CHAPITRE 3
La désignation de Ali, comme Chef des
musulmans
L'intérêt de l'islam commandait qu'après la mort du Prophète, les rênes
des affaires de la communauté soient confiés à un chef doté d'une grande
sagesse et capable de poursuivre l'oeuvre entreprise par le Prophète,
faute de quoi les esprits fraîchement libérés de l'Ignorance, seraient
tentés d'introduire des éléments de déviation, compromettant le sens même
de la religion islamique.
Beaucoup de preuves historiques nous attestent que le Prophète avait
non seulement conscience de l'importance de la question, mais qu'il
l'avait résolue publiquement à son retour du pèlerinage d'Adieu, le 18 du
mois de Dhul Hidja, en désignant -sur ordre de Dieu- son légataire
universel et son successeur, et en indiquant par cela-même les moyens et
voies pour assurer la poursuite de son mouvement, et le bonheur de la
justice et la prospérité de la communauté musulmane.
*
Lors de la dixième année de l'Hégire, qui vit le terme de sa mission
terrestre, le Prophète avait décidé de diriger ce grand rassemblement des
pèlerins à la Mecque. L'honneur d'accomplir ce pèlerinage en compagnie de
leur Prophète et guide, fut à l'origine de la participation de dizaines de
milliers de la première génération de musulmans. Tout le monde était là,
venus de tous les coins de l'espace islamique d'alors; il en fut même qui
se rendirent d'abord à Médine pour avoir l'insigne privilège de se joindre
à la caravane du Prophète en partance vers la Mecque, pour y accomplir ce
grand devoir religieux du Hadj qui incombe à tout musulman ou musulmane
qui en a les moyens et la force physique.
Le Prophète fut très heureux du flot humain qui se pressait autour de
lui: c'était la preuve que sa mission avait été bien accomplie. Quand les
cérémonies du pèlerinage se furent achevées, la grande caravane des
pèlerins que les historiens évaluent entre 90 et 120000 personnes
s'ébranla vers le chemin du retour. Elle traversa quelques vallées avant
de déboucher sur un désert aride où se trouvait, miséricorde divine dans
ce lieu de désolation, un étang que les caravanes appelaient "Ghadir
Khomm".8
Soudain, l'ordre fut transmis au Prophète par l'ange Gabriel de la part
de Dieu, d'arrêter la caravane. On s'arrêta et l'on attendit que les
retardataires arrivent. Un tel ordre ne pouvait que surprendre les
pèlerins: la chaleur torride, le soleil implacable rendaient l'endroit
inclément.
Peu de temps après, se répandit la nouvelle qu'une révélation venait de
descendre sur le Prophète. Elle disait:
"Ô Prophète, transmets ce qui t'est révélé de la part de ton
Seigneur; ne le ferais-tu pas, tu n'aurais pas comnuniqué Son message.
Dieu te met hors d'atteinte des gens. Dieu ne guide pas les mécréants."
Coran, Sourate La Table Servie (al-Mâ'ida), verset 67
Ce verset est explicite quant à la gravité de l'ordre divin spécifique
qui est donné cette fois au Prophète: si ce dernier venait à manquer à son
devoir (non par désobéissance à Dieu) par peur des gens, sa faute serait
telle que toute son action jusque-là aurait été nulle et vaine; en
revanche s'il se conformait à l'ordre divin, il parachèverait sa mission,
et la garantirait contre tout péril jusqu'à la fin des temps.
Le Prophète allait s'éteindre soixante-dix jours après cette
révélation. Et pendant les 23 ans qui ont précédé, il s'était, sans
relâche, voué à sa mission, entièrement soumis aux ordres divins. Ce
verset se réfère par conséquent à un ordre spécial, par la transmission
duquel seraient obtenus l'agrément divin, la perfection du message, et
l'accomplissement de la grâce divine.
L'affaire était grave. Le Prophète n'avait pas peur des hommes pour sa
personne. Il avait peur des hommes pour sa religion. Or, Dieu le rassure
pour cela en disant: "Dieu te met à l'abri du mal des gens".
La mentalité arabe de l'époque était réfractaire à l'attribution de
resposabilités politiques à des jeunes; à leurs yeux la sagesse était
synonyme d'âge mûr, voire de vieillesse. Ce qui ne facilitait pas la
tâche!
