INTRODUCTION
En abordant ici la question de l'imamat et de la walâya, nous n'avons
nullement à l'esprit l'intention de raviver une polémique très ancienne
dans l'islam, et dont l'objet fut la principale cause de l'apparition des
différentes sectes au sein de la société musulmane.
Nous n'avons aucune arrière-pensée de ce genre. Mais ce n'est pas parce
qu'une question - a divisé des hommes à un moment donné de l'histoire
qu'elle doit être à jamais exclue de l'étude. D'autant plus qu'à
l'intérieur de chaque secte, on a continué à tenter de consolider son
point de vue sur la question, à la réexaminer sans complexe, mais pas
toujours sans parti-pris.
Nous pensons que la question de l'imamat ne suscite de polémique ou de
tension entre les musulmans que lorsqu'elle est envisagée sous un angle
politique, difficilement évitable d'ailleurs. Mais nous pensons aussi
qu'aujourd'hui, les musulmans ont accumulé suffisamment d'expérience pour
savoir que leurs différences ne doivent pas les conduire à s'exclure les
uns les autres, pour comprendre qu'une attention réciproque peut
contribuer à un plus grand rapprochement, voire à la reconstitution de
l'unité tant souhaitée.
Après tout, les différentes écoles du sunnisme ont appris à cohabiter
entre elles; et les uns critiquent les opinions des autres, sans que cela
donne lieu à des anathèmes. Les musulmans ont tout intérêt à élargir le
cercle de leur entente. Et cela ne sera certainement pas réalisé en
imposant le silence sur des faits historiques qui doivent être dévoilés et
étudiés avec une extrême rigueur scientifique, sans laisser la moindre
place aux préjugés et aux sentiments.
Une telle approche n'exige pas au préalable que chacune des parties
concernées renonce à ses positions, mais permet seulement à chacune d'elle
de distinguer et de reconna î tre-dans ses positions- ce qui est
réellement un problème de doctrine, de ce qui est devenu une habitude
historique, et qui mérite d'être abandonné, dépassé. Cela ne peut se faire
qu'avec la confrontation des différentes thèses en présence avec la
réalité scientifiquement dégagée.
Connaître l'autre c'est déjà l'accepter en partie,lui faire une place.
Sui out lorsque cette connaissance ne fait que nous révéler des domaines
que certains ont voulu sceller à jamais en nous débitant à leurs propos de
faux discours, et en nous interdisant de chercher à comprendre davantage à
leurs sujets.
Ainsi, jusqu'à la Révolution iranienne, beaucoup de nos frères
sunnites, en particulier en Afrique, croyaient que les chiites iraniens
adoraient Ali ibn Abou Taleb, qu'ils voyaient en lui une incarnation de
Dieu. Il est évident que l'on ne peut pas chercher à se rapprocher de gens
qui professent des doctrines pareilles. Pendant des siècles aucun savant
sunnite n'a eu le courage de leur expliquer que les chiites iraniens n'ont
jamais professé de telles idées. Il a suffi qu'un jour un homme de
mauvaise foi forge ce mensonge et le colporte pour qu'il prenne force de
vérité.
Il y a beaucoup de "fausses vérités" entre les musulmans que ces
derniers gagneraient à éliminer de leur conscience. Sur quoi s'appuie,
par exemple, chez les sunnites l'interdiction d'exprimer une opinion
personnelle négative sur Abou Bakr, Omar, ou Osmân...? A y regarder de
près, sur rien qui ait un appui dans le Coran ou dans la tradition.
Abou Bakr ne fut pas désigné par le Prophète. Mais les sunnites gardent
aujourd'hui une attitude craintive, comme s'ils étaient encore sous la
menace des rois Omeyyades qui étaient les seuls à tirer parti de
l'interdit. Nous voyons ici aussi comment une attitude qui a ses origines
historiques postéierurement à la mort du Prophète, a fini par être
sacralisée et par devenir une norme islamique, comme si les actes des
Omeyyades étaient une source de la Loi.
Nous pensons pour notre part que l'unité des musulmans ne doit pas se
faire -et ne pourra pas se faire- dans l'aveuglement. Ce qu'il faudra
éviter, c'est d'alimenter les vieilles rancunes et inimitiés par le
mensonge et la mauvaise foi, mais jamais d'échanger des opinions
scientifiquement étayées, entre des frères bien intentionnés, quitte à
tout remettre en question. Cela est la condition de l'unité des
musulmans, et non un obstacle à elle.
Seyyed Mojtaba Moussavi Lari
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