre les portes de la
repentance:
«Quiconque agit
mal ou fait du tort à lui-même, puis aussitôt implore d'Allah le pardon,
trouvera Allah Pardonneur et Miséricordieux».(127)
6- Il les y incite en les soumettant à
des épreuves
Même lorsqu'ils
refusent de se repentir et de retourner vers Lui en continuant dans leur
éloignement du Droit Chemin, Allah ne se détourne pas d'eux et ne leur coupe pas
le chemin du retour et du repentir, mais les éprouve par le malheur et la
calamité dans l'espoir de les ramener à la raison:
«Nous n'avons
envoyé aucun prophète dans une cité sans frapper (par la suite) ses habitants de
malheur et de calamité, afin qu'ils implorent (le pardon)».(128)
Dans le
munâjât No 8, déjà cité, l'Imam al-Sajjâd (p) dit:
«Ô Toi qui
viens à la rencontre de ceux qui se dirigent vers Toi, et qui reviens sans cesse
vers eux pour leur prodiguer Tes faveurs; Ô Toi qui Te montres Clément et
Compatissant envers ceux qui négligent de T'invoquer, et qui les attires vers Ta
porte avec affection et amabilité!».
Allah est donc
indulgent et affectueux, même envers ceux qui L'oublient et se détournent de
Lui. Il les aime et leur montre Son affection, leur offre Son amour et leur
ouvre le chemin du retour à Son amour lorsqu'ils s'éloignent et se détachent de
Lui.
Il est donc la
source et le but de l'Amour. Donc, qui veut l'amour divin, n'a qu'à le demander
à Allah.
Nous avons eu
l'occasion de voir dans les pages précédentes, des extraits de do'â' dans
lesquels les Imams insistent dans leur demande de l'amour d'Allah.
En voici un rappel:
Dans un do'â', l'Imam 'Alî Ibn al-Hussain (p) implore Allah:
«Ô mon Dieu! Je
Te demande de remplir mon coeur de Ton amour, de Ta crainte, de foi en Toi, de
croyance en Toi, de désir de Toi».(129)
Dans un do'â', le
Prophète (P) dit:
«Ô mon Dieu! Je
Te demande de m'inspirer Ton amour, l'amour de ceux qui T'aiment, et l'action
qui me conduit à Ton amour. Ô mon Dieu! Fais que je T'aime plus que moi-même et
ma famille».(130)
Dans le 7e de ses
15 célèbres munâjâts, l'Imam al-Sajjâd (p) dit:
«Ô mon Dieu!
Transporte-nous dans Tes vaisseaux de sauvetage! Fais-nous nous réjouir du
plaisir des entretiens intimes avec Toi (munâjât)! Fais-nous entrer dans les
bassins de Ton amour! Fais-nous goûter la douceur de Ton affection! Fais que
notre jihâd (combat) soit pour Ta Cause, et que notre souci soit Ton obéissance!
Donne-nous de purifier nos intentions dans nos relations avec Toi! Car nous
existons par Toi et pour Toi, et nous n'avons d'autre moyen menant vers Toi que
Toi-même!».(131)
Comment aimer
Allah?
Nous avons dit
qu'Allah montre Son affection à Ses serviteurs à travers les bienfaits qu'Il
leur prodiguent. C'est là une vérité établie qui n'a pas besoin d'une nouvelle
démonstration ou explication. Ce qui nous importe maintenant est de dire que la
"conscience du bienfait" constitue le facteur essentiel et principal de l'amour
d'Allah, et que lorsque le croyant est conscient du bienfait dont Allah le
gratifie, cette conscience a deux effets directs sur sa relation avec Allah.
Le premier est le
remerciement ou la gratitude, le second, l'amour. Tous deux élèvent le croyant
vers Allah et forment deux voies qu'il emprunte pour se diriger vers Allah.
La relation entre
le bienfait et le remerciement est une relation dialectique et de réciprocité,
ou en d'autres termes il y a corrélation entre les deux: chaque fois qu'Allah
gratifie un serviteur d'un bienfait, ce bienfait appelle le serviteur à
remercier Allah, et chaque fois qu'il remercie Allah de Son bienfait, Allah
augmente pour lui Ses bienfaits: «Si vous êtes reconnaissants, très
certainement, J'augmenterai (Mes bienfaits) pour vous».(132) Or
l'augmentation des bienfaits requiert encore plus de reconnaissance, et ainsi de
suite. Et c'est de cette façon que s'effectue la montée du serviteur vers Allah.
En revanche, si
l'homme reçoit le bienfait sans en avoir conscience, il suscite en lui
l'insolence, l'hypocrisie, la vanité et la tyrannie: «Prenez garde! Vraiment
l'homme devient rebelle, dès qu'il estime qu'il peut se suffire à
lui-même».(133)
Le bienfait conduit
l'homme tantôt à l'amour d'Allah et à un sentiment de reconnaissance envers Lui,
tantôt à la rébellion, à la vanité et à l'incurie. Or, la différence entre les
deux états est la conscience. C'est pourquoi le Coran met l'accent sur le rappel
des bienfaits d'Allah, rappel qui occupe une grande superficie de ce Livre
d'Allah. Il tente d'ouvrir les yeux de l'homme, son esprit et son coeur sur une
grande partie des bienfaits d'Allah, qu'il oublie habituellement, alors qu'il
les côtoie et en bénéficie quotidiennement.
