CHAPITRE 21
L'Imam et le monde
invisible
Certaines personnes ont le don de communiquer avec le monde invisible,
soit par le moyen d'une grande faculté intuitive, soit par la grâce divine
qui les illumine sans effort de leur part. Ils accèdent ainsi à certains
mystères ou réalités cachées au commun des gens. Le type de
connaissances auxquelles ces personnes parviennent, est inaccessible aux
moyens habituels de la connaissance ordinaire. expérience, argumentation,
raisonnement, théorie, etc...
Ce type de connaissance est dit suprasensible, et ne peut par
conséquent s'expliquer dans un cadre matériel ou matérialiste. Mais son
existence n'est plus contestée. Il est cependant le seul moyen de
connaître l'Absolu, et le réel. Nous donnons ici, à titre d'exemple, le
témoignage d'un grand savant moderne, prix Nobel de Médecine, le Docteur
Alexis Carrel.
"L'existence de la clairvoyance et de la télépathie est une donnée
immédiate de l'observation. Les clairvoyants saisissent, sans
l'intermédiaire des organes des sens, les pensées d'une autre personne.
Ils perçoivent aussi des évènements plus ou moins éloignés dans l'espace
etle temps. Cette faculté est exceptionnelle. Elle ne se développe que
chez un très petit nombre d'individus. Mais elle existe à l'état
rudimentaire chez beaucoup de gens, Elle s'exerce sans effort et de façon
spontanée. Elle paraît très simple à ceux qui la possèdent Elle leur donne
de certaines choses, une connaissance plus sûre que celle qu'ils
obtiennent par les organes des sens. Il leur est aussi facile de voir
les pensées d'une personne que d'analyser l'expression de son visage.
Mais, voir et sentir sont des mots qui n'expriment pas exactement ce qui
se passe dans leur conscience. Ils ne regardent pas, ils ne cherchent pas.
Ils savent.
La lecture des pensées et des sentiments paraît être apparentée à la
fois à l'inspiration scientifique, esthétique et religieuse, et aux
phénomènes de télépathie. Dans beaucoup de cas, une communication
s'établit, au moment de la mort ou d'un grand danger, entre un individu et
un autre. Le mourant, ou la victime de l'accident, même quand cet accident
n'est pas suivi de mort, apparaît un instant sous son aspect habituel à un
ami. souvent le personnage hallucinatoire reste silencieux. Parfois il
parle, et annonce sa mort. Plus rarement, le clairvoyant voit, à une
grande distance, une scène, un individu, un paysage, qu'il décrit
minutieusement et exactement. De nombreuses personnes, qui ne possèdent
pas d'ordinaire le don de la clairvoyance, ont une ou deux fois dans le
cours de leur vie, l'expérience d'une communication télépathique.
C'est ainsi que la connaissance du monde extérieur nous parvient
quelquefois par des voies différentes des organes sensoriels. Il est sûr
que la pensée peut se communiquer directement d'un être humain à un autre,
même à grande distance. Ces faits, qui sont du ressort de la nouvelle
science de la métapsychique, doivent être acceptés tels qu'ils sont. Ils
font partie de la réalité. Ils expriment un aspect mal connu de l'être
humain. Ils expliquent peut-être l'extraordinaire lucidité que possèdent
certains hommes."186 L'âme humaine est donc dotée d'un moyen de
communication avec l'extérieur qui est autre que les organes de la
perception sensible, et autre que la raison discursive.
*
Il est prouvé que dans le rêve, l'homme est capable d'entrer en contact
avec un monde autre, et d'en acquérir certaines informations. Il n'est
pas interdit de penser que ses capacités intuitives lui permettent
d'exercer ce pouvoir à l'état de veille. C'est une porte sur l'invisible
que Dieu ouvre à ceux des hommes et des femmes qu'Il juge dignes de conna
î tre certains secrets et certaines réalités cachées des mondes qui nous
gouvernent
Si donc il est permis à des hommes ordinaires de posséder de tels
pouvoirs, pourquoi des hommes parfaits comme les prophètes et les saints,
qui sont dotés de plus grandes capacités spirituelles, ne seraient-ils pas
en mesure d'entretenir des rapports plus constants et plus profonds avec
le monde invisible et suprasensible; ces hommes, ne l'oublions pas,
reçoivent directement une grâce et un enseignement de la part de Dieu, et
jouissent d'une âme limpide et d'une conscience pure qui leur permettent
de sonder certains mystères.
