CHAPITRE 20
Les sources de la science de
l'Imam
L'imam reçoit son savoir le plus subtil et le plus profond par
l'intermédiaire de l'inspiration (ilhâm) du monde de l'invisible
('âlam al-Ghayb). Le Noble Coran est en soi une source intari
.ssable de savoir pour les purs imams. Grâce à la vaste intelligence dont
ils sont doués, et de par leur vision religieuse, il leur fut toujours
possible de dégager les prescriptions en matière de la Loi, et de répondre
aux questions religieuses, en s'appuyant sur ce livre divin. Leur
troisième source est celle des livres (sahâ'if) compilés par leurs
ancêtres et qui recueillent les enseignements que le Prophète a prodigués
à Ali et à sa Famille en particulier.
Les traditions font cas, en plusieurs endroits, de ces trois sources de
la connaissance des imams. A titre d'exemple: Koleyni rapporte dans
al-Osûl al-Kâfi que l'imam Ja'far al-Sâdeq a dit à Abou
Basîr: "Ô Abou Mohammad, Dieu -Exalté soit-Il-, n'a rien accordé aux
prophètes qu'Il n'ait accordé aussi à Mohammad -que les salutations
divines soient sur lui et sur sa Famille-. Il a accordé à Mohammad tout ce
qu'Il a accordé aux autres prophètes, et nous avons en notre possession
les feuillets dont Dieu dit dans le Coran qu'ils sont "les feuillets
d'Abraham et de Moïse". Abou Basîr lui demanda alors: "Que je sois
sacrifié pour toi, s'agit-il des tablettes de la Loi?" Il répondit:
"Oui" Le même Koleyni rapporte que l'imam Réza a dit: "Quand Dieu
choisit un homme pour l'investir de la direction de Ses créatures, Il lui
ouvre le coeur pour cela, pour y déposer les sources de la Sagesse, puis
Il l'inspire de façon à ne plus rester silencieux devant une question, et
qu'il ne montre pas de l'hésitation à y répondre.
Il devient un être parfait, infaillible, soutenu par Dieu, réussissant
par Lui, mis à l'abri des erreurs et des bévues, Dieu le privilégie en
cela afin d'en faire Sa preuve contre Ses créatures, Son témoin contre Sa
création; ceci est une faveur que Dieu accorde à qui Il veut, et Dieu est
détenteur de la grande faveur.165 Al-Hassan ibn al-Abbas al-Ma'rûfi a
écrit à l'Imam Réza pour l'interroger au sujet de la différence entre un
Envoyé (Rassoul), un prophète (Nabî) et un imam. Il lui
répondit:
"L'Envoyé est celui auprès de qui descend l'Ange Gabriel, qui le voit,
et entend ses paroles, et reçoit de lui la Révélation. Il se peut aussi
qu'il voie en songe la même vision que celle d'Abraham. Le Prophète peut
entendre la parole de l'Ange; il peut aussi voir l'ange sans entendre la
parole. L'imam entend la parole, mais ne voit pas la personne."166
L'imam Moussa al-Kâzim (septième imam du chiisme) a dit: "La portée
de notre science est de trois facettes: le passé, le présent et le futur.
Le passé est ce qui s'interprète, le futur ne pourrait être prévu
d'avance; quant au présent c'est-à-dire l'actuel, il est projection sur
les coeurs et percement de l'oreille; il est le meilleur de notre science.
Mais il n'y aura pas de prophète après notre Prophète."167
Par conséquent, les effusions spirituelles que recevait le Prophète ont
continué à s'écouler en direction des imams, car la relation entre le
Créateur et les créatures ne se rompt pas avec la mort des prophètes et
des Envoyés.
*
Quant au profit que tirent les imams du Noble Coran, d'autres
traditions en font état. L'imam al-Bâqer a dit: "L'exégèse du Coran
et la connaissance de ses prescriptions en matière légale font partie de
la science qui nous a été accordée, de même que la science des évènements
qui surviennent dans le temps.