Cet oubli est de
nature à abrutir l'esprit, de sorte qu'il ne ressent plus la valeur la beauté de
ces bienfaits que sont, entre bien d'autres, la vie conjugale, l'enroulement du
jour sur la nuit et la nuit sur le jour, les vaisseaux et les montures dont se
sert l'homme sur la mer et la terre. De là le Coran se livre à travers ses pages
à cette campagne de "consciencisation" ou de prise de conscience des
innombrables Bienfaits divins: «Si vous comptiez les bienfaits de Dieu, vous
ne sauriez les dénombrer».(134) «Il
a répandu sur vous des bienfaits apparents et cachés».(135)
Sur
l'interprétation de ce dernier verset coranique, 'Â'ichah rapporte que le
Prophète (P) dit: «Si on ne connaît des bienfaits d'Allah que ceux relatifs à
son manger et son boire, cela veut dire qu'on a un savoir déficient et qu'on
doit s'attendre à l'approche de l'Heure de la torture».(136)
Ainsi, le rappel
des Bienfaits équivaut à une prise de conscience. Et lorsque le serviteur prend
conscience de ces bienfaits, ceux-ci se transforment dans sa vie en amour et
reconnaissance, et s'ils ne sont pas accompagnés de prise de conscience, ils
conduisent à la vanité, à l'arrogance et à la rébellion.
C'est à cette haute
valeur des louanges et à cette conscience des bienfaits, qu'Allah veut inculquer
à Ses serviteurs, que fait allusion l'Imam al-Sajjâd (p) dans le premier Do'â'
d'al-Sahîfah al-Sajjâdiyyah:
«Louanges à
Allah: s'Il venait à empêcher Ses serviteurs d'avoir conscience de la nécessité
de faire Ses louanges par reconnaissance de Ses faveurs successives et ses
bienfaits manifestes, ils utiliseraient ces faveurs sans L'en louer, et
jouiraient de Ses larges dons sans L'en remercier. S'ils venaient à se comporter
de la sorte, ils sortiraient des frontières de l'humanité et entreraient dans
celle de la bestialité, et seraient comme ceux décrits dans le Noble Coran: "Ils
ne sont comparables qu'à des bestiaux, et plus égarés encore, loin du chemin
droit"(137)».
De nombreux textes
islamiques s'appliquent répétitivement, comme nous avons eu l'occasion de le
voir, à invoquer les bienfaits d'Allah pour susciter chez les gens l'amour
d'Allah et à orienter les gens vers l'amour d'Allah pour Ses bienfaits et Ses
signes.
De même les hadiths
des Ahl-ul-Bayt prennent un soin particulier à énumérer les bienfaits d'Allah,
tout d'abord, et à insister sur la nécessité de faire Ses louanges et de Le
remercier, ensuite.
Ce sont là deux
méthodes éducatives adéquates en Islam. Elles visent à:
1- Rappeler à
l'homme les bienfaits d'Allah et l'amener à en prendre conscience;
2- L'orienter vers
les louanges, le remerciement et l'amour d'Allah
Les conséquences et les effets de
l'amour d'Allah dans la vie de l'homme
L'amour d'Allah a
de grands effets sur la vie, dont:
1- Obéir à Allah et
suivre Son Prophète: si le croyant aime Allah, il Lui obéit et obéit au
Prophète, et l'obéissance à Allah et à Son Prophète appelle l'amour d'Allah
(pour le croyant) et Son pardon. En effet Allah dit: «Dis: Suivez-moi, si
vous aimez Allah; Allah vous aimera et vous pardonnera vos péchés».(138)
2- L'amour d'Allah
purifie le coeur des souillures qui s'y sont accrochées et de l'amour de ce
monde, car il est le facteur le plus puissant et le plus influent dans le coeur
du croyant. Or, le facteur dominant a la propriété d'éliminer les facteurs
contraires et opposés. Selon l'Imam 'Alî (p): «L'amour d'Allah est un feu qui
brûle tout ce qu'il traverse, et une lumière qui illumine tout ce sur quoi elle
brille».(139)
Il est donc feu et
lumière. Il purifie le coeur et l'illumine, lui apporte lumière et clairvoyance.
L'Imam al-Sâdiq (p) dit: «Si l'amour d'Allah projette sa lumière sur le coeur
d'un croyant, il le débarrasse de tout ce qui l'occupe, au point que toute
évocation en dehors de celle d'Allah devient pour lui obscurité. Celui qui aime
Allah est le plus sincère des hommes envers Lui, le plus véridique dans sa
parole, le plus respectueux de ses engagements, le plus pur dans ses actes, le
plus limpide dans ses invocations, et le plus obéissant dans son culte. Les
Anges s'enorgueillissent de lui lorsqu'il s'entretient intimement avec Allah, et
sont fiers de le voir».(140)
3- Le rappel:
L'amour d'Allah entraîne le rappel, car le coeur de l'aimant se rappelle (celui
qu'il aime) alors que le coeur oublieux et distrait, n'est pas réceptif à
l'amour. L'amoureux ne saurait ignorer ni oublier celui qu'il aime. Le Prophète
dit (P): «Le signe de l'amour d'Allah est l'invocation (le rappel) d'Allah, et
le signe de la haine d'Allah est la détestation de l'invocation d'Allah».(141)
Lorsque l'homme
aime quelque chose, il se le rappelle, et plus il l'aime, plus il se le
rappelle. Et lorsqu'il n'aime pas une chose, il l'ignore ou en fait l'ignorant.
Font partie du rappel (invocation): la veille de nuit (pour accomplir des actes
cultuels, l'accomplissement de longues prosternations, les prières, la
continuation du culte et de l'adoration.
Selon l'Imam 'Alî
(p): «Le coeur qui aime Allah aime beaucoup le mouvement vers et pour Allah,
alors que le coeur distrait d'Allah, aime le repos».(142)
Il est rapporté
qu'Allah a révélé au Prophète Mûsâ Ibn 'Imrân (p): «Aura menti quiconque prétend
M'aimer, alors qu'il M'oublie en se livrant au sommeil, à la tombée de la nuit.