En outre, beaucoup de ceux qui se trouvaient être alors des compagnons
du Prophète avaient des proches et des amis qui furent tués au combat par
l'épée imparable de ce grand héros que fut Ali ibn Abi Taleb. Leur foi
islamique n'était pas suffisamment profonde pour discerner entre la
fidélité à Dieu et la fidélité a des amis et proches, ennemis de la foi.
Ils gardaient rancune à Ali, au lieu de voir en lui le combattant fidèle
du Prophète qui n'obéit qu'à sa conscience.
*
Les traditionnistes chiites et certains traditionnistes sunnites 9 ont
rapporté que le verset coranique précédent fut révélé à "Ghadir Khomm". Le
Prophète recevait l'ordre divin de proclamerAli comme son successeur.
A Ghadir Khomm, vint donc le moment de la prière du midi. Le
Prophète la dirigea 10. Puis il se leva pour se préparer à prononcer l'un
des prônes les plus importants de sa mission, et se conformer ainsi au
commandement de son Seigneur. on dressa une chaire en empilant les bâts
des chameaux, et et les bagages des pèlerins.
Puis au milieu de cette foule rassemblée dans le désert et prête à
l'écouter, le Prophète s'avança et monta sur la chaire afin que chacun le
voie et l'entende.
Après avoir rendu grace à Dieu, dont la puissance sur les choses est
éternelle, le Prophète -que la paix soit sur lui- dit: "Ô gens!
Bientôpt arrivera le moment où je serai appelé et je répondrai. Je serai
certainement interrogé, et vous serez certainement interrogés. Que
diriez-vous alors?"
Les musulmans répondirent: "Nous attesterons que tu as transmis ton
message que tu as combattu et que tu nous as conseillés et que Dieu t'en
récompensera en profusion de bien."
Puis le Prophète dit: "N'attestez-vous pas qu'il n'est pas d'autre
divinité que Dieu et que mohammad est Son serviteur et Son Envoyé; et que
le Paradis est vrai, que l'Enfer est vrai, que la mort est vraie, que la
résurrection après la mort est vraie, et que l'Heure du Jugement viendra
sans aucun doute à son sujet et que Dieu fera revivre les gens des
tombeaux?" Ils répondirent, unanimes: "Certes oui, nous attestons cela!"
Puis le Prophète poursuivit: "Et je vous interrogerai au moment où
vous serez amenés devant moi, au sujet des deux choses les plus lourdes,
sur la façon dont vous vous comporterez à leur égard, après ma mort.11
La plus grande des deux choses lourdes est le Livre de Dieu qu'Il soit
Exalté. Il est une corde dont une extrémité est dans la main de Dieu et
l'autre dans vos mains. Saisissez-la bien, vous ne vous égarerez pas et
vous ne changerez pas. L'autre chose lourde est ma famille, les Gens de ma
Maison. Car le Subtil, qui est au fait de toute chose, m'a informé que ces
deux choses lourdes ne se sépareront jamais jusqu'à ce qu'elles me
rejoignent au Paradis."
Puis le Prophète appela Ali -que la paix soit sur lui- le prit par la
main et le hissa sur la chaire. Puis élevant la main de Ali afin que tout
le monde le reconnaisse, le Prophète dit: "Ô gens! Qui est-ce qui a
priorité sur vous avant même vos propres personnes?" Ils dirent: "Dieu et
Son Envoyé sont plus savants". Le Prophète poursuivit: "Celui dont je suis
le maître, voici Ali qui sera son maître.12 Ô Dieu, sois l'ami de
celui qui lui vouera son amitié, et sois l'ennemi de celui qui lui
déclarera son inimitié.13 Donne la victoire à celui qui le défendra, et
avilit celui qui cherchera à l'avilir14 et fais que la Vérité le suive
partout où il sera."
Puis, pour finir son discours, le Prophète demanda que les présents en
transmettent la teneur aux absents. C'est donc ainsi que fut désigné à
la charge de l'imamat, Ali ibn Abi Taleb, l'homme qui en était le plus
digne et le plus qualifié. Et c'est ainsi que la mission prophétique se
parachevait et atteignait sa perfection dans la proclamation et
l'investiture de Ali comme son successeur.
Avant même que la foule des musulmans ne se dispersa, l'ange Gabriel
apporta au Prophète le verset suivant: "En ce jour, J'ai parachevé
pour vous votre religion, et J'ai complété pour vous Ma faveur, et Je vous
ai agréé l'islam comme religion."