Ce pouvoir que possèdent les imams ne leur a pas été prêté par la
légende. De nombreuses traditions des imams rapportent que ces derniers
non seulement reconnaissaient en bénéficier, comme condition indispensable
à l'exercice de leur mission, mais aussi indiquaient les voies à suivre
par les hommes pour espérer pouvoir acquérir une science plus immédiate
des mystères du monde et de Dieu. Ils affirment que cette connaissance,
de nature intuitive, est distincte de la révélation -propre aux prophètes-
qui se fait par l'intermédiaire d'un ange dont ils entendent la
voix. Mais bien que l'intermédiaire soit différent, l'imam perçoit un
élargissement de son champ de connaissance, et un approfondissement de sa
compréhension.
La relation de l'imam avec le monde invisible n'est pas totale et n'est
pas illimitée. Elle est conditionnée par la grâce divine, et ne permet
jamais l'accès à toutes les connaissances et à tous les mystères. Il n'y a
jamais par conséquent de saisie de l'invisible dans son intégralité. Mais
en tant que manifestation des attributs divins, ils sont capables de
recevoir pleinement le flux de la connaissance émanant de Dieu, ce qui
leur permet d'accéder aux mystères.
Leur connaissance du monde suprasensible ne dépend pas de leur volonté
propre: ils sont entièrement soumis à la volonté de Dieu. C'est ce qui
explique les traditions dans lesquelles les imams affirment ne pas
connaître l'invisible. En effet, ils ne connaissent rien par eux-mêmes
sinon avec la permission de Dieu et par Sa grâce. L'imam Mohammad
al-Bâqer fut interrogé par un de ses compagnons au sujet du verset
coranique: "Le Connaisseur de l'Invisible. Et il ne révèle son
mystère à personne."
Coran, sourate Les Djinns, verset 26
L'imam se hâta de lire le verset suivant: "excepté le prophète qu'il
aura agréé." Puis il ajouta: "Par Dieu, Mohammad était agréé." Quant à la
parole divine: "Le connaisseur de l'Invisible", elle signifie que Dieu
connaît ce qui échappe à Ses créatures en matière de ce qu'Il leur
prédestine, de ce qu'Il leur prescrit dans Sa science, avant même de les
créer, et avant même d'informer de son intention les anges chargés de
l'exécuter. C'est une science qui Lui est propre, qu'Il ne partage avec
personne. Il la fait exécuter s'Il le veut, ou la suspend s'Il le veut. La
science que Dieu a fait transmettre à Son Envoyé, puis à nous les Imams,
est celle qui se rapporte à des évènements que Dieu a prescrits et dont il
a ordonné l'exécution."187
*
Le Coran affirme explicitement que Dieu informe certains élus parmi ses
créatures de choses se rapportant à l'Invisible, à différentes époques.
C'est le cas des prophètes et des imams. Cela ne veut pas dire que les
prophètes et les imams se comportent dans leur vie extérieure comme s'ils
avaient en permanence l'accès à l'Invisible. Ils sont -et Dieu l'a
voulu ainsi- des hommes vivant parmi d'autres hommes; et ils se doivent
agir et déterminer leur décision conformément au sens commun, de façon à
ne pas se montrer comme des hommes surnaturels; et ils doivent aussi
consulter leurs compagnons. Leur existence doit être en tout point régie
par le savoir ordinaire, leur libre-arbitre. Ils sont comme tous les
hommes, des êtres responsables devant Dieu, tenus de suivre aussi bien la
lettre que l'esprit des obligations religieuses. Ils s'y sont d'ailleurs
si bien conformés que beaucoup de leurs contemporains les ont comparés aux
autres hommes éminents en science, de leur époque.
Il faut ici attirer l'attention sur un autre point, à savoir que la
connaissance par les imams d'un évènement qui ne s'est pas encore produit
n'a pas d'effet sur le cours de cet évènement, ni sur le cours de la vie
en général. Cette connaissance ne les rend pas responsables non plus de
l'évènement en question, pas plus qu'elle n'enlève leur liberté aux
personnes impliquées directement dans l'évènement. Les imams ne sont
responsables que des actes qu'ils commettent dans le cadre de l'existence
ordinaire.