Tout amoureux n'aimerait-il pas se retirer en tête-à-tête avec son bien-aimé!?
Me voici, ô Ibn (fils de) 'Imrân en train de voir ce que font Mes aimants: leurs
vues quittent leurs coeurs et Mon châtiment se présente devant leurs yeux...».(143)
4- L'acceptation de
l'Ordre d'Allah. Or, l'acceptation de l'Ordre d'Allah se situe à un degré
supérieur au degré de la résignation, car l'homme peut se résigner à une chose,
sans pour autant l'accepter volontiers, alors que l'acceptation signifie ici
agréer. Ceci dit, l'acceptation de l'Ordre d'Allah, de Son décret et de Sa
décision constitue l'une des plus hautes positions des amis d'Allah.
Ainsi, dans le
Do'â' Kumayl, l'Imam 'Alî (p) implore: «Ô Mon Dieu! Je Te prie, en toute
soumission, en toute humilité et très modestement, d'être Indulgent avec moi et
d'avoir pitié de moi, et de me rendre content et satisfait de ce que Tu m'as
imparti et (de me faire) humble dans tous les cas».(144)
On lit aussi dans
"Ziyârat Amîn-ullâh": «Ô mon Dieu! Fais que mon âme soit rassurée quant à
Ton pouvoir, satisfaite de Ton décret, infatuée (passionnée, engouée) de Ton
invocation et de Ton do'â', amoureuse de l'élite de Tes amis, bien-aimée sur Ta
terre et dans Ton ciel».(145)
Notons que
l'acceptation ou la satisfaction de l'Ordre d'Allah fait partie des traits
caractéristiques et des conséquences de l'amour d'Allah. Ainsi si le serviteur
aime Allah, il agrée Sa Décision, Son Décret et Son Commandement.
Allah a révélé au
Prophète Dâwûd (p): «Ô Dâwûd! Quiconque aime un bien-aimé, croit à sa
parole, quiconque accepte un bien-aimé, accepte son action, quiconque a
confiance en son bien-aimé, compte sur lui, et quiconque désire un bien-aimé, il
le recherche sérieusement».(146)
5- L'une des
conséquences de l'amour du serviteur pour Allah est l'amour d'Allah pour le
serviteur. C'est là une conséquence obligatoire. Allah dit: «Dis:
Suivez-moi, si vous aimez Allah; Allah vous aimera et vous pardonnera vos
péchés. Allah est celui qui pardonne, Il est Miséricordieux».(147)
6- Une autre
conséquence de l'amour d'Allah est "aimer pour Allah" et "haïr pour Allah",
conséquence on ne peut plus naturelle de l'amour d'Allah, car lorsque l'homme
aime quelque chose, il aime aussi tout ce qui s'y accorde et déteste tout ce qui
s'y oppose.
Ci-après un hadith
de l'Imam al-Sâdiq (p) soulignant quelques-uns des effets et des conséquences de
l'amour d'Allah: «Si le coeur hérite l'amour d'Allah et s'en éclaire, la Grâce y
pénètre rapidement. Et lorsque la Grâce habite le coeur, celui-ci atteint une
haute position. Lorsqu'on atteint cette position, tout son désir et son amour se
concentrent sur son Créateur et s'orientent exclusivement vers Lui. Ce faisant,
il aura atteint la position suprême et dès lors son Seigneur entre dans son
coeur. Il s'ensuit qu'il acquiert la sagesse d'une façon différente dont
l'acquièrent les sages, la science d'une façon différente dont l'acquièrent les
savants, et la vérité d'une façon différente dont l'acquièrent les véridiques.
En effet, les sages acquièrent la sagesse par le silence, les savants acquièrent
la science par la recherche, et les véridiques acquièrent la vérité par le
recueillement et le culte prolongé. Or, ceux qui suivent un tel cheminement
peuvent aussi bien s'abaisser que se hisser. La plupart d'entre eux, finissent
par s'abaisser. Car on ne peut se hisser si l'on ne respecte pas les droits
d'Allah et ne suit pas ce qu'Allah ordonne, attitude qui caractérise ceux qui
n'ont pas d'Allah une réelle connaissance, ni ne L'aiment d'un vrai amour. Ne
sois donc pas impressionné par leur prière, leur jeûne, leurs récits, leurs
sciences. Ce sont en ré'Alîté des onagres épouvantés».(148)
La corrélation entre l'amour d'Allah et
ses conséquences
Il est impératif de
noter que la relation entre l'amour d'Allah et une somme des conséquences de cet
amour est une relation réciproque et dialectique, c'est-à-dire qu'il y a
interdépendance et influence réciproque entre l'amour d'Allah et une partie de
ses conséquences, dont chacune conduit à l'autre. Ainsi:
- L'amour d'Allah
conduit à l'invocation d'Allah:
Le Prophète (P) dit
à ce propos: «Le signe de l'amour d'Allah est l'amour de l'invocation
d'Allah».(149)
- Et l'invocation
d'Allah conduit à l'amour d'Allah:
En témoigne ce
hadith du Prophète (P) rapporté par l'Imam al-Sâdiq (p): «Quiconque multiplie
l'invocation d'Allah aimera Allah».(150)
- L'amour d'Allah
conduit à dépouiller le coeur des attaches et des préoccupations d'ici-bas:
L'Imam al-Sâdiq (p)
dit: «Si l'amour d'Allah brille sur le coeur d'un serviteur, il le vide de toute
occupation».(151)
- Le dépouillement
du coeur des attaches avec le bas-monde conduit à l'amour d'Allah.