Quand Dieu veut du bien à des gens, il les fait entendre (la voix de
l'Ange); et s'Il fait entendre celui qui n'entend pas; celui-ci s'en
retourne comme s'il n'avait pas entendu..." Puis l'imam ajouta: "Si
nous trouvions des réceptacles (pour nous entendre) nous dirions notre
science. Dieu est notre aide!"168 Koleyni rapporte aussi que l'Emir
des croyants a dit à propos du Coran:
"Il y a en lui la science du passé, et la science de ce qui adviendra
jusqu'à la Résurrection. Il contient aussi, les règlements de vos litiges,
et l'éclaircissement de ce sur quoi vous divergez. Et si vous
m'interrogiez là-dessus, je vous en enseignerais."169
Citons aussi cette parole de l'imam Sâdeq: "Il y a dans le Livre de
Dieu, des informations sur ceux qui vous ont précédés, des nouvelles de ce
qui se passera après vous, et le règlement de vos litiges, et Nous (les
imams) le savons."170 Sumâ'a ibn Mehran, l'un des compagnons de l'imam
Moussa ibn Ja'far a demandé à l'imam: "Est-ce que toute chose est dans
le Coran et la tradition du Prophète, ou bien avez-vous une parole
différente? L'imam répondit: "Non! Tout est dans le Livre de Dieu et la
tradition de Son Prophète."171
La science de l'interprétation du Coran est une science de l'invisible,
c'est-à-dire qu'elle ne s'obtient pas par les voies du raisonnement et de
l'apprentissage naturel. L'interprétation du Coran qui consiste à mettre
en évidence le sens profond de la parole divine, ne peut être acquise que
par une effusion divine. Le Coran parle dans la sourate La famille de
'Imrân (Ale 'Imrân) de ceux qui ont une connaissance profonde
(al-râsikhûn fi-l- 'ilm), des hommes qui sont capables
d'interpréter les versets ambigus. Beaucoup de traditions attestent que
les imams ont cette capacité.
Dans le tafsîr d'al-Ayyâchi, al-Fodhayl ibn Yassâr rapporte
qu'il a interrogé Abou Ja'far al-Bâqer au sujet de la tradition suivant
laquelle: "il n'est pas de verset dans le Coran, qui n'ait pas une face
apparente et une face cachée, ni de lettre qui n'ait pas de limite, ni de
limite qui n'ait pas son ascendant (matla')." Il a demandé à
l'imam: "Que signifient <sens> apparent et <sens>
caché?" L'imam répondit: "Sa face apparente est celle de la descente,
sa face cachée (bâtin) est celle de son interprétation. Il en est
qui se rapporte au passé, et il en est qui n'est pas encore advenu,
suivant son parcours, comme le Soleil et la Lune; à chaque fois qu'une
chose vient de lui, elle se produit, Dieu dit: "Seul Dieu et ceux qui ont
une science profonde en connaissent l'interprétation" et Nous (les imams)
la connaissons."172
Koleyni rapporte dans Ossoul al-Kâfi que les imams al-Bâqer et Sâdeq
ont dit: "L'Envoyé de Dieu est le meilleur de ceux qui ont une science
profonde. Dieu lui a enseigné tout ce qu'Il lui a révélé, comme sens
manifestes, aussi bien que comme sens cachés. Dieu n'a pas fait descendre
sur lui quelque chose dont Il ne lui enseignerait pas l'interprétation.
Ses légataires, après lui, la connaissent entièrement..."173
*
Quant à la troisième source dont profitent les héritiers et successeurs
du Prophète, elle consiste dans les Sahâ'if (feuillets) transmis d'imam à
imam. L'imam Sâdeq a dit: "Nous possédons ce qui nous dispense du
recours aux gens; alors que les gens ont besoin de nous. Nous avons un
livre dicté par le Prophète, et écrit de la main de Ali, un feuillet
contenant tout le licite et l'illicite..."174
Al-Saffâr rapporte dans le Basâ'ir al-darajât que Mohammad ibn
Muslim a interrogé le sixième imam: "Quelle est l'importance de la
science héritée? Concerne-t-elle seulement les généralités ou bien
embrasse-t-elle toutes les choses dont parlent les hommes, comme le
divorce et les parts des héritiers?"
L'imam lui répondit: "Ali a écrit de sa main toute la science, la façon
de juger et les devoirs qui incombent à chacun..." Il rapporte aussi
cette parole de l'imam al-Bâqer: "L'Envoyé de Dieu a dit à l'Emir des
Croyants: "écris ce que je vais te dicter!" Ali dit: "Ô Prophète de
Dieu, crains-tu que j'oublie?" Il dit: "Je ne crains pas l'oubli pour
toi, puisque j'ai prié Dieu de te donner une mémoire parfaite; mais écris
pour ceux qui sont tes associés!"
