CHAPITRE 4
Le Prophète parle de son
héritier
L'Envoyé de Dieu n'a pas désigné Ali, comme son successeur à la tête
des croyants à l'occasion du jour du Ghadir Khomm seulement Il le fit
connaître dès la troisième année de sa mission, quand il reçut l'ordre
divin de rendre publique la prédication que jusque-là il menait de façon
discrète et secrète. Il reçut l'ordre d'annoncer sa mission d'abord à ses
proches.
Coran, sourate Les Poètes, (As-Sû'arâ), verset 214
Il chargea Ali de transmettre son invitation à quarante hommes parmi
les chefs de famille des clans des Banou Hachem, des enfants de
Abdul-Muttalib et des Banou Abd-Manâf.
Les hôtes furent servis pendant trois jours; les deux premiers furent
marqués par les propos futiles d'Abou Lahab. Au troisième jour, vint le
tour de la nourriture spirituelle. Le Prophète se lev a, rendit grâce à
Dieu et poursuivit: "Ô enfants de Abdul-Muttalib, j'en jure par Dieu,
je ne connais aucun homme d'âge mûr parmi les Arabes qui soit venu à son
peuple avec quelque chose de meilleur que ce que je vous apporte. Je vous
apporte le meilleur de ce monde et de l'au-delà.
Dieu m'a ordonné de vous appeler à Lui. Qui donc parmi vous serait prêt
à me soutenir dans cette mission et qui en contrepartie deviendrait mon
frère, mon légataire testamentaire, et mon lieutenant parmi vous?"
Ali...répondit: "Moi! ô Prophète de Dieu, je serai ton soutien dans
cette mission!"
Le Prophète prit Ali par l'épaule et dit: "Celui-ci est certes mon
frère, mon héritier, mon successeur parmi vous. Ecoutez-le et
obéissez-lui!"29 Les gens se levèrent en ricanant, disant à Abou Taleb
(père de Ali): "Il t'ordonne d'écouter ton fils et de lui obéir!" Personne
n'a mis en doute l'historicité de cet évènement; même les historiciens les
plus mal-intentionnés n'ont pu mettre en cause son authenticité.
*
Ainsi, le Prophète qui, au témoignage même du Coran, ne parle jamais
inconsidérément a clarifié dès le début la question de l'autorité dans sa
communauté, et a désigné Ali comme son successeur dès les premiers jours
de sa mission.
Cet évènement porte un témoignage frappant de ce que la question du
califat dépend directement de Dieu et de Son prophète, et de ce que les
hommes ne sont aucunement autorisés à la traiter selon leurs caprices et
leurs passions. D'autre part, cet évènement nous montre comment dès
l'origine, sont intimement liés la Prophétie et l'imamat, puisque le
Prophète les annonce le même jour, à la même occasion.
*
Plus tard, et à plusieurs reprises, le Prophète rappellera que la
question de l'autorité suprême dans la communauté relève de Dieu, et qu'il
ne lui appartenait pas à lui, prophète, de décider comme il le veut.
Al-Akhnas ibn Châriq, chef de tribu arabe, déclara au Prophète, qu'il
était prêt à embrasser l'islam, à condition qu'il soit désigné comme
successeur du Prophète. Ce dernier lui répondit: "Cette affaire
appartient à Dieu. Il lui choisit celui qu'Il considère apte à
l'assumer!
Al-Akhnas désespéra, et renonça à supporter les épreuves de la foi,
puisqu'il n'avait pas la promesse de devenir calife.30 Par conséquent
avons-nous le droit de donner la préséance à un homme choisi par ses
semblables contre un homme désigné par Dieu et Son Prophète! Comment un
homme désigné par Dieu pourrait-il se mettre sous l'autorité d'un homme
désigné par ses semblables. Le Coran nous met en garde contre la tentation
de maintenir notre choix quand Dieu et Son Prophète ont décidé
autrement.31
*
Un autre exemple attestant que le Prophète a bien clarifié aux
musulmans la position de Ali comme son successeur désigné, nous est fourni
par la tradition dite de la Manzala, c'est à-dire du rang, du grade. Le
Prophète a prononcé cette tradition dans des cironstances particulièrement
graves et menaçantes pour le jeune Etat de Médine.