L'Imam al-Sâdiq dit
(p): «Si le croyant se détache de la vie d'ici-bas, il se transcende et découvre
la douceur de l'amour d'Allah, au point que les gens de ce monde le voient comme
s'il avait l'esprit troublé. Mais en fait, c'est la douceur de l'amour d'Allah
qui s'est emparé tellement de lui qu'il ne s'intéresse plus à personne».(152)
D'autre part aimer
pour Allah et détester pour Allah font partie des conséquences de l'amour
d'Allah, mais en même temps ils conduisent à l'amour d'Allah. Ainsi, celui qui
aime pour Allah confirme son amour d'Allah, et celui qui aime Allah, Allah
l'aime, et celui qu'Allah aime, aime Allah.
Il y a dans la
culture islamique beaucoup d'autres cas semblables à cette relation réciproque,
lesquels font cheminer l'homme dans une ligne montante vers Allah. Par exemple,
l'invocation d'Allah consacre l'amour d'Allah, et l'amour d'Allah consacre
l'invocation d'Allah. De cette façon l'invocation et l'amour redoublent dans
cette relation réciproque en direction de la proximité d'Allah.
La réciprocité d'amour entre Allah et
Son serviteur
Nous avons évoqué
la relation réciproque entre l'amour d'Allah envers Ses serviteurs et l'amour
des serviteurs envers Allah et vu comment l'amour de l'un conduit à l'amour de
l'autre et vice versa et comment cette réciprocité constitue le point de départ,
dans la vie de l'homme, d'un mouvement montant vers Allah.
Le Coran pour sa
part fait allusion à cet amour réciproque: «Ô les croyants! Quiconque parmi
vous apostasie de sa religion ... Allah va faire venir un peuple qu'Il aime et
qui L'aime, modeste envers les croyants et fier et puissant envers les
mécréants, qui lutte dans le sentier d'Allah, ne craignant le blâme d'aucun
blâmeur. Telle est la grâce d'Allah. Il la donne à qui Il veut. Allah est
Immense et Omniscient».(153)
La réciprocité
d'amour entre Allah et Son serviteur permet à ce dernier de savoir si et dans
quelle mesure Allah l'aime, en se regardant lui-même, car le soi est un miroir
et un mesureur précis qui permet à l'homme de connaître sa position auprès
d'Allah. En effet l'Imam al-Sâdiq (p) dit à ce sujet: «Celui qui veut savoir sa
place auprès d'Allah, qu'il sache d'abord la place qu'Allah occupe en lui».(154)
L'Imam al-Sâdiq (p)
dit également: «Quiconque voudrait savoir quelle est sa position auprès d'Allah,
qu'il détermine quelle est la position d'Allah auprès de lui, car Allah réserve
au serviteur la même position que celui-ci Lui consacre».(155)
L'Imam 'Alî (p) dit
la même chose avec une nuance significative: «Quiconque d'entre vous désire
connaître sa position auprès d'Allah, qu'il regarde comment est la position
d'Allah auprès de lui lorsqu'il commet des péchés. Telle sera sa position auprès
d'Allah. Il est Sublime et Béni!».(156)
Il dit aussi:
«Quiconque aimerait connaître sa position auprès d'Allah, qu'il regarde la
position d'Allah auprès de lui. Ainsi, quiconque a le choix entre deux choses:
la vie terrestre et la Vie future, et préfère la seconde à la première, aura
aimé Allah, alors que celui qui préfère la première à la seconde, n'aura pas
accordé de place à Allah auprès de lui».(157)
Dans le Hadith
saint suivant (révélé au Prophète Dâwûd), on découvre un portrait expressif et
subtil de la relation entre Allah et le serviteur. Il montre combien Allah est
Noble, Généreux, Gracieux et Miséricordieux envers Ses serviteurs lorsqu'ils
viennent vers Lui, L'aiment et Le demandent:
«Ô Dâwûd!
Informe les habitants de la terre que J'aime quiconque M'aime, fréquente
qui-conque Me fréquente, tiens compagnie à qui-conque Me tient compagnie, et
noue amitié avec quiconque noue amitié avec Moi. Il n'est personne qui M'aime
d'un amour dont Je sais de son coeur la sincérité, sans que Je ne l'adopte, et
sans que Je ne l'aime comme personne d'autre parmi Ma créature. Quiconque Me
réclame à bon escient, Me trouvera, et quiconque réclame un autre que Moi, ne me
trouvera pas. Refusez donc, ô habitants de la terre! Votre fatuité actuelle, et
accourez vers Ma Grâce, Ma compagnie, Mon amitié, Ma fréquentation!
Accompagnez-Moi, Je vous accompagnerai et J'accourrai à votre amour».(158)
Si Allah aime un
serviteur...
Lorsqu'Allah aime
un serviteur, Il lui ouvre les trésors de Sa Miséricorde, lui offre sans compter
Ses bienfaits dans ce monde et dans la Vie future, ouvre son coeur à Sa
connaissance, lui confère la foi, la clairvoyance, et la certitude, lui inspire
l'amour, le rend passionné de Lui et désireux de Sa proximité, lui fait procurer
le plaisir de Sa compagnie et abreuve son coeur de Son amour, le rapproche et
l'attire vers Lui, lui accorde Son agrément...
Selon l'Imam
al-Sâdiq (p) encore: «Lorsqu'Allah aime un serviteur, Il lui inspire
l'obéissance et la satisfaction, le rend érudit dans la Religion, et le renforce
par la certitude. Dès lors, il se contentera de la portion congrue et se
revêtira de la chasteté. Et lorsqu'Allah déteste un serviteur, Il lui fait aimer
l'argent, lui accorde l'aisance, lui inspire l'amour de sa vie terrestre, le
livre à ses caprices. Dès lors, il n'en fera qu'à sa tête, répandra la
corruption et opprimera les serviteurs».(159)
Selon l'Imam 'Alî
(p): «Lorsqu'Allah aime un serviteur, Il lui inspire le bon culte».(160)
Et: «Lorsqu'Allah
aime un serviteur, Il lui fait aimer l'honnêteté».