Coran, sourate la Table Servie (al-Mâ'ida), verset 3
Lorsque le Prophète cessa de parler, tous les musulmans crièrent d'une
seule voix "Dieu est plus Grand! Allâh-ou-Akbar!", pour remercier Dieu
d'avoir aidé le Prophète à mener sa mission jusqu'à son terme, et d'avoir
ainsi donné aux hommes une religion complète, en désignant même le
successeur du Prophète. Les musulmans laissaient éclater leurs joies.
On s'avançait par groupes vers Ali pour le féliciter, et on s'adressait à
lui en employant le titre qui lui convenait le mieux, celui de Commandeur
des Croyants, Emir el-Mou'minin, titre que le Prophète lui avait
donné.
On dit que c'est là même que Hassân ibn Thâbet, célèbre poète du temps
du Prophète déclama son poème panégyrique dans lequel il évoqua le grand
évènement de Ghadir Khomm:
Leur Prophète les appela au jour de Ghadir A khomm, et
quel plus noble appelant que le Prophète! Il dit: "Qui est votre Patron
et qui est votre Ami?" Et eux, ne se montrèrent point dépourvus
d'yeux: "Ton Dieu est notre Maître et Tu es notre Ami, Et aucun de
nous ne te désobéira sur Terre." Alors, il dit: "Lève-Toi, Ali! Car
certes je t'ai agréé après moi comme Imam et Maître de la Voie."
*
Dans le verset coranique précédemment cité, on peut mesurer
l'importance que Dieu veut donner à cet événement: ce n'est certainement
pas un fait ordinaire. On y parle de perfection, d'achèvement de la
religion, d'agrément de Dieu pour l'islam comme religion pour les hommes.
Mais ces informations ne sont données qu'après la proclamation d'Ali comme
héritier désigné du Prophète.
Autrement dit, c'est Ali qui est la cause de la perfection de l'islam,
et l'obéissance à Ali fait partie des fondements de cette religion.
Les sources historiques et traditionnelles des sunnites aussi bien que
celles des chiites confirment que le verset en question a été révélé au
Ghadir Khomm, c'est à-dire le jour où le Prophète désigna Ali comme son
successeur à la tête des musulmans. Et tous les commentateurs s'accordent
à dire que la Sourate de la Table Servie (al-Maîda, cinquième sourate du
Coran) dont fait partie le verset en question, est la dernière sourate du
Livre Saint à être révélée au Prophète de Dieu.
Certains -mal itentionnés- ont essayé de voir dans le verset une
allusion au début de l'islam. Il y a de leur part une volonté délibérée
d'égarement et de tromperie. Car le texte dit clairement "En ce jour, j'ai
parachevé pourvous votre religion, et J'ai complété pour vous Ma
faveur..." De toute façon, ces tentatives tardives de falsification n'ont
aucun appui dans les sources anciennes.
*
L'évènement de Ghadir Khomm a été largement répercuté dans les sources
anciennes; il interpelait trop fortement les consciences des historiens
pour qu'ils essayent de le contourner ou de l'ignorer. Au cours des
permiers siècles proches de la période prophétique, l'évènement était
encore très vivant dans les mémoires comme en témoignent beaucoup de
sources historiques.
Ibn Khalikan mentionne la journée du dix-huitième jour du mois de
Dhul-hidja comme une journée de fête.15 Le célèbre El-Massoudy
mentionne la nuit au dix-huitième jour du môis de Dhul-hidja comme la
veille de 1a fête du Ghadir, que les chiites glorifient.16 Abou Rayhân
al-Bîrounî, grand savant du cinquième sie cee de l'Hégire a compté la
journée du Ghadir Khomm, comme l'une des fêtes musulmanes.17
Dans son livre intitulé Matâlib al-Su'âl, ibn Talha al-Châfi'i
affirme aussi que: "Le jour de Ghadir Khomm est un jour de fête. Il est le
jour ou le Prophète institua Ali comme imam pour les musulmans.18
Voyons à présent ce qu'il faut entendre par le mot "mawlâ"
employé par le Prophète dans son discours du Ghadir Khomm, et que nous
traduisons généralement par Patron, Maître ou Ami.
