CHAPITRE 5
Le lien entre le Coran et la Famille du
Prophète
Le hadith dit des thaqalayn (les deux choses lourdes) est l'une
des traditions du Prophète les plus rapportées par les sources islamiques.
Il figure dans les premières compilations effectuées par les auteurs
sunnites, et ses chaînes de transmetteurs sont parmi les plus crédibles et
les plus dignes de foi. En voici le texte: "L'Envoyé de Dieu a dit: "Je
vous laisse (après ma mort) les deux choses les plus lourdes: le Livre de
Dieu, et ma descendance, les Gens de ma Maison. Ils ne se sépareront
jamais jusqu'à ce qu'ils me rejoignent au Paradis. Tant que vous les
suivrez, vous ne vous égarerez jamais."43
Certains ulemas sunnites rapportent que la parole prophétique se
terminait ainsi: "Ali est avec le Coran, et le Coran est avec Ali, ils
ne se sépareront jamais."44
Et trente compagnons du Prophète, au moins, ont rapporté avoir entendu
le Prophète faire cette déclaration.45 Les sources chiites et sunnites
soulignent que jusqu'à la fin de sa vie, le Prophète n'a jamais cessé
d'insister sur la relation profonde entre ces deux bases de l'Islam que
sont le Coran et sa Famille.
Cette tradition est par conséquent un résumé du programme tracé aux
musulmans. Même si elle se présente différemment dans sa forme, d'une
source à l'autre, cette tradition ne perd jamais son contenu essentiel:
souligner la relation indéfectible qui existe entre le Coran et la Famille
Prophétique.
Ibn Hadjar, célèbre docteur sunnite, examinant les circonstances de ce
hadith écrit: "Selon certains, le Prophète aurait prononcé cette phrase
lors du pèlerinage d'adieu à Arafât, selon d'autres à Ghadir Khomm, et
selon d'autres à Médine, lors de sa maladie, et en présence de nombreux
compagnons qui se trouvaient à son chevet. D'autres enfin disent qu'il
prononça ces paroles à son retour de Taïf."
Ibn Hadjar ajoute: "Il n'y a pas de contradiction entre ces sources;
rien n'empêche qu'il n'ait répété cette vérité dans toutes ces
circonstances et en d'autres; et cela en raison de l'importance que
possèdent le Coran et la Famille du Prophète."46 Dans une autre tradition,
le Prophète dit: "Ali est avec le Vrai (al-Haqq), et le Vrai est avec
Ali. Le Vrai est avec lui, partout où il se trouve."47
*
Les versets du Coran, chacun le sait, sont un ensemble de
recommandations et d'enseignements qui sont à même d'assurer le bonheur et
le salut des hommes qui s'y conforment. Cependant, le Coran requiert,
pour être interprété et compris justement, une autorité compétente,
remplissant les conditions de perfection danS tous les domaines. C'est la
raison pour laquelle le chiisme considère qu'il est nécessaire que ceux
qui ont la charge d'interpréter le Coran, en toute compétence, soient
désignés par l'Envoyé de Dieu, qu'il les ait préparés lui-même à leur
mission future. Seules ces personnes pourront comprendre le langage de la
révélation et interpréter les versets du coran de la façon la plus juste
qui soit. La conjonction du Livre et de la Famille s'explique par le
besoin qu'impose toujours le Livre d'être interprété de façon complète et
juste.
Les diviser et les séparer, pour se contenter de suivre les avis de
personnes incompétentes, n'aura pour résultat que l'égarement et la
perdition. Sinon,que signifierait la parole: "Tant que vous les suivrez,
vous ne vous égarerez jamais, après moi"? Qui peut rapporter aux
"versets solides" (muhkam), les "versets ambigus"
(mutachâbih)?
En les plaçant côte à côte, le Prophète a voulu signifier que leur
fonction est la même et complémentaire; d'une part le Coran, le
commandement céleste, d'autre part son répondant terrestre, son
porte-parole et son protecteur. Il est normal alors qu'abandonner la
Famille du Prophète soit synonyme de perdition et de mort.
La déviation des musulmans,-et par suite leur déchéancea commencé avec
la séparation entre ces "deux choses lourdes", depuis que la thèse "Le
Livre de Dieu nous suffit" a dominé les esprits et la vision religieuse
des gens, depuis que les écoles des Ach'arites et des Mu'tazilites se sont
établis comme si elles étaient plus versées dans la connaissance du Livre
de Dieu que le Prophète!
La compréhension juste du Coran est rendue plus facile par les
commentaires de ces hommes dont la science procède directement de la
faveur divine, sans intermédiaire ni apprentissage. De tels hommes ne sont
autres que les Imams préservés de l'erreur et de l'égarement.