Et: «Lorsqu'Allah
aime un serviteur, Il l'orne de la quiétude et de la patience».
Comment nous faire aimer d'Allah
?
Nous avons dit
qu'Allah se montre affectueux envers Ses serviteurs: «Tu nous montres de
l'amour par Tes bienfaits, alors que nous nous opposons à Toi par les
péchés!». N'est-ce pas malheureux de notre part! Allah qui Se passe de tout
et qui n'a besoin de personne flatte Ses serviteurs et S'applique à les attirer
et à Se faire aimer d'eux, sans que, eux, qui dépendent totalement de Lui,
recherchent Son amour et tentent tout pour se faire aimer de Lui!
La question qui se
pose est donc comment le serviteur peut-il se faire aimer d'Allah?
Nous avons des
éléments de réponse à cette interrogation, dans un Hadith sain, d'une grande
importance, rapporté par des sources nombreuses et concordantes, aussi bien
Sunnites que Chiites, ce qui écarte tout doute concernant son authenticité. Il
est rapporté par al-Barqî qui cite l'Imam al-Sâdiq (p), citant à son tour le
Prophète (P) qui dit: «Allah dit: Il n'est pas d'acte accompli par un
serviteur dans l'intention de se rapprocher de Moi, que J'aime plus que celui
que Je lui ai rendu obligatoire. Puis, Mon serviteur continue à se rapprocher de
Moi par les actes surérogatoires (recommandés) jusqu'à ce que Je l'aime. Et une
fois que Je l'aime, Je deviens son ouïe avec laquelle il entend, sa vue avec
laquelle il voit, sa langue avec laquelle il parle, sa main avec laquelle il
saisit, et son pied avec lequel il marche».
Ce texte comporte
une série d'enseignements que nous expliquons brièvement:
1- Les meilleurs
actes par lesquels le serviteur peut se rapprocher et se faire aimer d'Allah
sont les actes cultuels obligatoires, tels que la Prière, le Jeûne, la Zakât, le
Khoms, le Hajj (Pèlerinage de la Mecque) etc. C'est là un trait particulier aux
obligations islamiques, qu'aucun autre acte ne partage.
2- Vient ensuite le
rôle des actes surérogatoires dans le rapprochement du serviteur de son Seigneur
dans la recherche de Son amour. Le serviteur doit donc s'adonner, autant que
faire se peut et continuellement à ces actes pour atteindre à la proximité et à
l'amour du Créateur.
3- Le troisième
enseignement de ce texte se rapporte aux conséquences et aux effets de l'amour
d'Allah envers le serviteur. En effet celui dont Allah est la langue avec
laquelle produit la parole, ne pourra dire que la vérité, et ne remuera jamais
sa langue pour prononcer des insanités ou des faussetés. De même celui dont
Allah est la main, ne sera jamais vaincu ni défait. Et enfin celui dont Allah
est l'ouïe grâce à laquelle il peut entendre et la vue avec laquelle il peut
voir, ne confondra jamais entre le faux et la Vérité, saura toujours distinguer
les vrais croyants des hypocrites, les véridiques des menteurs, et marchera sa
vie durant, sous la Lumière et la guidance d'Allah, sans aucun risque de
s'égarer et de dévier du droit chemin.
4- Le quatrième
enseignement de ce Hadith sain confirme une vérité déjà dite, à savoir qu'Allah
exauce la prière du serviteur: «S'il Me prie, Je lui réponds, et s'il Me
demande, Je lui donne».
Il est des
serviteurs pieux qu'Allah ne déçoit jamais, dont Il ne rejette aucune prière,
qu'Il n'abandonne pas à eux-mêmes, même l'espace d'une seconde. Il les protège
constamment, les dirige continuellement, les soutient sans relâche, les dote de
clairvoyance, leur accorde la Guidance, remplit leurs coeurs de lumière et les
maintient sur le droit chemin. Ce sont les serviteurs qui aiment Allah et
qu'Allah aime.
Les obstacles et les barrières qui
obstruent l'amour
Nous avons abordé
longuement les causes, les effets, les exigences et les conséquences de l'amour
d'Allah dans la vie de l'homme. Il est opportun maintenant d'exposer les
obstacles qui empêchent le coeur du serviteur d'aimer Allah, afin qu'il puisse
les surmonter et les éviter. Les deux plus importants de ces obstacles et
barrières sont d'une part les péchés et les actes de désobéissance, qui
rouillent le coeur du serviteur, d'autre part l'amour et les attaches de ce
monde.
Concernant les
péchés qui rouillent le coeur et lui font perdre sa pureté, sa transparence et
sa limpidité Allah dit: «Non!... Leurs coeurs ont été rouillés par ce qu'ils
ont accompli ».(161)
Lorsque l'homme
commet un péché, celui-ci forme un point noir dans son coeur. Puis, s'il
continue à désobéir à Allah au lieu d'implorer Son pardon pour le péché commis,
le point noir s'étale peu à peu pour noircir complètement le coeur.