Au point de vue sémantique et morphologique, le mot "lnawlâ est
comme le mot "walî", un dérivé de la racine verbale arabe
"Wly", qui signifie être proche.
La notion de proximité est apparentée avec celle d'ami intime, de
patron, de préséance, voir d'initié. Dans le cas de "mawlâ"
employé par le Prophète faut-il comprendre la préséance et la priorité que
le Prophète doit avoir sur les croyants ou bien faut-il privilégier le
sens de l'ami, de celui qui soutient?
Le premier cas est soutenu par un verset du Coran qui dit: "Le
Prophète est plus proche des croyants qu'eux-mnêmes."
Coran, sourate les Factions (al-Ahzab), verset 6
Autrement dit, le Prophète a plus de droits sur les croyants, qu'ils
n'en ont sur eux-mêmes. Et comme on dit en français, il a la priorité sur
eux, il passe avant eux. Il a prééminence et préséance sur eux. Et cette
même notion du mot "mnawlâ" se retrouve plusieurs fois dans le
Coran.19 En raison des pouvoirs qui en découlent, ces versets
accordent une autorité absolue au Prophète à qui l'obéissance est accordée
automatiquement par les croyants. Le Prophète exerce sur les croyants une
autorité illimitée aussi bien sur leurs biens que sur leurs personnes,
mais c'est une autorité qui lui est reconnue par amour; car le mot
walâya ne comporte aucun contenu tyrannique, mais contient au
contraire le sens d'ami, d'intimité comme on l'a dit
Beaucoup de preuves peuvent être apportées pour appuyer l'idée que le
sens du mot mawlâ tel qu'il fut employé par le Prophète à Ghadir
Khomm, est le même que celui que nous venons de définir. C'est à-dire que
Ali, en vertu de la proclamation du Ghadir Khomm, se voit reconnaître le
même rang, le même privilège de proximité à l'égard des croyants, que le
Prophète lui-même: "Celui dont je suis les mawlâ, Ali sera son
mawlâ." Mais bien entendu, la prophétie est scellée avec le
Prophète de l'islam, et Ali n'est pas un prophète.
Avant de prononcer la phrase précédente,le Prophète avait posé la
question: "N'ai-je pas priorité sur vous avant vous-mêmes?" (Alastu
awlâ bikumn min anfusikum?), ce qui corrobore bien le sens que nous
donnons ici au mot mawlâ. Si le Prophète avait voulu signifier
autre chose, il n'aurait pas posé la question, qui nous sert ici de témoin
à l'appui de notre interprétation, et qui lui servit à inculquer à son
auditoire le sens qu'il voulait donner au terme de mawlâ.
D'autre part, de la série de questions que le Prophète pose aux
croyants -qui lui répondent tous par l'affirmative- on peut inférer que le
Prophète, après avoir demandé s'ils attestaient que Dieu est Un, que
Mohammad est Son Envoyé, que le Paradis est vrai, que l'Enfer est vrai,
etc..., va leur transmettre un autre élément du dogme, à savoir la
reconnaissance de la walâya de Ali, au même titre que les autres
éléments du dogme. Ali était ainsi reconnu comme le calife (successeur)
désigné du Prophète.
Si comme le pensent certains de nos frères sunnites, le mot mnawlâ
signifiait seulement l'ami, celui qui soutient, la walâya de Ali
aurait été équivalente et similaire à la walâya de tous les
croyants, car la walâya dans ce sens fait partie des premiers
enseignements de la fraternité islamique. Il n'y aurait pas eu nécessité
de la proclamer devant une telle assemblée, d'autant plus que celle-ci
avait été convoquée par le Prophète. Il n'y aurait pas eu aussi besoin de
la précéder de tous ces préliminaires relativement longs.
A cela, il faut ajouter qu'avant de mentionner le nom de Ali, le
Prophète a parlé de sa fin proche, et a informé les musulmans qu'il allait
bientôt quitter ce monde. Il est évident alors que la question qui peut
naître dans l'esprit d'un auditeur attentif et soucieux du devenir de
l'islam est celle de la succession. Le Prophète conscient de cela, va
alors désigner l'homme qu'il sait être le seul capable de lui
succéder.