La nouvelle était parvenue au Prophète que les armées de Byzance
s'apprêtaient à lancer une attaque contre Médine. Elles avaient grand
espoir d'arriver à leur peine sans encombre. Le Prophète s'empressa de
lever une armée musulmane, l'équipant du mieux qu'il pouvait. D'autre
part, le Prophète avait appris que des Hypocrites préparaient un complot,
qu'ils espéraient provoquer en mettant à profit l'absence du Prophète
pendant son expédition.
Il décida de désigner Ali comme son lieutenant à médine, en le
chargeant de veiller au maintien de l'ordre, et de la justice. Les
Hypocrites, pris de court, usèrent d'un stratagème, et firent propager la
rumeur que Ali était tombé en disgrâce, qu'il n'avait plus l'amitié du
Prophète, puisqu'il ne l'autorisait pas à participer à la bataille à ses
côtés.
Ces rumeurs provoquèrent en effet une réaction de Ali. Il rejoignit le
Prophète, hors de Médine, pour lui faire part de sa tristesse. Le Prophète
prononça alors la célèbre tradition qui définit éloquemment et sans aucune
ambiguité le rang et la place de Ali dans l'islam, en disant: "ô Ali!
N'es-tu pas satisfait d'être par rapport à moi dans le même rang que celui
de Haroun par rapport à Moïse, sauf qu'il n'y a point de prophète après
moi?"32
Beaucoup de traditionnistes sunnites ajoutent aussi ce propos du
Prophète:
"Il ne convient pas que je sorte de cette ville à moins que tu n'y sois
mon lieutenant."33
*
Amer ibn abi Sa'd ibn Waqqâs, a rapporté que Mu'awiyya demanda à Sa'd
ibn abi Waqqâs (qui fut un des plus violents opposants à Ali)" "Qu'est-ce
qui t'empêche d'insulter Abou Toûrab (surnom de Ali ibn Abi Taleb)?" Il
répondit: "Je ne l'insulterai jamais tant que je garderais en mémoire
trois paroles prononcées par l'Envoyé de Dieu; si une seule de ces paroles
m'avait concerné, cela m'aurait été préférable aux plus beaux délices.
Je ne l'insulterai pas tant que je me rappellerais le jour où il reçut
la révélation, et rassembla sous son manteau Ali, Fatima et leurs deux
enfants et dit: "Seigneur! ceux-là sont les gens de ma Maison, ce sont les
miens!" Je ne l'insulterai pas tant que j'aurais en mémoire le jour où
le Prophète le désigna comme son lieutenant avant de partir pour une
expédition. Ali lui dit: "Tu me laisses pour garder des femmes et des
enfants?". Le Prophète lui dit: "N'es-tu pas satisfait d'être pour moi
comme Haroun pour Moïse, sauf qu'il n'y aurait point de prophétie après
moi?" Je ne l'insulterai pas tant que je garderais en mémoire la jounée de
Khaybar (La bataille), où l'Envoyé de Dieu dit: "Je confierai l'étendard à
un homme qui aime Dieu et Son Prophète; et Dieu vaincra par ses mains."34
Dans cette tradition, le Prophète a clairement défini la position de
Ali vis à vis de lui, position qui est similaire à celle de Haroun
vis-à-vis de Moïse, en ce qui concerne les questions politiques et
communautaires; seule en est exclue la prophétie, car l'Envoyé de Dieu est
le sceau qui ferme le cycle de la prophétie. Après lui, point d'autre
prophète. Or le Coran nous apprend que Dieu a répondu favorablement à
toutes les demandes de Moïse concernant Haroun. Il en fit son ministre,
son soutien, son successeur à la tête des Enfants d'Israel. Haroun a même
atteint le rang d'envoyé.35
Par conséquent, et en vertu de la tradition dite "tradition du rang",
Ali possède tou tes les qualités de Haroun, exceptée celle de la
prophétie. Il en est qui affirment que la fonction de lieutenant du
Prophète exercée par Ali ne fut valide que le jour où le Prophète était
absent de Médine. Hors de cette occasion-là, Ali ne peut pas être dit
lieutenant du Prophète, même après la disparition de ce dernier.
