LE ROLE DE LA GEOGRAPHIE ARABE

 

Toute vie sociale repose sur des savoir-faire, des pratiques et des connaissances géographiques : les hommes doivent comprendre le milieu dans lequel ils sont installés pour l'exploiter et l'aménager ; ils ont à s'orienter et à se repérer ; ils ne se sentent chez eux que là où l'espace qui les entoure est marqué de signes qu'ils comprennent et de symboles qu'ils partagent.

Les peuples occidentaux n'ont pas le monopole de la géographie : toute culture dispose, en ce domaine, d'un capital de connaissances et de conventions. Les Arabes disposaient, comme tous les peuples nomades, d'une riche tradition d'observation du milieu, de connaissance des lieux et d'orientation, mais elle était purement orale. Ils ignoraient science et philosophie. Après la Conquête, leur pouvoir s'exerce au Proche- et Moyen-Orient sur des populations dominées par des élites urbanisées byzantines ou syriaques. Ils découvrent, à travers elles, la richesse de la pensée grecque. Les traductions se multiplient à Bagdad, en Irak, sous le khalifat abbasside, aux VIIIe et IXe siècles. La géographie arabe s'épanouit vraiment de 800 à 1050 ; l'usage de l'arabe est alors général même chez les auteurs originaires de Perse ou d'Asie Centrale.

  La Syntaxe mathématique de Ptolémée, l'Almageste, connue dès les alentours de l'an 800, séduit des gens pour qui l'observation astronomique était familière, et leur apprend à la mobiliser pour comprendre la forme de la Terre et repérer les lieux par leurs coordonnées. Les instruments d'observation et de mesure progressent grâce au savoir-faire arabe, qu'enrichit celui tiré de l'Inde. La cartographie céleste est la première à se développer. Elle est suivie par la cartographie terrestre, qu'illustre au départ l'école d'al-Balkhi, mort en 934, et dont les enseignements sont repris par al-Istakhri (dont l'oeuvre date des années 930-950) et par Ibn Hawqal (actif entre 943 et 973). Avec al-Biruni (973-env. 1050), les bases astronomiques de la géographie reçoivent un traitement magistral.

  La curiosité géographique s'était déjà diversifiée : avec Gahiz (v. 776/77-868/869), l'intérêt pour les lieux et les aspects humains de la géographie s'affirme. Ibn Qutayba (828-entre 882 et 889) et ibn Khordebech (env. 820-912) font découvrir l'utilité que présente la géographie pour l'administration ; ils rédigent des itinéraires. Mais c'est grâce à ses grands voyageurs que la géographie arabe s'affirme surtout, comme on le voit à travers l'oeuvre d'al-Muqaddasi (v. 945-1000), ou celle d'al-Idrissi (v. 1099 ou 1100-1165 ou 1180), qui connaissait bien l'Occident chrétien ou musulman, et maîtrisait les techniques de la cartographie : le recueil de voyages qu'il publie alors qu'il séjourne à la cour du roi Roger II de Sicile (v. 1095-1154) à Palerme inclut 68 cartes.

  Les plus illustres des géographes arabes sont cependant postérieurs : leur oeuvre s'inscrit à une époque où la réflexion intellectuelle commence à s'assoupir, mais qu'ils dominent de leur personnalité : Ibn Battuta (1304-v. 1368) tire parti de la connaissance directe qu'il a d'une bonne partie de l'Europe, du monde méditerranéen, de la côte d'Afrique jusqu'à Zanzibar, du Moyen-Orient et de l'Asie centrale ; il exploite aussi des itinéraires et des descriptions de voyages accumulées depuis plusieurs siècles.

  Ibn Khaldoum (1332-1406) est à peine postérieur, mais sa carrière s'inscrit à une époque où le déclin de l'Islam arabe s'accentue : né en Espagne, il voyage au Moyen-Orient et passe l'essentiel de sa vie en Tunisie. Dans Les Prolégomènes et dans L'histoire des Berbères, il propose une interprétation déjà moderne de la géographie de l'Afrique du Nord, et initie la réflexion géopolitique.

  C'est le fond classique de la géographie grecque considérablement enrichi, plus que ces développements tardifs et isolés, qui séduit les esprits d'Occident : les contacts entre les milieux chrétiens, musulmans et juifs sont multiples en Espagne, avant ou après la Reconquête. Le roi Roger II de Sicile attire à sa cour des savants et des poètes arabes. Dès le XIIe siècle, des discussions alimentées par ces échanges s'élèvent en Occident.

  Les connaissances pratiques évoluent rapidement dans un monde où les déplacements se multiplient. Grâce à la boussole, transmise par les Arabes, les marins n'hésitent plus à s'éloigner des côtes puisqu'ils savent garder le cap...

  

AKBARALY Goulamraza. (PARIS)

source : Histoire de la Géographie, Paul CLAVAL