Al-Koleyni rapporte qu'un homme originaire de Perse interrogea l'imam
Moussa al-Kâzim, disant: "Connaissez-vous l'Invisible?" L'imam
répondit: "La science nous est dispensée, et par elle nous connaissons. Et
quand elle nous est retenue, nous ne connaissons pas." Il dit aussi: "Dieu
Tout puissant a révélé son mystère à Gabriel; Gabriel l'a révélé à
Mohammad, et Mohammad l'a révélé à celui que Dieu a voulu."188 De même
al-Saffâr a rapporté dans son livre Basâ'ir al-Darajât qu'un homme nommé
Abdurrahimm interrogea l'imam al-Bâqer au sujet de la signification du
verset coranique qui suit: "Et ainsi Nous f îmes voir à Abraham le
Royaume des Cieux et de la Terre, et afin qu 'il soit au nombre de ceux
qui ont la certitude."
Sourate Les Troupeaux (al-An'âm), verset 75
L'imam lui répondit: "Dieu a mis à nu pour Abraham les cieux et la
Terre Afin qu'il les voie avec tout ce qu'elles ont au-dedans. Il y vit le
trône et celui qui y est assis. Il en fit de même avec l'Envoyé de Dieu."
Al-Koleyni rapporte pour sa part, la même tradition selon une autre
chaîne de transmetteurs, dans laquelle l'imam déclare avoir eu aussi le
privilège de la vision du dévoilement des cieux et de la terre. Il
mentionne aussi plusieurs traditions où les imams déclarent être eux-mêmes
les dépositaires de la science divine, et ses garants.
L'imam Ja'far al-Sâdeq a déclaré détenir un savoir supérieur à celui de
khezr et de Moïse, car ils n'avaient pas la science des évènements à venir
jusqu'à la fin du monde.189 Selon une autre tradition, l'imam Ja'far
al-Sâdeq explique cela en disant que Dieu qui a fait des imams ses preuves
vis-à-vis des hommes ne peut pas en même temps les tenir dans l'ignorance
au sujet des cieux et de la Terre.190 Plusieurs traditions sont aussi
rapportées suivant lesquelles l'imam Ali a affirmé détenir le savoir de
tout ce qui concerne les évènements à venir jusqu'à la fin du monde.
Ibn abi al-Hadid, auteur sunnite, rapporte qu'en affirmant connaître
les évènements futurs, l'imam Ali ne prétendait pas être un dieu, ni un
prophète. "C'est l'Envoyé de Dieu qui m'a informé de cette science."191
Les recueils de traditions et les livres historiques font état de
nombreuses Occasions où les imams ont prédit des évènements en général, ou
concernant leurs compagnons. Un des exemples les plus célèbres est la
prédiction que fit l'imam Ali à son compagnon Maytham al-Tammâr, dans
laquelle il lui révéla toutes les conditions dans lesquelles al-Tammâr
allait mourir.
Des années plus tard, longtemps après la mort de l'imam Ali, Ibn Ziyâd
-un des principaux responsables du drame de Karbala où l'imam Hossein, sa
famille ainsi que ses compagnons furent assassinés-, fit prisonnier
al-Tammâr. Celui-ci informa son bourreau de conditions dans lesquelles Ali
lui avait prédit de mourir. Ibn Ziyâd, ennemi de Ali, jura qu'il allait
tout faire pour qu'il en aille autrement, pour démentir la prédiction de
Ali. Mais il ne put pas mettre sa volonté à exécution; et les choses se
passèrent exactement comme l'imam les avait prédites.
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On peut se référer aux ouvrages comme al-Ossoul min al-Kâfi de Koleyni,
au Commentaire du Nahj al-Balâgha d'Ibn abi al-Hadid, et au
Maqâtil al-Talibiyyin d'Abu-l-Faraj al-Aspahâni, pour de nombreux
autres cas illustrant la science des imams, cas rapportés par des témoins
qui ne peuvent être suspectés de mensonges tous en même temps.
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