Ali dit: "qui sont mes associés?" Le Prophète dit: "Les imams de ta
descendance! C'est par eux que ma communauté recevra la pluie, par eux que
ses voeux seront exaucés, par eux que les malheurs seront écartés d'elle,
que la Clémence divine descendra du ciel. Et celui-ci en est le premier
(montrant Hassan, le fils aîné de Ali)." Puis désignant Hussein, le
Prophète ajouta: "Les autres imams viendront de celui-là."175
Cette tradition est aussi rapportée de l'imam Sâdeq: "Les écrits
étaient tous en possession de Ali. Quand il se rendit en Irak, il les a
confiés à Umm salama. Après sa mort, ils ont été remis à Hassan. Puis,
après lui, à Hussein. Puis à Ali ibn Hussein, puis à mon père." 176
L'imam al-Bâqer a dit à Jâbir: "Si nous donnions aux hommes, des
réponses à leurs questions en matière religieuse, en nous appuyant sur
notre opinion et comme bon nous semble, nous serions dans la perdition.
Or, nous répondons à leurs questions en nous appuyant sur les traditions
du Prophète, et sur des recueils de science que nous héritons de père en
fils, et que nous protégeons comme tous ces gens qui cachent leur or et
leur argent"177
Al-Qandûzi, auteur sunnite, rapporte une tradition extraite du livre
al-Manâqib d'ibn al-Maghâzilî, que Yahyâ ibn Umm al-Tawîl a
rapporté avoir entendu Ali dire: "Avant même qu'il soit mis par écrit,
je savais, pour tout verset, en quelle circonstance et à propos de qui, il
a été révélé. J'ai dans mon coeur une science immense; interrogez-moi
avant que vous ne me perdiez."
L'imam Ali a dit aussi: "Quand j'étais absent au moment de la
descente d'un verset, le Prophète m'enseignait ce qu'il venait de recevoir
de versets coraniques dès que je le rejoignais, en me disant: "Ô Ali,
Dieu m'a révélé tel et tel verset pendant ton absence. Son
interprétation est ceci ou cela. Et il m'apprenait son sens intérieur et
son sens extérieur."178
On rapporte aussi la parole que Ali adressa à Komeyl ibn Ziyâd: "Il
y a ici (désignant sa poitrine) une science abondante! Si je pouvais
trouver des hommes pour la porter! Mais je ne trouve que des hommes qui
n'inspirent pas confiance, qui se servent de la religion comme d'un moyen
pour gagner ce monde-ci..." On lui prête aussi ces
propos: "L'Envoyé de Dieu m'a enseigné mille portes de la science;
chaque porte m'ouvrant à son tour sur mille autres portes."179 Il est
évident que l'enseignement dont il est ici question n'est pas du tout du
même genre de pédagogie que l'on applique communément dans les écoles.
C'est un enseignement initiatique mettant en oeuvre la dignité de guide
intérieur inhérente au Prophète de l'islam, et qui lui permet d'inculquer
par un acte miraculeux une science que des milliers d'années de travail
studieux ne pourraient acquérir.
Salîm ibn Qays al-Hîlalî al-Amîrî a rapporté que Ali disait
souvent: "Tous les compagnons qui interrogeaient le Prophète ne
comprenaient pas ses réponses. Il y en avait qui interrogeaient, mais qui
ne comprenaient pas la réponse, et d'autres qui ne posaient jamais de
questions et qui attendaient qu'un étranger vienne pour interroger le
Prophète, pour qu'ils écou tent eux aussi la réponse. Or, j'avais avec
le Prophète une rencontre privée de jour et une autre de nuit, ou je le
suivais dans tous ses actes. Les compagnons de l'Envoyé de Dieu savent
qu'il ne fit cela qu'avec moi. Le plus souvent, mes rencontres avec le
Prophète se faisaient chez moi. Quand il m'arrivait d'être chez lui, il
demandait à son épouse de nous laisser seuls, de sorte que j'étais seul
avec lui. Mais quand il venait chez moi, Fâtima (mon épouse) et mes
enfants restaient avec nous. Il me répondait quand je l'interrogeais.