Selon Ibn 'Omayr,
l'Imam al-Sâdiq (p) dit: «Allah n'aime jamais celui qui Lui désobéit». Puis
l'Imam de réciter, à l'appui, ces vers: «Tu désobéis à Allah, tout en
affectant de L'aimer! C'est impossible! C'est un acte d'hérésie! Si tu L'aimais
sincèrement, tu Lui aurais obéi, car l'amoureux est obéissant à son
bien-aimé!».(162)
Le second obstacle
qui empêche l'amour d'Allah d'entrer dans le coeur du serviteur est l'amour de
la vie d'ici-bas et l'attachement à ce monde éphémère, car l'homme n'a pas été
créé avec deux coeurs. Le Coran dit à ce propos: «Allah n'a pas placé à
l'homme deux coeurs dans sa poitrine».(163)
Ainsi, si le coeur
du croyant est dépouillé de tout et réservé exclusivement à Allah, il L'aimera
de tout son coeur, mais d'autres soucis ou attaches occupent une partie de son
coeur, cette partie sera soustraite à l'amour d'Allah. Et si coeur du croyant
continue à se soucier des affaires de ce bas-monde, il finit par se soustraire
complètement à l'amour d'Allah et perdre totalement le plaisir que procure
l'amour du Créateur, ainsi que la douceur de l'amour des invocations divines.
Le Prophète (P)
dit: «L'amour d'Allah et l'amour du monde ne se réunissent pas dans un seul et
même coeur».(164)
Il est rapporté que
lorsqu'on a demandé au Prophète 'Îssâ (p): «Apprends-nous un seul acte qui nous
fasse aimer d'Allah», il répondit: «Détestez le bas-monde, Allah vous aimera».(165)
Selon l'Imam
al-Sâdiq (p): «Si le croyant se détache de la vie d'ici-bas, il se transcende et
découvre la douceur de l'amour d'Allah».(166)
L'expression de
l'Imam dans ce hadith est subtile, car l'amour de la vie fait perdre à l'homme
la sensation de la douceur de l'amour d'Allah; or quiconque perd la sensation de
la douceur de l'amour d'Allah, son coeur ne penche plus pour Allah, et quiconque
dépouille son coeur de l'amour de la vie, ressent la douceur de l'amour d'Allah.
L'Imam 'Alî (p)
dit: «Comment peut prétendre aimer Allah, celui qui s'est accoutumé à l'amour de
la vie?»(167)
Et:
«De même que le
soleil et la nuit ne se côtoient pas, de même l'amour d'Allah et l'amour de la
vie ne vont pas ensemble».(168)
Selon l'Imam
al-Sâdiq (p): «Par Allah, n'aura pas aimé Allah quiconque aime la vie et se noue
d'amitié avec d'autres que nous (les Ahl-ul-Bayt)».(169)
Selon l'Imam 'Alî
(p) encore: «Quiconque aime rencontrer Allah doit se distraire de la vie».(170)
Et:
«Si vous aimez
Allah réellement, sortez de vos coeurs l'amour de la vie!»(171)
*******************************
Notes
*********************************
1.
"Bihâr
al-Anwâr", Tom 89, p. 92
2.
"Bihâr
al-Anwâr", Tom 98, p. 226.
3.
"Bihâr
al-Anwâr", Tom. 78, p. 226.
4.
"Uçûl
al-Kâfî", Tom. 3, p. 131.
5.
"Uçûl
al-Kâfî", Tom. 3, p. 131.
6.
"Miçbâh
al-Charî'ah", Tom.2, p. 3.
7.
"Bihâr
al-Anwâr", Tom.12, p. 380.
8.
"Bihâr
al-Anwâr", Tom. 95, p. 467.
9.
"Bihâr
al-Anwâr", Tom. 98, p. 226.
10.
"Bihâr
al-Anwâr", Tom. 78, p. 175.
11.
"Uçûl
al-Kâfî", Tom.2, p. 125.
12.
"Bihâr
al-Anwâr", Tom. 96, p. 237.
13.
"Nûr
al-Thaqalayn", Tom. 5, p. 285.
14.
"Bihâr
al-Anwâr", Tom. 98, p. 26.
15.
"Munâjât
Ahl-ul-Bayt", Tom.96, p. 97.
16.
"Do'â'
al-Ashâr" du mois de Ramadhân, rapporté par Abû Hamzah al-Thamâlî.
17.
"Mafâtih al-Jinân",
Les 15 munâjât de l'Imam Zayn al-Âbidîn (p), munâjât al-Muhibbîn, p. 229.
18.
"Bihâr
al-Anwâr", Tom. 98, p. 226.
19.
Munâjât No
13, des 15 munâjât de l'Imam Zayn al-'Âbidîn, d'après le récit d'al-'Allâmah
al-Majlicî, dans Bihâr al-Anwâr.
20.
"Mafâtih al-Jinân",
Do'â' Abû Hamzah al-Thamâlî.
21.
"Munâjât
Ahl-ul-Bayt".
22.
"Munâjât
Ahl-ul-Bayt", p. 88.
23.
"Munâjât
'Alî Ibn al-Hussain (p)".
24.
"Mafâtih al-Jinân",
Do'â' Kumayl Ibn Ziyâd.
25.
"Mafâtih al-Jinân",
Do'â' Abû Hamzah al-Thamâlî
26.
"Mafâtih al-Jinân",
Do'â' Kumayl Ibn Ziyâd.
27.
Nous
empruntons ici les mots de l'Imam 'Alî lui-même (p), autrement nous n'oserions
pas parler de la relation entre Allah et lui de cette façon.
28.
"Munâjât
No. 1", des 15 Munâjât de l'Imam Zayn al-'Âbidîn, d'après le récit d'al-'Allâmah
al-Majlicî, dans "Bihâr al-Anwâr".
29.
"Mafâtih al-Jinân",
Do'â' Abû Hamzah al-Thamâlî
30.
"Mafâtih al-Jinân",
Do'â' Abû Hamzah al-Thamâlî
31.
