Chapitre XVII Les raisons de la mécréance et de l'athéisme Dans les ouvrages traitant de l'histoire des religions, on étudie avec un soin particulier les facteurs et mobiles entraînant les hommes vers la religion. Mais cet effort est sans résultat, parce qu'en tenant compte de.la nature fondamentalement monothéiste de l'homme, -nature par laquelle il se distingue des autres créatures, et qui est distincte de ses autres facultés comme la pensée, la volonté et autres aptitudes-, on devrait parvenir à l'indentification des facteurs ayant conduit l'homme à fouler aux pieds, sa vraie nature et à s'éloigner de la religion. La foi est naturelle à l'homme; c'est le matérialisme qui est contraire
à l'essence humaine. Quand l'homme est inapte à connaître le dieu
authentique, il se forge forcément des idôles, fussent - elles la nature
ou le déterminisme historique. Petit à petit, cette fausse divinité emplit
son univers mental, et devient pour lui source de droit, de justice, et
d'orientation. Quand nous aborderons la question d'une façon plus détaillée, nous verrons que l'apparition du matérialisme en Europe en tant que doctrine, la rupture des liens des hommes avec leur créateur, l'aliénation par la matière et l'émergence de la science comme religion, sont tous les causes d'une série de facteurs historiques et sociologiques, rendues par les conditions prévalant en occident. * * * L'un des facteurs ayant entraîné une réaction forte et étendue en
Europe, et qui a été à l'origine notamment de la libre - pensée et de la
littérature anti - religieuse, fut l'inquisition ordonnée par les
autorités chrétiennes au début de la Renaissance, à l'encontre de certains
savants dont les découvertes contredisaient les doctrines
chrétiennes. Un conflit ne tarda pas à être déclenché à cause des divergences manifestes entre la science et la religion. Les savants et les penseurs virent dans la religion un obstacle à la pensée, et finalement la sclérose des esprits accom pagnée d'une attitude anti - rationnelle allaient créer une atmosphère d'étouffement pour l'homme moderne, et conduire les hommes de pensée à un isolement douloureux. Enfin, les pressions successives ont entraîné des réactions violentes
qui embrasèrent toute l'Europe. Et dès que le pouvoir de l'Eglise commenca
à décliner ét que le despotisme reculait, la pensée et la raison
occidentale qui après la répression, reprenaient leurs droits, réagirent
avec véhémence contre les causes des limitations qui leur furent
imposées. Cet esprit vindicatif finit par jeter le doute sur des questions aussi
fondamentales que l'existence d'un univers métaphysique et même de
Dieu. La science est elle - même indifférente aux valeurs. On ne peut
déterminer les responsabilités des hommes en s'appuyant sur elle. La
science peut bien progresser aussi loin qu'elle veut, elle ne saurait
éclairer davantage les hommes dans le domaine des responsabilités
morales. Un autre groupe de gens rejette la religion pour la raison q u'à leurs
yeux l'Eglise a présenté et fait siennes les conceptions tout à fait
erronées, ne pouvant absolument pas persuader un esprit éveillé. L'Eglise
présentait Dieu dans une forme humaine, alors que l'homme, en quête de
valeurs absolues, est toujours en train de chercher à rompre les barrières
matérielles. De la représentation anthropomorphique de Dieu, et avec le primat de la
foi sur la raison prôné par l'Eglise, les intellectuels ont déduit qu'une
vue aussi étroite contrastait avec les critères de la science. Et comme
ils ne disposaient pas d'autre moyen pour la connaissance de Dieu que les
Ecritures et les institutions de l'Eglise, et qu'ils ne pouvaient pas
découvrir un système supérieur pouvant à la fois satisfaire les exigences
de la science et celles de la foi, le choix était tout fait pour eux.