En fait, cette objection ne tient pas. Parce que le Prophète a choisi,
en plusieurs occasions, des compagnons pour les représenter à Médine
pendant ses absences, sans jamais les comparer à Haroun. Il ne fit
cette déclaration, lourde de conséquences, qu'à Ali ibn Abi Taleb.
Si le Prophète avait en vue une lieutenance provisoire, limitée dans le
temps, à la durée de son absence de Médine, son propos excluant la
prophétie aurait été une vaine parole. En d'autres termes, il aurait
signifié quelque chose comme: "ô Ali, sois mon remplaçant en mon
absence, mais ne sois pas prophète!"
L'exception de la prophétie ne prend de sens que si l'on comprend que
les autres qualités de Haroun sont valables définitivement pour Ali, même
après la disparition du Prophète.
En outre, la tradition prophétique prend toute son importance à la
lumière des autres traditions prononcées en d'autres circonstances, et qui
la corroborent Aux premiers temps de l'Hégire, quand les musulmans fuyant
la Mecque avaient retrouvé leurs coreligionnaires à Médine,le Prophète
voulut fraterniser entre eux. A chaque croyant il donna pour frère un
autre croyant, afin qu'ils puissent s'entraider, se secourir
mutuellement.
Ali vint essoufflé et affligé au Prophète et lui dit: "Tu as fraternisé
entre les musulmans, mais tu ne m'as pas choisi un frère parmi tes
compagnons!" Le Prophète lui répondit: "J'en jure par Celui qui m'a
envoyé en vérité, je t'ai laissé en dernier afin que je te choisisse comme
mon frère."36
En plusieurs occasions, le Prophète a appelé Ali, son frère. Une
citation d'Ibn Is'hâq apprend que: "Le Prophète confraternisa entre les
Muhadjirouns (Emigrés) et les Ansârs (musulmans de Médine), disant: "Soyez
frères en Dieu, deux à deux." Puis il prit la main de Ali ibn Abi Tâleb et
dit: "Voici mon frère!" Ainsi, l'Envoyé de Dieu, le maître des envoyés, le
guide des hommes pieux, l'Envoyé du Seigneur des mondes qui n'a point
d'égal était devenu le frère de Ali..."37
Ibn Sa'd rapporte que l'Envoyé de Dieu intervenant dans une discussion
entre Ali, son frère Ja'far et Zayd ibn Haritha, dit: "Quant à toi,
Ali, tu es mon frère, et tu es avec moi!"38 Ibn Abdelbarr rapporte que
le Prophète a dit à Ali: "ô Ali, tu es mon frère, et mon compagnon dans le
Paradis!"39
Voyons à présent ce que l'on peut déduire de cette fraternité.
En instaurant la fraternisation entre ses compagnons de Médine et ses
compagnons émigrés de la Mecque, le Prophète ne voulait pas seulement
régler par la solidarité, toute une série de problèmes sociaux que
traversait la jeune communauté musulmane. Il voulait surtout inaugurer un
modèle de rapports sociaux nouveau, supplantant le modèle tribal, et
abolissant les privilèges et les pratiques allant à l'encontre des
enseignements de la nouvelle religion.
Le premier critère du rapport communautaire allait être la foi: On est
frère en Dieu. On aime pour Dieu et on déteste pour Dieu. Et le lien du
sang allait être relégué au second plan.