"Mafâtih al-Jinân",
Do'â' Kumayl Ibn Ziyâd.
32.
"Munâjât
Ahl-ul-Bayt", 68/96.
33.
"Munâjât
No. 3", des 15 Munâjât de l'Imam Zayn al-'Âbidîn, d'après le récit d'al-'Allâmah
al-Majlicî. Dans Bihâr al-Anwâr.
34.
"Mafâtih al-Jinân",
Do'â' Abû Hamzah al-Thamâlî
35.
Sourate
al-Hadîd, 57: 4.
36.
Sourate
Qâf, 50: 16.
37.
Sourate
al-Baqarah, 2: 186.
38.
Do'â'
al-Iftitâh.
39.
"Munâjât No
11", des 15 Munâjât de l'Imam Zayn al-'Âbidîn, d'après le récit d'al-'Allâmah
al-Majlicî. Dans "Bihâr al-Anwâr".
40.
Sourate
al-Hadîd, 57: 4.
41.
Sourate
al-Ra'ad, 13: 28.
42.
"Mafâtih al-Jinân",
Do'â' al-Iftitâh.
43.
"Bihâr
al-Anwâr", 46/77-78.
44.
"Bihâr
al-Anwâr", 46/77-78.
45.
"Bihâr al-Anwâr",
46/81-82.
46.
Munâjât No
9, des 15 munâjât de l'Imam Zayn al-'Âbidîn, d'après le récit d'al-'Allâmah
al-Majlicî. Dans Bihâr al-Anwâr.
47.
Sourate
al-Qamar (La Lune), 54: 55.
48.
Munâjât No
8, des 15 munâjât de l'Imam Zayn al-'Âbidîn, d'après le récit d'al-'Allâmah
al-Majlicî. Dans "Bihâr al-Anwâr".
49.
Sourate
al-Hamd, 1: 6-7.
50.
Sourate
al-Baqarah, 2: 213.
51.
Sourate
al-Mâ'idah, 5: 16.
52.
Sourate
al-An'âm, 6: 87.
53.
Sourate
al-Mâ'idah, 5: 16.
54.
Sourate
al-An'âm, 6: 153.
55.
Sourate
al-Nahl, 16: 69.
56.
Sourate
Ibrâhîm,
57.
Sourate
al-'Ankabout, 29: 69.
58.
Sourate
al-Çaff, 61: 10.
59.
Sourate
al-Baqarah, 2: 207.
60.
"Tafsîr
al-Mîzân", Tom.2, p. 404.
61.
Sourate
Çâd, 38: 45-47.
62.
Sourate
al-Mâ'idah, 5: 35
63.
Sourate
al-Asrâ', 17: 57.
64.
Sourate
al-Cho'arâ', 26: 79-80.
65.
Extrait de
l'un des do'â' du mois de Rajab.(voir "Mafâtih al-Jinân".
66.
Job fut
éprouvé par Allah par les maladies les plus pénibles. Il perdit ses biens et ses
enfants, et cependant il ne se plaignît qu'à Allah.
67.
Thû-l-Nûn quitta son peuple en
colère, parce que ceux-ci ne croyaient pas en Allah. Il prit le bateau, mais le
bateau s'arrêta, et d'après les coutumes des marins, ils tirèrent au sort pour
connaître le responsable. Le sort tomba sur Thû-l-Nûn, et les marins le
jetèrent à l'eau où une baleine le recueillit pour le vomir plus tard sur le
rivage.
68.
Sourate
Tâhâ, 20: 43-45.
69.
Sourate
Tâhâ, 20: 46.
70.
Sourate
Houd, 11: 45.
71.
Sourate
Ibrâhîm, 14: 37.
72.
Sourate
al-Muzzammil, 73: 1-7.
73.
"Nahj-ul-Balâghah",
annotation de Subhî al-Sâlih, h 193.
74.
Sourate
al-Tawbah, 9: 38.
75.
Se détacher
et se libérer de ce monde ne signifie pas qu'on l'abandonne totalement pour se
retirer et se cantonner dans une vie de monastère, car le Noble Prophète (P)
était libéré de la servitude de ce monde, mais il a continué à oeuvrer et à
travailler dur en vue de la victoire de l'Appel sur les attraits de la vie
terrestre et pour soumettre celle-ci, au lieu de se soumettre à elle.
76.
Sourate
al-Tawbah, 9: 24.
77.
Sourate Âle
'Imrân, 3: 14.
78.
Sourate
al-Baqarah, 2: 165.
79.
"Bihâr al-Anwâr",
70/24-25.
80.
Sourate Âle
'Imrân, 3: 31.
81.
"Kanz
al-'Ummâl", 2/209, h 3794.
82.
"Kanz
al-'Ummâl", 2/182.
83.
Sourate
al-Tawbah,
84.
"Tafsîr
Nour al-Thaqalayn", Tom 2, p. 195.
85.
"Nahj-ul-Balâghah",
op. cit., 1/91-92, h. 52.
86.
Sourate
Hûd,
87.
"
'UyûnAkhbâr al-Redhâ", 224.
88.
"Al-Ikhtiçâç",
d'al-Cheikh al-Mufîd, 341
89.
Cité avec
de petites nuances dans: "Bihâr al-Anwâr", 70/14; "Suan
al-Tarmithî", 13/201; "Mustadrak al-Hâkim", 3/193; "Ta'rîkh
Baghdâd", 4/160 etc...
90.
"Al-Amâlî",
d'al-Sâdûq", p. 8 ; "Uçûl al-Kâfî", 2/125.
91.
"Bihâr al-Anwâr",
74/399.
92.
"Al-Amâlî",
d'al-Sâdûq", p. 345.
