CHAPITRE 10
Réponse à une objection
L'objection la plus souvent relevée est la suivante:
Si le gouvernement des hommes émanait de leurs suffrages, et si la
société pouvait se doter d'un chef choisi parmi ses meilleurs éléments,
cela serait plus conforme aux principes démocratiques. Les hommes
pourraient satisfaire en toute légalité leur désir de gravir les sommets
de la liberté, et édifier leur société sur des fondements éthiques et
culturels conformes au choix de la majorité. Ainsi conçu, le gouvernement
des hommes semble bien structuré pour répondre aux mieux à leurs
attentes.
Mais s'il en allait autrement, c'est-à-dire si les hommes étaient tenus
à l'écart de la désignation de leur dirigeant, et si, en l'occurence, un
imam, successeur du Prophète leur était désigné d'autorité, doté de
pouvoirs absolus, cela ne serait-il pas une tyrannie, une dictature?
Réponse: C'est un jugement erronnée. Car un homme "imposé" par Dieu
n'est jamais un dictateur: on ne peut dire cela d'aucun prophète. En
outre, ce que l'on appelle dictature ou tyrannie se retrouve bien dans des
Etats régis par des institutions démocratiques. Il s'enduit que la
dictature résulte du comportement du chef, de ses décisions et
agissements. Un homme peut fort bien arriver au pouvoir par la force puis
gouverner sagement; et inversement un autre homme peut y arriver par la
voie démocratique et se comporter ensuite en dictateur, n'écoutant que ses
désirs.
Lorsqu'on parle d'un système politique ayant l'Imam à sa tête, il faut
immédiatement l'associer à l'idée de critères imprescriptibles et de
conditions indispensables à celui qui assume la charge d'imam. Tout
dirigeant en qui ne se réunissent pas les dites conditions ne peut porter
le titre d'imam que par usurpation, et s'il est le chef de la communauté
de l'islam, il ne peut conférer à son gouvernement le nom d'imamat.
Car l'imam véritable est désigné par Dieu. En tant que Créateur des
hommes et en tant qu'll les connaît parfaitement, Dieu leur choisit le
chef qui leur convient par rapport à l'ordre cosmique, et non seulement
par rapport aux conditions historiques ou locales. L'imam agit comme un
représentant de Dieu sur terre; il ne suit pas les passions ou les désirs;
il veille au contraire au maintien de l'ordre sur la terre conformément à
la volonté divine exprimée dans le Coran et la tradition. Il est en
quelque sorte astreint à cette fonction, comme les autres croyants sont
astreints -Par la loi religieuse- à lui obéir.
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C'est Dieu par conséquent qui est le principe et la source de la
législation. Cette loi divine est compatible avec la nature humaine; elle
concrétise la justice et l'équité de façon générale; et elle fournit aux
hommes la base sur laquelle ils s'appuieront pour gravir les échelons de
la perfection. Si le dirigeant est un dirigeant désigné et choisi par
Dieu, il est forcément préservé de l'erreur et du péché. Il ne peut pas
songer à autre chose qu , au bien des hommes; et il ne peut entreprendre
d'attenter à leur droit, encore moins de les réprimer ou de leur causer du
tort. Dans le système politique reposant sur l'expression de la
majorité, le gouvernant se souciera toujours de ne pas heurter les désirs
de la majorité, et même de s'y conformer; sans jamais s'inquiéter de la
compatibilité de ses désirs avec la Loi divine. Or, ces désirs et
aspirations des hommes varient au fil des ans, et ne manquent pas
d'influer à leur tour sur la pensée du dirigeant et sa vision du
monde...
Ce qui importe finalement pour l'homme politique, c'est de faire
l'unanimité, ou du moins de gagner l'adhésion de la majorité, autour de
son action et de ses décisions, sans se soucier de la compatibilité ou de
la non-compatibilité de celles-ci avec l'équité, ou pire encore avec ses
propres convictions intimes. Il est souvent prêt à tout sacrifier pour
sauvegarder son poste. Très peu ont été les personnalités politiques qui
ont pu se fixer des limites, et renoncer au pouvoir pour des causes
morales.