Ibn Hadjar, le célèbre auteur sunnite a rapporté une parole du Prophète
disant: "Ne les précédez pas (les imams) car vous périrez à cause de
cela; et ne soyez pas en retard sur eux, car vous périrez aussi; et ne
leur enseignez pas, car ils sont plus savants que vous."48
L'imam Ali a pour sa part dit: "C'est par eux que vit la science, et
meurt l'ignorance. Leur magnanimité (Hukm) vous informe de leur
savoir; leur extérieur de leur intérieur; leur silence des sagesses de
leur parole. Ils ne s'opposent pas à la Vérité et ne divergent pas à son
propos. Ils sont les piliers de l'Islam, et les refuges de ceux qui
cherchent protection. C'est par eux que la Vérité est revenue à sa place
et que le Mensonge (bâtil) a été chassé de son rang, et que la
langue du mensonge a été arrachée. Ils ont attaché la religion de façon
qu'ils la comprennent en toute conscience et de façon qu'ils la préservent
de l'erreur, non comme la fixerait celui qui l'entendrait par ouï - dire
ou la transmettrait par sa langue. Ceux qui rapportent (par la langue) la
science sont nombreux, mais ceux qui la gardent sont très peu."49
Le hadith précédent signifie que les gens de la Famille du Prophète
sont préservés de la désobéissance à Dieu, des péchés, et des erreurs. Un
homme qui serait "avec" le Coran, de façon que les hommes soient
religieusement contraints de suivre ses recommandations jusqu'à la
Résurrection et à la rencontre avec l'Envoyé de Dieu, un tel homme doit
être à l'exemple du Coran, dénué de toute erreur. Comment Dieu
ordonnerait-II aux gens d'obéir à un homme souillé par les péchés?
L'Envoyé de Dieu a même précisé le nombre des califes qui lui
succéderont dans sa charge d'Imam, disant: "Mes califes seront au
nombre de douze comme les lieutenants des Enfants d'Israel. Ils seront
tous de Qoraych -et selon une autre tradition -des Banou Hachem."50
Les califes "bien guidés" des sunnites ne sont pas au nombre de douze.
On ne peut pas non plus envisager ce nombre pour les califes Omeyyades ou
Abbassides, car non seulement il ne s'applique pas à eux, mais aussi parce
qu'ils ont commis des péchés tels qu'ils ont causé à la religion des
préjudices irréparables. Par contre ce nombre correspond bien à celui des
Imams de la Famille du Prophète.
Certains auteurs mal-intentionnés, refusant d'écouter les paroles du
Prophète, et se détournant des Imams, ont été contraints d'interpréter le
hadith en question -qu'ils ne pouvaient mettre en doute à cause de son
authenticité indiscutable- conformément à son contenu.
*
Le Cheykh Suleyman al-Qandûzi, sunnite hanafite, a écrit loin de tout
parti-pris, ce qui suit: "Certains auteurs spécialisés
(mmuhaqqiqûm) disent que les traditions selon lesquelles le nombre
des califes après le Prophète est au nombre de douze, sont des traditions
largement connues, transmises par différentes voies. Grâce à un examen du
déroulement du temps écoulé (depuis sa disparition) et des circonstances
successives qui ont prévalu, je sais que l'intention du Prophète dans sa
parole est la suivante: les douze imâms de sa Famille et de sa
descendance.
On ne peut interpréter cette tradition en la rapportant aux califes qui
lui ont succédé, parmi ses compagnons car ils étaient inférieurs à
douze.
On ne peut non plus l'appliquer pour rois Omeyyades, car ils étaient
plus de douze et furent d'une iniquité odieuse, à l'exception de Omar ibn
Abdel-Aziz. En outre, ils ne faisaient pas partie des Banou Hâchem. Car le
Prophète a dit "Ils sont tous de Banou Hâchem", suivant la tradition
rapportée par Jâber ibn Sumra; qui ajoute que le Prophète avait baissé la
voix à ce moment de son discours; car il savait que les Omeyyades
n'aimaient pas que les Banou Hâchem soient califes.
De même, ce nombre ne peut pas concerner les Abbassides, qui sont plus
de douze, et qui n'ont pas respecté le verset coranique enjoignant l'amour
des Gens de la Maison du Prophète51, ni le hadith du Manteau
(al-Kissâ). Il est indispensable par conséquent d'interpréter ce
nombre comme s'appliquant uniquement aux imams de la Famille du Prophète,
car ils furent les plus savants parmi leurs contemporains, les plus
éminents, les plus scrupuleux en matière religieuse, les pieux, ceux qui
sont les plus proches du Prophète par les liens du sang, les plus
vertueux, et par conséquent les plus nobles auprès de Dieu. Leur science
remontait directement au Prophète, par héritage et par grâce
divine. C'est ainsi que les ont fait connaître ceux qui ont un savoir
sûr et éprouvé.
Ceci corrobore le sens suivant lequel l'intention du Prophète
concernait bien les douze imams de sa Famille.Le hadith des "deux choses
lourdes" le confirme et en témoigne, ainsi que les autres traditions
réitérées dans ce livre. Quant à la parole du Prophète: "La communauté
musulmane se rassemblera autour d'eux" qui figure dans la tradition de
Jâber ibn Sumra, elle signifie que la communauté musulmane sera unanime
dans la reconnaissance de tous les imams après l'apparition du douzième
imam, le Mahdi."52
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