*
La fraternisation entre le Prophète et Ali était intervenue dix ans
auparavant, le jour où le Prophète invita tous ses proches afin de leur
annoncer sa mission divine. Par conséquent, elle ne pouvait se situer
au même plan que la fraternisation entre les Muhadjirouns et les
Ansârs.
Le Prophète et Ali n'avaient pas besoin d'un rapprochement; ils n'ont
jamais été séparés. Ils étaient cousins, liés par la meilleure des
amitiés.
Le mobile de leur fraternisation ne pouvait être que leur accord et
leur affinité dans tous les domaines concernés par la foi nouvelle. Ali
était le plus proche de par ses vertus, sa connaissance, et son esprit de
sacrifice, du grand prédicateur de l'islam. Cette fraternisation est,
comme nous l'avons vue dans la tradition, d'une portée éternelle, ne se
limitant pas à la vie de ce monde.
Al-Hâkim, auteur sunnite, rapporte que le Prophète a dit:
"Ô Ali, tu es mon frère, dans ce monde et dans l'Autre!"40 Ali,
Abou Bakr et Abou 'Oubeïda se trouvaient un jour en présence du Prophète.
Ce dernier posa la main sur l'épaule de Ali et dit: "Tu es le premier à
avoir cru en moi! Tu es vis-à-vis de moi, comme Haroun vis-à-vis de
Moïse.41
*
Omar ibn al-Khattâb vit un jour un homme dire du mal de Ali. Il lui
dit: "Tu es un hypocrite! Car. j'ai entendu l'Envoyé de Dieu dire: "Ali
est vis-à-vis de moi comme Haroun fut vis-à-vis de Moïse, sauf qu'il n'est
point de prophète après moi!"42
Nous voyons bien que dans l'esprit de Omar, Ali est l'égal du Prophète
sous tous les rapports, excepté celui de la prophétie. C'est pour cela
qu'il prononce Un jugement d'"hypocrisie", qui est pire que l'infidélité
déclarée. Or nous savons que Omar et certains compagnons se sont souvent
injuriés les uns les autres, sans que cela donne lieu à des jugements
d'hypocrisie. Cela ne s'est justifié que pour des paroles irrespectueuses
envers Ali; ce qui prouve que Ali est considéré comme étant du même rang
que la personne du Prophète.
*
La tradition de l'arche (Safînat), est une des plus célèbres
traditions et aussi celle dont la chaîne des transmetteurs est des plus
valides. Elle est rapportée par les grands auteurs sunnites, et confirme
la qualification et la compétence des Gens de la Maison du Prophète pour
la direction des musulmans.
On rapporte que Abou Dharr al-Ghiffâri a entendu le Prophète
dire: "Les Gens de Ma Maison sont, parmi vous, à l'exemple de l'arche
de Noé: quiconque y embarque sera sauvé, et quiconque la manque sera noyé
et chutera."
En comparant les Imams au Vaisseau de Noé, le Prophète ne confirme pas
seulement leur rôle de guides pour les croyants; il fournit aussi une
indication pour les musulmans qui voudraient assurer leur salut, en les
invitant à obéir aux imams, à se conformer à leur exemple, et il met en
garde ceux qui s'opposeraient à ces imams,et qui ce faisant ruineraient
toutes leurs chances d'être sauvés dans l'au-delà, s'imaginant pouvoir
trouver quelque planche de salut, hors de l'arche.
Cette tradition confirme aussi la perfection et l'impeccablilité des
imams de la Maison du Prophète, puisque sans ces qualités, comment
pourraient-ils mener à bien leur mission divine de sauver les âmes de
l'égarement et des ténèbres...
*
Il a suffi d'une seule phrase pour le premier calife pour désigner son
successeur! Pourquoi tant de paroles claires et éloquentes du Prophète ne
suffiraient-elles pas à confirmer le rang de Ali?
* * *
|