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Frank Kent, politologue célèbre a écrit: "Gagner la majorité est un
sujet trop important pour permettre à des mobiles comme la morale,la
vérité et l'erreur de s'y immiscer et de nous empêcher d'y parvenir."105
Oui, c'est bien cela le système des élections libres ayant cours dans
le monde aujourd'hui. On se joue de la vérité, et de la conscience.
Sachant cela, est-il raisonnable que les successeurs du Prophète soient
désignés de la sorte, et qu'on leur confie ainsi les rênes du pouvoir?
Comment un chef des musulmans, ignorant tout de la culture islamique et
des principes de la religion ainsi que de ses applications, pourrait-il
édifier une société islami'que à cent pour cent, et y faire appliquer la
loi divine en toute loyauté? Comment pourrait-il imaginer, concevoir des
réponses adéquates aux mille et une questions nouvelles qui surgissent
constamment du fait des progrès de l'humanité et de l'activité des hommes,
s'il ne possède pas au moins le sens de la mission? D'autre part, les
minorités, qui peuvent représenter jusqu'à 49% de l'ensemble de la
population, sont dans les démocraties, laissées à elles-mêmes, tenues de
se soumettre à l'opinion des 51% de la "majorité". Il n'y a en cela aucune
justice. Qu'est-ce qui permet que la non-majorité soit tenue pour
responsable devant la majorité? Et qu'est-ce qui permet à la majorité de
priver de sa liberté le reste de la société?
On aura beau dire que cela est commandé par l'intérêt général, cela ne
constituera jamais un argument légal, et n'entraînera pas nécessairement
une responsabilité légale. Quel est le délit commis par la minorité pour
qu'elle se soumette au dictat de la majorité? Les lois qui sont
adoptées par la majorité deviennent exécutoires pour l'ensemble de la
société, alors qu'il est possible que la tendance de la majorité soit
néfaste et constitue un frein à son épanouissement La vérité ne peut pas
se transformer en erreur du fait de la rareté de ceux qui la revendiquent
ou s'en réclament De même l'erreur ne peut pas cesser d'être l'erreur
quand elle réunit le plus grand nombre.
Il est vrai que souvent c'est l'avis de la majorité qui devient
exécutoire, mais cela s'applique seulement par le fait que cet avis est en
apparence celui qui présente le moins de défaut Mais il n'a jamais été le
trait distinctif de la vérité. Car rien ne prouve que le penchant de la
majorité soit plus juste et plus valide que le penchant de la minorité, ou
que l'opinion majoritaire doive être une source de la loi, et servir de
base à la vie humaine.
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Quant aux démocraties qui se voulaient marxistes, nous avons constaté
ces dernières années que leurs gouvernements se reposaient sur la terreur
et la force; le pouvoir absolu appartenait au Parti unique qui faisait ce
que bon lui semblait.
Mais si l'on avait suivi un système où le dirigeant serait désigné sur
des caractères divins, le pouvoir aurait appartenu, en fait, à Dieu
Lui-même; chose qui recevrait l'adhésion pleine et entière de la masse des
croyants; car la raison reconnaît la nécessité de se conformer à
l'obéissance aux lois divines. les hommes jouiraient alors du bonheur dans
ce monde, et de la conscience tranquille au sujet de leur fin ultime dans
l'au-delà. Ni majorité, ni minorité n'auraient de sens dans ce
contexte; puisque le pouvoir réel n'appartiendrait en fait, qu'à Dieu
Luimême, qui est le principe de l'existence. La religion est un programme
pour assumer la perfection de l'homme; et l'homme ne serait plus
responsable que devant son Seigneur...
Les lois que Dieu a données aux hommes ne visent à rien d'autre qu'à
assurer leur bonheur ici-bas et à les préparer à une vie infiniment plus
riche et plus épanouie dans l'au-delà. Ces lois ne laissent pas place à
l'intrusion des caprices et des ambitions politiciennes des hommes.
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