L'idée matérialiste a germé naturellement dans leurs esprits, s'est
développée, et a fini par la négation de toute valeur supérieure. Cependant, la forme de religion prévalant alors était trop fautive et
présentait trop d'incohérences pour être acceptée. Ils n'hésitèrent pas à
la rejeter en bloc. Un préjugé regrettable s'ancra dans leur esprit par
lequel ils comdamnèrent toutes les relitions. Ce qui de leur part était
une injustice envers la logique et la raison. "La plupart des fils de familles chrétiennes croient dans leur enfance
à l'existence d'un Dieu à forme humaine. Pour eux l'homme a été créé à
l'image de Dieu. Quand ces personnes entrent dans un milieu scientifique
et commencent à y exercer leur profession, ils s'aperçoivent de l'immense
écart conceptuel entre l'idée du créateur telle qu'elle leur a été
inculquée et les concepts scientifiques rigoureusement et laborieusement
établis. Impuissants à concilier ces deux notions, ils préfèrent chasser
de leur esprit l'idée même du créateur. Pour cette raison, les savants de cette classe travaillèrent pour trouver des solutions scientifiques tenant lieu de réponses aux questions de l'existence, et ne comportant aucune référence ni mention de Dieu et de la religion. Ils espéraient ainsi extirper à long terme l'espoir des hommes dans la religion, et ôter à celle - ci toute influence dans l'ordre naturel et social. Chaque fois qu'ils se retrouvaient devant une impasse, ils imaginaient différentes théories pour lui donner une solution, ou encore pour reporter sa solution jusqu'à ce que de nouvelles découvertes scientifiques leur apportent un supplément d'information. Ainsi ils s'imaginaient ne pas céder à la superstition et au charlatanisme. Bien qu'ils se libéraient du polythéisme, ils n'en retombaient pas moins dans l'athéisme. * * * La croyance au principe premier et la connaissance de Dieu sont un
besoin inné. Mais elles ne présentent pas le même caractère de nécessité
que les besoins matériels de la vie, que l'homme cherche à satisfaire sans
relâche. Elles sont un besoin spirituel tout à fait distinct de la vie
matérielle, qui requiert une grande perspicacité, une profondeur de
vue. D'autre part, comme il est plus aisé de rejeter et de renier l'existence d'un créateur invisible que de le reconnaître, ceux qui n'ont pas la capacité suffisante pour sentir cet être invisible, optent pour la voie aisée du renîment et de l'athéisme. * * * Nous ne pouvons cependant pas perd re de vue les suggestions des faux - religieux menant les gens à la répression de leurs instincts. Ceux - ci, indissociables de la vie de l'homme, ne sont non seulement pas en trop, mais sont aussi une force déterminante et un facteur de croissance et de mouvement dirigeant l'homme vers l'objectif qui lui a été assigné dès sa création. Pourtant, de même qu'il ne faut pas, à l'instar d'un prisonnier
totalement soumis à son geôlier, se laisser aveuglèment conduire par son
instinct, il ne faut pas non plus se comporter en tyran à l'égard de ses
forces intérieures, et tuer tout désir instinctif. Au contraire, étant
donné qu'une fonction ne pourrait être fructueuse que lorsqu'elle s'exerce
librement bien que de façon contrôlée, la répression totale des instincts
ne causera que la destruction de la personnalité. Quel serait alors le rôle d'une religion sacralisant la vie cloîtrée et l'isolement, dans l'édification et l'amendement de l'homme et de la société? Cette religion qui a présenté le mariage et la formation de famille -sans lesquels il n'est point de perpétuation de l'espèce- comme une souillure, et la pauvreté matérielle comme le bonheur. La mission de la religion, à notre sens, n'est pas de tuer l'instinct,
mais de le canaliser, de lui délimiter le domaine de son libre exercice,
en lui évitant les écueils de l'abus dans l'un ou l'autre sens. D'une part, l'homme subit l'attraction intérieure de la rel igion qui
lui recommande de surmonter tous ses désirs et d'orienter ses forces dans
le sens du bien et d'autre part, il est toujours sous l'influence de ses