Quand je me taisais, et que je n'avais plus de questions, il prenait
l'initiative d'ouvrir pour moi un autre sujet.
Il n'est aucun verset qu'il ne m'ait inculqué, qu'il ne m'ait dicté et
que je n'aie écrit de ma main, et dont il ne m'ait enseigné
l'interprétation, ainsi que le verset qui l'abroge ou celui qui est
abrogé. Il m'a appris l'interprétation et l'exégèse de tous les versets,
m'indiquant ceux qui sont fermes et ceux qui sont ambigus, les
particuliers et les généraux. Il a prié Dieu de m'accorder la
compréhension et la mémorisation. Je n'ai oublié aucun verset du Livre de
Dieu, ni aucune science que j'aie écrite sous sa dictée, depuis qu'il a
fait cette prière en ma faveur. Il n'a omis aucune des choses que Dieu
lui a enseignées, en matière de licite et d'illicite, de commandements et
d'interdits, de ce qui fut ou de ce qui sera, ou de tout livre révélé à
des prophètes avant lui, et comportant des prescriptions relatives à
l'obéissance ou à la désobéissance à Dieu. Je n'ai pas oublié une seule
lettre.
Il posa sa main sur ma poitrine, en priant Dieu de remplir mon coeur de
science, d'intelligence, de sagesse et de lumière. Je dis alors: "Ô
Prophète de Dieu, par mon père et ma mère, depuis que tu as fait cette
prière, je n'ai pas oublié une seule chose, je n'ai oublié rien de ce que
je n'ai pas mis par écrit Crains-tu que plus tard j'en vienne à perdre la
mémoire?" Il me répondit: "Non, je ne crains pas pour toi l'oubli
et l'ignorance."180 Evidemment c'est d'un homme doué de ces qualités
que le Prophète de l'islam a dit: "Je suis la Cité de la Science, et
Ali en est la porte. Quiconque veut entrer dans la Cité de la Sagesse,
qu'il y entre par sa porte."181 Les compilateurs ont rapporté aussi
d'autres versions de cette tradition.182
*
Pour assurer à la communauté musulmane une source de connaissances sûre
et intarissable, le Prophète s'est attaché à confier toute sa science à un
homme capable de la recevoir, puis de la mettre à la disposition des
croyants, dans l'état ou il l'a reçue.
Al- Qandûzi rapporte aussi dans son livre Yanâbi 'al-Mawadda, la
parole de ibn Abbas qui a entendu l'Envoyé de Dieu dire: "Quand je suis
allé à la rencontre de mon Seigneur, Il m'a parlé et m'a fait des
révélations. Je n'ai rien appris que je n'aie enseigné à Ali, car il est
la porte de ma science."183 La même source ajoute que l'imam Hossein a
dit: "Les compagnons du Prophète l'ont questionné quand fut descendu le
verset 12 de la sourate Yâsîn: "Toute chose, est par Nous, dénombrée
dans un archétype explicite."
Ils ont demandé: "Ô Prophète de Dieu, s'agit-il de la Thora, de
l'Evangile ou du Coran? Le Prophète répondit: "Non, d'aucun." Puis, il
désigna mon père (Ali Ibn Abi Tâleb) et dit: "Il s'agit de cet imam dans
lequel Dieu a déposé la science de toute chose." 184 De même, Ali,
l'Emir des Croyants a dit: "Le Prophète avait coutume de s'isoler -pour
la contemplation- à Hirâ; je le voyais alors que personne d'autre ne le
voyait. Il n'yavait alors dans la maison de l'islam, personne d'autre que
l'Envoyé de Dieu, Khadija (son épouse) et moi-même. J'y voyais la lumière
de la révélation et de la Mission, et je sentais le parfum de la
prophétie. J'ai aussi entendu la plainte de Satan, lorsque la révélation
fut descendue sur le Prophète.
J'ai alors dit: "Quelle est cette plainte, Ô Prophète de Dieu?" Il me
dit: "C'est Satan, il vient de désespérer d'être adoré un jour. Ô Ali tu
entends ce que j'entends, et tu vois ce que je vois. Cependant tu n'es
pas un Prophète, mais tu es mon ministre."185
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