93.
"Al-Amâlî",
d'al-Sâdûq", p. 360.
94.
"Tuhaf
al-'Uqûl", 479.
95.
"Al-Mahâsin",
p. 263.
96.
"Uçûl
al-Kâfî", 2/125
97.
"Uçûl
al-Kâfî", 2/126.
98.
"Uçûl
al-Kâfî", 2/126.
99.
"Uçûl
al-Kâfî", 2/127.
100.
"Jâmi'
al-Akhbâr", p. 194.
101.
C'est-à-dire la preuve et le
signe indicateur de ton islam.
102.
"Bihâr al-Anwâr",
96/252-253.
103.
"Sunan
al-Tamithî" 5/664, h. 3789, éd: Mustafâ al-Chalabî; "Al-Mustadrak
'alâ-Çahîhayn", d'al-Hâkim al-Nîsâbûrî, 1503; "Bihâr
al-Anwâr", 70/14; "Al-Amâlî" d'al-Sadûq, 219; "'Ilal al-Charâ'i'", 1/113 etc..
104.
"Al-Mustadrak
'alâ-Çahîhayn", d'al-Hâkim al-Nîsâbûrî, 3/149.
105.
"Al-Mustadrak
'alâ-Çahîhayn", d'al-Hâkim al-Nîsâbûrî, 3/149; "Musnad
Ahmad Ibn Hanbal", 4/281.
106.
"Musnad
Ahmad Ibn Hanbal", 4/372.
107.
"Sahîh
al-Bukhârî" 1/6, éd.: Dâr al-Tibâ'ah, année 1286.
108.
"Sahîh
Muslim", 1/49, éd.: Dâr al-Fikr, Beyrouth, cité aussi dans "Kanz al 'Ummâl",
1/37, h. 70.
109.
Cité par
Cheikh 'Abdul-Hussain al-Amini, dans "Siratanâ...". p. 11 ; Al-Hâfidh al-Buhayqî
dans "Chu'ab al-Ïmân"; Al- daylamî dans son "Musnad", Al-'Allâmah al-Majlicî
dans "Bihâr al-Anwâr", 27/13 etc...
110.
"Uçûl
al-Kâfî", 2/408 ; "Bihâr al-Anwâr", 73/288.
111.
Sourate
al-Hujurât, 49: 9.
112.
Sourate
al-Baqarah, 2: 165.
113.
"Bihâr al-Anwâr",
70/25.
114.
"Kanz
al-'Ummâl", 47/49.
115.
"Bihâr
al-Anwâr", 98/89.
116.
"Bihâr
al-Anwâr", 97/334.
117.
"Kanz
al-'Ummâl", 47/49.
118.
"Ghurar
al-Hikam", d'al-Âmidî
119.
Idem
120.
"Bihâr
al-Anwâr", 74/398.
121.
122.
"Bihâr
al-Anwâr", 98/226.
123.
"Bihâr
al-Anwâr", 98/85.
124.
"Mafâtîh
al-Jinân", 180.
125.
Sourate
al-Zukhruf, 43: 11-13.
126.
"Bihâr
al-Anwâr", 70/18-22.
127.
Sourate
al-Nisâ', 4: 110.
128.
Sourate
al-A'râf, 7: 94.
129.
"Bihâr
al-Anwâr", 98/89.
130.
"Kanz
al-'Ummâl", h. 3718.
131.
"Mafâtîh
al-Jinân", 123.
132.
Sourate
Ibrâhîm, 14: 7.
133.
Sourate
al-'Alaq, 96: 6-7.
134.
Sourate
al-Nahl,
135.
Sourate
Luqmân, 31: 20.
136.
"Al-Amâlî"
d'al-Cheikh al-Tûcî, 2/105
137.
Sourate
al-Furqân, 25: 44.
138.
Sourate
Âle 'Imrân,
139.
"Bihâr
al-Anwâr", 70/23.
140.
Idem.
141.
"Kanz
al-'Ummâl", h. 1776.
142.
"Tanbîh
al-Khawâtir", 332.
143.
"Bihâr
al-Anwâr", 70/14.
144.
"Mafâtih
al-Jinân", Do'â' Kumayl.
145.
Ziyârat
Amînullâh dans "Mafâtih al-Jinâm".
146.
"Bihâr
al-Anwâr", 77/42.
147.
Sourate
Âle 'Imrân,
148.
"Bihâr
al-Anwâr", 70/25.
149.
"Kanz
al-'Ummâl", h. 1776.
150.
"Bihâr
al-Anwâr", 93/160.
151.
"Bihâr
al-Anwâr", 70/23.
152.
"Bihâr
al-Anwâr", 73/56.
153.
Sourate
al-Mâ'idah,
154.
"Bihâr
al-Anwâr", 70/18.
155.
"Bihâr al-Anwâr",
71/156 (il faut comprendre cette analogie dans la proportion et non
quantitativement).
156.
"Bihâr al-Anwâr",
71/156.
157.
Idem.
158.
Idem.
159.
"Bihâr al-Anwâr",
103/26.
160.
"Ghurar
al-Hikam", d'al-Âmidî.
161.
Sourate
al-Mutaffifîn, 83: 14.
162.
"Al-Amâlî",
d'al-Çadûq, 293, édition de pierre.
163.
Sourate
al-Ahzâb, 33: 4.
164.
"Tanbîh
al-Khawâtir", 362.
165.
"Bihâr
al-Anwâr", 14/328.
166.
"Uçûl
al-Kâfî", 2/130.
167.
"Ghurar
al-Hikam"
168.
Idem.
169.
"Bihâr
al-Anwâr", 78/26.
170.
"Ghurar
al-Hikam"
171. Idem.