CHAPITRE 2 Le Prophète et l'avenir de l'Islam Le Prophète savait pertinemment qu'après sa mort la Ummat allait perdre sa cohésion et se laisser entraîner à la querelle et à la division. La société musulmane se composait alors d'une part des Mouhâdjirouns (Emigrés venus de la Mecque) qui comprenaient les Banou Hachem, les Banou Umayya et les tribus de Adiy et de Teimim, et d'autre part, des Ansârs (musulmans de Médine accueillant leurs coreligionnaires de la Mecque) qui étaient des membres des tribus des Aws et des khazradj. Dès la mort du Prophète la flamme de la sédition a embrasé les esprits. La plupart des musulmans ne pensaient plus à l'intérêt de l'islam, mais seulement à s'emparer du pouvoir en faveur de leur clan, sans même se demander si un simple pouvoir fort et centralisé pouvait succéder au gouvernement divin instauré par le Prophète. Bref, les ambitions et les passions les rendaient aveugles, au point d'entamer gravement les liens religieux qui les unissaient auparavant. Le Prophète avait prédit cela: "La communauté de Moïse s'est divisée en
71 sectes; celle de Jésus en 72; ma communauté se scindera en 73 sectes,
dont une entrera au paradis, et les autres en enfer." 5 * Si le Prophète avait quitté ce monde, sans avoir au préalable informé les musulmans de la façon dont il fallait faire face à ce mal terrible qu'il leur prédisait, et s'il n'avait pas donné ses recommandations au sujet de la situation de vide qu'entraînerait sa disparition, et des conséquences désastreuses qu'elle créerait, n'aurait-il pas été lui-même tenu pour l'auteur de tous les graves problèmes nés de son abandon de la responsabilité, et de la direction des affaires? Comment peut-on penser que le Prophète qui a clarifié expressément tous les points de sa doctrine, ait pu omettre d'évoquer le futur de l'islam et la nécessité de protéger la vérité dont il est porteur, l'existence même de la religion, voire de la communauté musulmane. On se demande comment certains oseraient affirmer que le Prophète avait observé un silence total sur cette question et qu'il avait laissé aux musulmans le soin de régler le problème. On se demande comment ils ont pu attribuer au Prophète qui fut doté de l'intelligence la plus parfaite parmi les hommes, une pareille négligence et un tel mutisme. Surtout quand on garde à l'esprit que sa mort ne fut pas soudaine et brusque, puisque lui-même en avait annoncé aux musulmans la venue quelques mois auparavant lors du pèlerinage d'adieu, en leur disant qu'il ne les reverrait pas lors du prochain pèlerinage. * Du vivant même du Prophète, l'islam encore jeune était mis en danger par deux sortes d'ennemis: ceux de l'intérieur, qui étaient les Hypocrites, infiltrés dans tous les rangs et sous l'étendard de l'islam. Et dont les complots furent nombreux, au point qu'en l'an 9 de l'Hégire, le Prophète préparant l'expédition de Tabouk, et redoutant leur conspiration, désigna Ali comme son remplaçant à Médine, pendant son abscence. Les ennemis de l'extérieur étaient représentés par les deux empires,
Romain et Perse de l'époque. Le Premier Calife lui-même a eu l'occasion de ressentir le poids de
cette responsabilité qui lui incombait d'assurer la continuité du
gouvernement et le vide qui résulterait de sa disparition: il ne laissa
donc pas la communauté à elle-même. Il recommanda -sur son lit de mort-
aux gens de suivre et d'obéir à Omar ibn al-Khattâb.6 Quant à Ali, l'Emir des Croyants, il se satisfit du fait accompli, de
peur de la sédition et d'un retour du peuple à l'Ignorance d'avant
l'islam. Nous ne voyons vraiment pas d'explication à un tel comportement négatif; et pourquoi le Prophète de l'islam ne se serait pas intéressé à cette question. On ne peut pas se représenter une pareille chose. Or, sur son lit de mort et alors que la douleur de la maladie le
faisait beaucoup souffrir, l'Envoyé de dieu, inquiet, songeait à l'avenir
de la religion et de la communauté musulmane. Seule, cette question
occupait son esprit à ces instants-là. Et à un moment où s'étaient
ré.unies autour de son lit beaucoup de personnes, parmi lesquelles Omar
ibn al-Khattâb, le Prophète dit: Cette tentative du Prophète -que rapportent les sources sunnites et chiites, et sur l'authenticité de laquelle elles s'accordent- est la preuve la plus éloquente du souci qu'avait le Prophète, dans les derniers instants de sa vie, d'assurer la continuité de l'islam, et des dangers qui allaient menacer cette religion après sa mort. * C'est le moment, ici, de rappeler que dans les religions antérieures à
l'islam, tous les prophètes avaient à leurs côtés des "héritiers", des
hommes qui après leur mort, eurent la responsabilité de préserver le
contenu et le sens de leur mission. * * * |