Il ne pouvait pas retenir plus de cent mille personnes sous une chaleur
torride, simplement pour leur annoncer qu'ils doivent aimer Ali, parce que
lui-même l'aime, d'autant plus que l'amitié et l'amour entre les croyants
sont des choses qui vont de soi dans l'islam, et qu'ils sont inscrits dans
le Coran.20 La position que défendent nos frères sunnites à ce sujet
n'est pas raisonnable.
Quand le Prophète eut fini son discours,les compagnons, parmi lesquels
se trouvaient Abou Bakr, Omar, Talha et Zoubeyr se rendirent tous auprès
de Ali pour lui présenter leurs félicitations et lui souhaiter le succès
dans sa fonction d'Emir des Croyants. La cérémonie se poursuivit jusqu'au
moment de la prière du coucher du soleil. Omar fut l'un des premiers à lui
adresser la parole, en ces termes:
"Bravo à toi, ô Ali, te voici devenu mon mawlâ et le
mawlâ de tout croyant et de toute croyante!"21 Quelle autre
nouvelle aurait mérité à Ali qu'on vienne l'en féliciter, sinon celle de
sa promotion au rang de chef de la communauté musulmane?
Le poète arabe du temps du Prophète, Hassân ibn Thâbet, n'a pas compris
autre chose par le terme mawlâ, que le gouvernement des musulmans (imamat)
et la direction de leurs affaires. Dans le poème qu'il composa à cette
occasion, il dit: "Alors le Prophète dit: Lève-toi, Ali! car certes je
t'ai Agréé après moi comme Imam et maître de la Voie."
*
On voit bien que pour celui qui médite l'ensemble du discours du
Prophète à Ghadir Khomm, le sens du mot mawlâ qui s'impose est
celui de chef, à qui est dû l'obéissance et qui a priorité sur nos propres
choix, car il est un homme inspiré, guidé par Dieu, connaissant mieux que
nous-mêmes ce qui nous convient pour notre salut. Un jour le Prophète
avait désigné Ali comme commandant d'une expédition. Quatre compagnons
s'en plaignirent au Prophète. Ce dernier leur répondit: "Qu'avez-vous
contre Ali? Ali fait partie de moi et je fais partie de Ali, et il est le
walî de tout croyant, après moi."22
*
Certains pourraient se demander pourquoi Ali n'a pas invoqué
l'évènement de Ghadir Khomm où il fut désigné par le Prophète comme son
successeur, contre ses adversaires de la Saqîfa, après la disparition du
Prophète.
Pourquoi n'a-t-il pas rappelé aux musulmans, Muhâdjirouns et Ansârs,
qu'il avait été désigné à la charge de Calife par le Prophète lui-même et
que personne n'était en droit de lui contester cela? Les témoins de
l'évènement qui étaient des milliers avaient-ils oublié ou feignaient-ils
l'oubli?
En réponse, nous prouvons qu'il n'en fut pas ainsi. Car l'imam Ali a
bien rappelé à chaque fois que l'occasion lui fut donnée, la mission qui
lui fut confiée par le Prophète. Il n'a jamais accepté le choix de la
Saqîfa.
Les historiens nous rapportent que lorsque Ali et son épouse Fatima se
rendaient de nuit auprès des compagnons pour leur rappeler la promesse
faite au Prophète au jour du Ghadir Khomm, ils répondaient: "ô fille de
l'Envoyé de Dieu, nous avons déjà prêté serment à Abou Bakr. Si ton époux
et cousin était venu à nous avant Abou Bakr, nous ne lui aurions pas
préféré un autre!" Et Ali leur disait alors: "Allais-je laisser le
corps du Prophète dans sa maison, sans l'enterrer, et sortir pour disputer
son pouvoir à ces hommes?"23
Le jour de la consultation, où l'on vit Abdurrahmân ibn , Awf prendre
ouvertement parti pour Othmân, l'Imam Ali dit: "Je tirerai argument
d'un fait qu'aucun arabe ou non-arabe parmi vous ne pourra contester."
Puis il dit: "Je vous en conjure par Dieu, y a-t-il parmi vous un homme
-autre que moi-mêmeà qui le Prophète de Dieu aurait dit: "Celui dont je
suis le mawlâ, Ali est son mawlâ! ô Dieu, sois l'ami de celui qui
lui voue l'amitié, et sois l'ennemi de celui qui lui déclare son inimitié.
Donne la victoire à celui qui l'assiste. Que les présents transmettent aux
absents!"