instincts. Or, tout cela n'a rien à voir avec la logique authentique de la religion qui est de préserver l'homme de l'asservissement aux instincts et de l'aliénation par l'attachement servile aux choses matérielles. Elle veut élargir l'horizon de vue jusqu'au royaume de l'invisible, en cultivant en lui les valeurs morales et spirituelles qu'offre la foi en Dieu, tout en lui permettant de jouir largement des biens matériels. * * * Certains s'imaginent que le bonheur consiste dans la t ransgression des interdits religieux, que la religion combat toute sorte de plaisir, et que Dieu offre à l'homme le choix entre l'un ou l'autre monde: l'ici - bas ou l'au - delà. Or, cette conception de la religion est erronée et contraire à la réalité. Si la religion veut jouer un rôle dans la bonne orientation des hommes, c'est. parce que la soumission aux instincts et passions et leur relâchement inconditionnée ne peuvent que faire leur malheur, et les faire chuter de leur rang élevé à un rang plus bas que celui de l'animalité. D'où les interdits promulgués par les lois célestes et d'où aussi la dépendance entre le bonheur ici - bas et celui de l'au - delà. Il en va de même pour les devoirs et les responsabilités qu'elle
édicte. Les exercices et les rites qu'elle impose visent avant tout à
changer l'homme, non à réduire ses jouissances mondaines. Les préceptes défectueux du christianisme ont eu une influence négative
sur Russel au point de lui faire écrire: La diffusion de ces idées qui présentent la vision religieuse comme une
vision superficielle a beaucoup déterminé le sort de la religion dans
notre siècle. L'homme n'est nullement condamné à supporter l'un ou l'autre des malheurs. Il lui est même possible de réunir les deux bonheurs d'ici - bas et de l'au - delà. Pourquoi Dieu qui est si clément et si généreux, ne le voudrait - il pas à ses créatures? * * * Le dernier facteur à l'origine du développement de la pensée
matérialiste est celui de la concupiscence, où l'on s'abandonne sans
retenue à ses penchants les plus bas. Comme l'action a pour base
l'intention et qu'inversement, l'intention ou la pensée donne un sens à
l'acte, il va de soi qu'un homme dépravé et corrompu finit par tuer en lui
- même les sens du vrai et du beau. De même, la croyance en Dieu est comme une graine qui a besoin d'un sol et de conditions déterminées pour germer et se développer. Dans un millieu favorable, moralement sain et protégé, la foi avance plus vite et plus facilement et sans dévier de sa source. Autrement, elle est menacée d'étouffement et de stérilité. Le tumulte de la vie, le rythme accéléré des évènements, le développement vertigineux de la tech nologie, l'abondance des richesses et des possibilités de jouissance, la multiplication des beautés factices et critères sans cesse changeants de la personnalité, ont créé une confusion dans l'esprit des hommes qui n'ont plus le temps ni moyen de penser à eux - mêmes. Ils résistent de toute leur force à l'idée de religion, et refusent de se soumettre à tout système incompatible avec le train de vie moderne, et sourtout qui viendrait contred ire ses intérêts matériels. Par conséquent, dans un tel environnement il ne peut demeurer de la
religion que le nom et les gestes. En acceptant Dieu comme but on surmonte la contrad iction entre la
perfection et la liberté. Toutes les peines et difficultés que supportent
les hommes pour réaliser la perfection recevraient leur sens authentique
dans la croyance en la vie éternelle. La perfection par l'adoration de
Dieu n'est pas contradictoire avec la liberté, et n'est pas une source
d'aliénation. L'obéissance de l'homme à la nature est en effet une aliénation, et
toute perfection qui se réaliserait en se conformant obligatoirement à
elle, n'est qu'obéissance aveugle. L'effort -même avec des mobiles humains- n'est il pas une vanité pour celui qui ne croit pas au principe créateur, même s'il est fructueux et utile pour la société. Si mon sacrifice pour la promotion de l'espèce humaine, ne me rapporte rien, et ne me laisse rien espérer, il serait contraire à la liberté et à la raison. Quand les chefs de file du matérialisme prétendent que la contradiction entre la perfection et la liberté est un problème perplexe, ils n'envisagent pas la perfection divine mais seulement la perfection matérielle, qui est en réalité dépourvue de but. * * * |