Les gens répondirent: "Non!"24 Le témoignage apporté par trente
hommes parmi les compagnons du Prophète, dans l'enceinte de la mosquée de
koufa (Rahba), au sujet de l'évènement de Ghadir Khomm, est un des faits
indiscutables établis par l'histoire.
Un jour, en effet, l'imam Ali interpella du haut de la chaire de la
mosquée de koufa, les nombreux fidèles en ces termes: "Je vous en
conjure par Dieu, que parmi vous, tout musulman ayant entendu le Prophète
prononcer à Ghadir Khomm les paroles qu'il prononça, se lève et vienne
témoigner de ce qu'il a entendu.
Que ne se lèvent que ceux qui ont vu le Prophète et l'ont entendu de
leurs oreilles prononcer ses paroles." Trente compagnons se levèrent
alors parmi lesquels se trouvaient douze compagnons ayant pris part à la
bataille de Badr, première bataille qui opposa l'islam à l'impiété et qui
se solda par la victoire miraculeuse des musulmans. Ils témoignèrent
tous que le Prophète prit, au Ghadir Khomm, la main de Ali.et dit à la
foule: "Savez-vous que je suis plus cher aux croyants que leurs
propres personnes?" Ils répondirent: "Oui". Le Prophète dit:
"Celui dont je suis le préféré, voici (Ali) son préféré."25
Le témoignage des trente compagnons intervenait trente-cinq ans après
l'Hégire, et vingt-cinq ans après la journée de Ghadir Khomm. Quand on
sait que de nombreux témoins avaient quitté ce monde, pendant le quart de
siècle qui s'était écoulé, trouvant la mort dans les guerres, ou bien
qu'ils se trouvaient plus ou moins loin de koufa, dans les différents
territoires de l'islam en expansion, l'importance historique de ce
témoignage prend une signification encore plus évidente.
Ahmad ibn Hanbal, fondateur de l'école juridique sunnite qui porte son
nom, et célèbre compilateur de traditions prophétiques recueillies dans
son "Musnad", rapporte à ce sujet ce qui suit: "... Puis ils se
levèrent, exceptés trois d'entre eux. Ces derniers furent touchés par
l'imprécation que Ali invoqua contre eux."
Abou Toufeil entendit cette tradition -du Ghadir Khommde la bouche de
Zayd ibn Arqam que le calife Omar avait désigné au Conseil de sa
succession. Il fut stupéfait de ce que cette communauté avait nié les
droits de Ali, malgré toutes les paroles que l'on rapportait du Prophète
au sujet de son mérite. Il s'en étonna si fort qu'il en vint à douter de
l'authenticité de la tradition relative à la journée de Ghadir Khomm. Il
interrogea donc Zayd: "L'as-tu entendu du Prophète lui-même?" Zayd lui
répondit: "Il n'y avait en ces lieux-là (Ghadir Khomm) personne qui,
malgré le très grand nombre de gens présents ce jour-là, ne l'ait vu de
ses yeux et ne ne l'ait entendu de ses oreilles." Abou Toufeil sut alors
que les évènements s'étaient déroulés comme il avait dit26
Ahmad ibn Hanbal rapporte aussi dans son "Musnad" le témoignage d'Abou
Toufeil, présent à la mosquée de koufa le jour où Ali prononça son sermon
et appela les Compagnons à venir témoigner de ce qu'ils ont vu et entendu
à Ghadir Khomm.
"Sorti de la mosquée, éprouvant quelque doute, il rencontra Zayd ibn
Arqam et lui dit: "Je viens d'entendre Ali dire telle et telle chose."
Zayd lui dit: "Que veux-tu nier? J'ai moi-même entendu le Prophète dire
cela."27
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Al-Hamwîny al-Châfi'i rapporte que Ali invoqua contre ses adversaires
la journée de Ghadir Khomm, en plusieurs autres occasions, à la bataille
de Siffîn, à la bataille du Chameau, et dans la Mosquée du Prophète à
Médine, en présence de deux cents compagnons muhâdjirs et ansârs.28
En outre, il y a lieu de rappeler que l'imam Ali avait en général,
choisi de s'imposer stoïquement le silence, depuis l'évènement de la
Saqîfa, comme il le dit lui-même dans le Nahj al-Balâgha, en particulier
dans le sermon célèbre de la Chaqchaqiyya.
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